Comme nous l’avons vu hier, la moitié des internes en médecine générale est au bord du burn-out. D’autres ont déjà basculé. C’est le cas de Baptiste*, 28 ans. 8 ans d’études pour devenir généraliste. L’internat l’a fait craquer. Après une tentative de suicide, il a préféré tout arrêter. Aujourd’hui, il est à nouveau étudiant… En deuxième année de sciences de la vie. Rencontre.

 

"J’ai choisi médecine parce que le côté scientifique m’intéressait, tout comme le fait d’être proche des gens, de pouvoir les aider. La première année c’était un gros investissement et beaucoup de sacrifices. En même temps, quand on choisi médecine, on sait dans quoi on se lance, enfin au moins pour la première année ! Un an consacré uniquement aux études. Les sorties, les loisirs, il fallait oublier. Je voyais beaucoup moins mes amis, je consacrais beaucoup moins de temps à ma famille. J’ai eu la chance de réussir en un an. Mes six premières années d’externat se sont très bien passées.

 

Beaucoup à gérer d’un coup

C’est au moment de l’internat que tout a basculé. J’avais beaucoup de connaissances, mais elles n’étaient que théoriques. Je n’étais pas encore médecin mais je devais faire le même boulot, avec toutes les responsabilités et les horaires qui vont avec. 50 heures de travail par semaine, plus les gardes, plus des travaux de recherche, c’est beaucoup à gérer d’un coup. J’ai commencé en gynécologie** et je me suis retrouvé avec des cas compliqués sans avoir les outils, ni les connaissances. Je faisais comme je pouvais. Les chefs,  je ne les voyais pas souvent. C’est vraiment quand on ne se sent plus capable de gérer la situation qu’on ose les appeler. C’est rare qu’ils nous disent "C’est bien"ou "T’as fait du bon boulot". Au final, en tant qu’interne, on fait beaucoup de sacrifices mais on n’a pas de reconnaissance.

Je me suis senti un peu seul à ce moment là. Je me suis coupé de ma famille, de mes amis. J’ai arrêté le sport. En fonction de mes stages, je déménageais tous les six mois. Il fallait changer de ville, d’hôpital, de service, reprendre ses marques avec à chaque fois des spécialités très différentes et très éloignées de la médecine générale, particulièrement en CHU. Après la gynécologie, je me suis retrouvé en infectiologie**. C’était  une médecine très spécialisée. Je n’avais pas le savoir, il a fallu tout réapprendre à zéro. C’était énormément de pression.

 

Péter un plomb

Je me suis retrouvé épuisé, d’abord physiquement. Je n’arrivais plus à couper, j’avais l’impression de ne jamais avoir fini mon boulot . Je ne me sentais pas à la hauteur. Au bout de trois semaines en infectiologie, j’ai pété un plomb, j’ai craqué. Je n’ai pas pu retourner à l’hôpital. J’ai fini chez le psychiatre en urgence et j’ai été mis en arrêt maladie pendant les six mois restants du stage.

Pendant cette période, j’ai réfléchi pour savoir si je voulais continuer ou pas. J’ai aussi beaucoup parlé avec ma famille, avec d’autres étudiants, avec les médecins… Tous m’ont convaincu de reprendre en faisant le stage de médecine générale pour au moins voir ce que c’était, ce que je n’avais jamais fait jusque là.

 

J’ai donc repris en cabinet de médecine générale. Mon stage s’est bien passé. J’ai continué mon cursus dans les urgences. Là, ça a encore été très dur, mais je suis allé jusqu’au bout. Puis je me suis retrouvé dans un stage hospitalier très spécialisé, en néphrologie. Même contexte que l’infectiologie : j’ai à nouveau craqué.

 

Dur à expliquer…

Un mercredi soir, j’étais resté à l’hôpital jusqu’à 22 heures. Le lendemain matin, je n’ai pas pu. Je me suis senti incapable de passer une journée de plus à l’hôpital. Ma copine est partie travailler avant moi. J’étais perdu. J’avais l’impression que je ne pouvais plus continuer… Et j’ai fait une tentative de suicide. Je me suis sectionné une artère du poignet. Quand on est médecin, ce qui est pratique, c’est qu’on ne se loupe pas ! (sourire) Là, je me suis retrouvé comme un couillon avec l’artère qui coulait dans le lavabo. Et d’un coup, je me suis dit qu’il n’y avait pas que la médecine, qu’il y avait plein de gens autour de moi, ma famille, ma copine, mes amis… J’ai pris conscience qu’en dehors de mon travail, ma vie était heureuse. J’ai eu de gros doutes, réalisé que je faisais une connerie et appelé à l’aide.

Arréter la médecine est alors devenu une évidence, malgré mes huit ans d’études. Même s’il ne me restait que deux mois à faire, j’aurais pris la même décision. C’est vrai que les gens n’ont pas compris, c’était dur à expliquer. Là ça fait un an et ça va beaucoup mieux, j’assume parfaitement.

 

"On se dit que c’est normal d’en baver"

On sait tous qu’être interne c’est dur, mais avouer aux autres que ça se passe mal, cela ne se fait pas trop, c’est tabou. Quand on parle avec les autres, on dit toujours : "ce stage est trop bien, j’ai appris plein de choses. Bon c’est beaucoup de boulot mais ça va, c’est que six mois". En fait, c’est un peu un cercle vicieux : on se dit que les autres y arrivent, que c’est normal d’en baver, et on continue pour faire comme tout le monde. De toute façon, quand on est médecin, on n’a pas le droit d’être malade. C’est même ridicule pour un médecin d’être malade. Surtout quand ça touche au psychologique. Voltaire disait d’ailleurs qu’"il n’y a rien de plus ridicule qu’un médecin qui ne meurt pas de vieillesse"

J’en ai parlé avec beaucoup d’internes autour de moi. Ils avaient l’air très sûrs d’eux. Finalement, en creusant un peu, je me suis aperçu qu’ils étaient dans le même état que moi. Ca leur arrivait de rentrer le soir et de pleurer parce qu’ils ne se sentaient pas à la hauteur ; ils se disaient qu’ils ne seraient pas médecin toute leur vie.

 

Revivre

C’est aussi pour ça que j’ai voulu participer à cette thèse sur le burn-out. Puisque le questionnaire était anonyme, les internes pouvaient s’exprimer librement, sans avoir le sentiment d’être jugé par les autres.  Et ça a été une super idée, on a eu un excellent taux de réponse. Les internes ont été intéressés par ce sujet dont personne ne parle. Rien que ça, cela a été une satisfaction parce qu’on a permis aux internes qui se sentaient mal de pouvoir s’exprimer. Quelque part, c’était aussi le moyen de me soigner et de pouvoir aider les autres. Grace à cette thèse, je ne sors pas sans rien de mes huit ans de médecine. Si je ne l’avais pas faite, je n’aurais aujourd’hui qu’un deug de biologie, ce qui est fou quand on y pense. Au moins là, je suis docteur en médecine.

Depuis, j’ai repris d’autres études et il me reste cinq ans à faire. Je suis en deuxième année. Je reste dans le médical. C’est vrai que le métier de médecin, en théorie, c’est vraiment super. On aide les gens, tous les jours sont différents, on peut faire plein de choses. En pratique, il y a une pression incroyable. On se retrouve à devoir faire du rendement. Avec les patients, il y a un rapport commercial. Si on arrive à les soigner ça va, dans le meilleur des cas ils disent merci, mais si on n’y arrive pas on se retrouve en procès. C’est pas du tout ce que j’attendais du métier. Depuis que j’ai changé de branche, je suis très confiant dans mon avenir. Le seul problème, c’est qu’à 28 ans, je ne suis qu’en deuxième année et je ne gagne pas d’argent.

J’ai eu la chance d’être soutenu par mes amis et ma famille lorsque j’ai décidé de tout arrêter. Je pense vraiment que c’est ça qui m’a sauvé la vie. Aujourd’hui, je me sens revivre."

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Propos recueillis par Sandy Berrebi