Si vous aviez tous les pouvoirs, quelle serait votre toute première réforme ? C’est la question qu’Egora a posé à plusieurs personnalités du monde de la santé. Aujourd’hui, c’est Borée, médecin généraliste et blogueur qui se prête au jeu. Son idée phare : attirer les jeunes dans les zones désertifiées en leur proposant un emploi salarié. Facile de s’installer, et facile de s’en aller si le poste ne convient pas…

 

“Je proposerai des postes salariés sur les zones les plus déficitaires. Dans certains endroits hyper fragiles, hyper isolés, espérer faire venir un jeune médecin pour travailler en solo ou même à deux, avec tout ce que veut dire l’engagement libéral en termes de lourdeur administrative, de risques, de contraintes aussi bien à l’installation qu’à la désinstallation, ça me semble très incertain. Dans certaines zones, si on reste accroché à ce modèle-là, on ne trouvera personne et on va aller vers une accentuation de la désertification.

Par contre, je suis assez convaincu que si, dans les mêmes endroits, on proposait à des jeunes médecins des postes salariés, un certain nombre pourrait venir tenter l’aventure. Ils se diraient “J’y vais, on verra bien. Si ça ne me plaît pas, ce n’est pas compliqué de quitter le poste, et si ça me plaît, je peux rester.” Pour m’être moi-même installé, désinstallé, réinstallé, je sais ce que ça représente, et ce n’est pas rien. Alors qu’à l’inverse, venir prendre un poste salarié, ça n’engage pas forcément à grand-chose. On peut imaginer des préavis, des choses comme ça, mais rien de très lourd. Ça me semble une priorité.

Concernant le coût, je ne suis pas sûr qu’il faudrait mettre tant d’argent que cela puisque les actes que ces médecins font sont comptabilisés. Au final, en termes de coût financier, je ne suis pas certain que cela représente un coût majeur. On parle parfois du coût des structures salariées, mais c’est juste qu’il faut accepter de payer le vrai prix des choses. Un vrai salaire pour des gens qui travaillent 35 heures, un vrai secrétariat… C’est le coût de la qualité. Comme certains médecins libéraux le font en acceptant de réduire leurs revenus. C’est juste qu’actuellement, le prix de l’acte et le fonctionnement global tel qu’il existe sont complètement déconnectés.

 

2000 euros de salaire fixe

C’est impossible de faire une médecine de qualité, avec des bonnes conditions de travail, et d’avoir en même temps un revenu important. Quand on regarde les aspirations des jeunes médecins, il y en a quand même beaucoup qui préfèrent un poste à 3 000 euros tranquille, que la promesse d’un revenu à 6 000 euros dans des conditions dantesques. Alors on peut imaginer un salariat modulable, avec une part d’intéressement à l’activité par exemple. A la louche, on pourrait imaginer 2 000 euros de salaire fixe et un intéressement de 20% sur les actes générés. Histoire de garder un côté incitatif. Pour 35 heures, ou plus dès lors qu’il y a cette part d’intéressement à l’activité. Je ne suis pas pour les semaines de 60 heures, mais s’il s’agit de bosser 40 ou 45 heures, ça ne me semble pas délirant. A chacun de voir. Mais avec 2 000 euros de fixe pour une base de 35 heures minimum, avec un intéressement de 20% sur les actes, ça me semble être un équilibre satisfaisant. Et en termes de coût pour la société, je ne suis pas sûr que ça représente des grosses sommes. Par contre il faut qu’il y ait quelqu’un qui gère tout ce qui est autour. Dès lors que le médecin est salarié, ce n’est plus à lui de gérer la femme de ménage, le secrétariat, l’informatique… Donc oui, cela doit être assumé de manière différente.

Je ne toucherai pas au prix de l’acte, parce que je fais partie de ceux qui disent qu’il faut sortir du paiement à l’acte exclusif, tel qu’il est. Aujourd’hui, les revenus forfaitaires représentent autour de 12% du revenu. Donc près de 90%des revenus dépendent du montant de l’acte. Qu’on garde une part de paiement à l’acte, pourquoi pas. C’est vrai que ça a un côté motivant et on voit bien que les médecins libéraux sont ceux qui ont la “rentabilité” la plus importante. Mais je voudrais qu’on se détache de plus en plus du paiement à l’acte et qu’on privilégie d’autres compléments de rémunération. Ne serait-ce que pour arrêter de privilégier les médecins qui font de l’abatage et de la médecine de merde.

Pour aller s’installer en solo, au fin fond d’une zone rurale isolée, quand on a un conjoint qui a du boulot, des gamins, etc… c’est déjà très compliqué. Donc ceux qui vont pouvoir tenter cette aventure-là, ça va être typiquement des jeunes médecins qui sont encore en début de carrière, qui n’ont pas forcément des engagements familiaux forts. La cible prioritaire, c’est donc les jeunes médecins. Ou à l’inverse, les médecins plus âgés qui ont envie d’aller se mettre un peu au vert et qui n’ont plus les enfants à la maison, et dont le conjoint ne travaille plus… Le côté salarié va offrir une souplesse indispensable.”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier