Ils sont plusieurs milliers chaque année à aller étudier la médecine dans un autre pays d’Europe après avoir échoué à l’épreuve de la PACES, la première année commune des études de santé, et avant de revenir passer les ECN (Epreuves classantes nationales) en France. Désormais, ce ne sera plus possible. Un décret du 10 août 2011, publié au journal officiel le 12 août, va en effet mettre fin à ces "filières de contournement".

 

Le décret du 10 août 2011  prévoit que "nul ne peut se présenter aux épreuves donnant accès au troisième cycle des études médicales s’il a épuisé les possibilités d’être admis à suivre des études médicales en France […] et à les poursuivre en application de la réglementation relative aux premier et deuxième cycles des études médicales”. En clair, après deux échecs à la PACES, pas la peine d’aller voir ailleurs en espérant revenir faire son internat en France. Ce ne sera pas autorisé, ou plutôt, plus autorisé aux étudiants partis cette année (rentrée 2011/2012). Pour tous les autres, les milliers d’autres, on souffle !

Selon les estimations du Cnom (Conseil national de l’Ordre des médecins), à l’initiative du décret et à la tête d’une commission d’enquête sur le sujet, il y aurait près de 3 000 étudiants français inscrits en première année de médecine en Belgique. Ils seraient 2 000 en Roumanie, et plusieurs milliers également en Espagne, en Pologne ou encore en Bulgarie. "Des tricheurs, s’est exclamé le Dr Michel Legmann, lors de ses vœux à la presse, qui ont des facilités financières pour suivre leurs études à l’étranger. Ce sont là des dérives inacceptables et injustes auxquelles il faut mettre fin."

 

Devenir médecin "à tout prix"

Des chiffres qui laissent perplexe Emmanuel Amiel, vice-président de la corporation des étudiants français inscrits en médecine à Cluj-Napoca (Roumanie). "A tout casser, on est 350 à Cluj et 150 à Iasi, donc les 2000, ce n’est quand même pas pour tout de suite !" Lui, il est arrivé en Roumanie il y a deux ans, après avoir échoué deux fois au concours, dont l’une à 0,2 points près. C’est sûr qu’à 5000 euros l’année, il a longuement pesé le pour et le contre avant de choisir "l’aventure". Et finalement, quand il compare le coût de la vie à Paris, le loyer, les transports, etc., à la vie sur place, il estime que "l’un dans l’autre on s’y retrouve". "Et il ne faut pas croire qu’on est tous des fils de médecins, ou tous issus de familles aisées parce qu’il y a pas mal d’étudiants qui ont emprunté pour venir étudier ici. On a une vraie ambition de devenir médecin." Devenir médecin "à tout prix". L’expression prend ici tout son sens !

Mais le président du Cnom n’est pas homme à se laisser attendrir par ces arguments. Chargé d’une mission d’expertise par les ministères de l’enseignement supérieur et de la santé, il a visité fin septembre les universités de médecine de Iasi et de Cluj en Roumanie. Son rapport est prêt, il attend désormais d’être reçu par Xavier Bertrand pour le lui remettre en mains propres, mais "le ministre ne semble pas pressé", souligne le président de l’Ordre. Son contenu reste donc pour l’instant classé secret-défense.

L’université de Cluj, vieille de cinq cents ans, a ouvert la brèche en 2000 en mettant en place une filière francophone de médecine. Au départ, il y avait principalement des étudiants du Maghreb jusqu’en 2007, date d’entrée de la Roumanie dans l’UE et de la mise en application de l’équivalence des diplômes. Les étudiants français ont alors commencé à squatter à leur tour les bancs des facs roumaines qui sont nombreuses à sauter sur l’occasion.

 

Droit au remords

Pour entrer dans ces cursus, pas de concours ultra-sélectif ni d’entretien, mais un recrutement sur dossier. Ce que ne manque pas de critiquer le Dr Legmann qui annonce que 95 % des dossiers présentés sont acceptés. Là encore, notre étudiant français parti en Roumanie conteste. "Il y a pas mal de recalés en Roumanie puisqu’à Cluj, par exemple, il n’y a que 80 places pour 600 demandes." Néanmoins, on peut comprendre l’attrait de ces étudiants français ayant échoué à la terrible épreuve que constitue la première année de médecine en France. Car même s’il vient d’être assoupli, le numerus clausus  ne s’élèvera qu’à 8 000 étudiants cette année.

"Dans ces conditions, le numerus clausus ne veut absolument rien dire, réagit le Dr Daniel Wallach, dermatologue à l’hôpital Tarnier-Cochin et auteur de “Numerus clausus, pourquoi la France va manquer de médecins”*. Ce sont des stratégies de contournement dramatiques qu’il faut absolument rendre illégales."

Et partir étudier dans un autre pays de l’UE n’est pas la seule voie de contournement de la PACES. Sur les 8 000 étudiants qui seront admis en médecine à l’issue de la première année en juin prochain, 500 proviendront des différentes passerelles qui existent pour devenir médecin. Ainsi, les étudiants en pharmacie, odontologie et maïeutique peuvent s’inscrire en seconde année de médecine après avoir validé deux années post-PACES et à condition d’avoir été en position de choisir médecine à la fin de la première année. C’est le droit au remords.

 

Paradoxe

Autres passerelles possibles : une accession en deuxième année pour les titulaires d’un master ou les étudiants ayant deux années d’étude après avoir échoué à la PACES, et en troisième année pour les titulaires d’un diplôme d’ingénieur ou thèse d’université en sciences. C’est le fameux décloisonnement des études tant voulu par Valérie Pécresse, ex-ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche pour rendre les études de médecine plus accessibles et limiter la fuite des étudiants français.

"Il est regrettable qu’aujourd’hui, un littéraire ne puisse pas devenir médecin", avait-elle affirmé en octobre 2009. "On est un des seuls pays du monde où la sélection pour devenir médecin est pratiquement uniquement basée sur les sciences. La médecine, c’est la moitié de sciences, évidemment, et c’est la moitié d’humain."

Partant de là, on peut se demander s’il est forcément judicieux de donner leur place à des étudiants venant d’autres filières, y compris littéraires, plutôt qu’à ceux ayant suivi des études de médecine même dans un autre pays de l’UE. "C’est un paradoxe assez difficile à saisir, commente Emmanuel Amiel. On nous parle de pénurie de médecins, on embauche des milliers de médecins roumains pour y pallier et on ferme les vannes aux étudiants français qui voudraient revenir alors que pendant six ans on n’a rien coûté à l’Etat français, c’est incompréhensible."

 

Court-circuiter le texte

Par mesure de sécurité, alors que lui et ses confrères sur place ne sont pas concernés par le décret du 10 août, ils ont déposé un recours devant le Conseil d’Etat français, qui pourrait bien court-circuiter le texte en faisant valoir une entrave à la libre circulation des personnes entre pays de l’Union européenne.

En attendant, les étudiants qui feront le choix de partir à l’étranger pour faire leurs études de médecine se voient désormais obligés de finir leur cursus ailleurs qu’en France. En revanche, une fois leur diplôme de médecin obtenu, rien ne les empêchera de faire jouer les équivalences pour qu’il soit reconnu en France où ils pourront alors exercer. Restera alors à se soumettre aux bonnes grâces du conseil de l’Ordre qui attend un nouveau décret, chargé celui-ci de mieux réglementer les conditions d’évaluation des candidats dont les diplômes ont été obtenus hors de France. Mais là c’est une autre histoire…

Emmanuel Amiel quant à lui ne sait pas encore s’il va passer les ECN en France. Il envisage notamment de continuer ses études au Québec."Le choix est ouvert et je pense que c’est très enrichissant d’être à l’étranger. Moi je me plais ici, les profs sont bons, les cours sont en français, et il y a plus de cas pratiques, en tout cas en première année, qu’en France. Je me construis davantage que si j’étais resté à Paris. Et puis me battre contre l’Ordre me prépare aussi à ma vie professionnelle future (rires)…"


* “Numerus clausus, pourquoi la France va manquer de médecins” Editions Springer Verlag France, 20 avr. 2011 – 289 pages – 15 euros.

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Concepcion Alvarez