Plus de trois siècles avant que Karl Landsteiner ne découvre les groupes sanguins, plusieurs médecins ont tenté, de façon très hasardeuse, des expériences de transfusion sur les animaux. Jean-Baptiste Denis, médecin de Louis XIV, est lui allé plus loin en injectant, pour la première fois, du sang d’agneau à un humain. Miracle, il a survécu.

 

Nous sommes dans les années 1650. A cette époque la communauté médicale est chamboulée par la découverte d’un médecin anglais, William Harvey. En 1630, celui-ci, avait décrit les principes de la circulation sanguine et démontré que le sang se distribuait dans l’organisme par les artères et revenait au cœur par les veines. Si, à l’époque, cette théorie révolutionnaire a déclenché de vives critiques, elle a finalement été admise, ouvrant de nouveaux horizons pour la recherche médicale.

 

Aucune trace de passage à l’école de médecine

Après cette découverte, les expériences de transfusions entre animaux, les chiens notamment, se multiplient. Mais personne encore n’ose injecter du sang à des humains. Trop risqué. L’Académie des sciences française interdit même de tenter quoi que ce soit. C’est finalement Jean-Baptiste Denis un énigmatique scientifique qui bravera l’interdit.

A l’époque ce jeune homme de 28 ans, dont on n’a jamais trouvé aucune trace de passage à l’école de médecine, est surtout connu pour donner des conférences de mathématiques, de physique et de médecine à son domicile parisien. Il a néanmoins réussi à se faire une place comme médecin ordinaire du roi et à devenir membre d’une association de scientifiques et philosophes passionnés d’expérimentations scientifiques. Le petit groupe est persuadé qu’il faut tenter la transfusion sanguine sur l’Homme. D’autant que les techniques et le matériel de l’époque le permettent.

Le Dr Denis se lance finalement le 15 juin 1557. Assisté d’un chirurgien, Paul Emerez, il a l’audace d’injecter par voie veineuse neuf onces de sang artériel d’un agneau à un jeune homme de seize ans. Ce dernier, fiévreux, a déjà subi une vingtaine de saignées, sans effet.

 

Le patient et l’agneau sont reliés par un tuyau

L’intervention a lieu à l’hôtel de Montmor. L’animal est ficelé sans anesthésie. Le jeune garçon, lui, est assis sur un tabouret. Le chirurgien saisit un tube en argent effilé à une extrémité pour l’introduire dans une artère de l’agneau, percée et ligaturée en amont et en aval pour arrêter la circulation sanguine. C’est ensuite au tour du jeune garçon d’être préparé. Le chirurgien lui attrape le bras pour pratiquer une saignée ordinaire. Environ un tiers de litre de sang est tiré de la veine pour faire de la place au sang neuf. Une ligature au bras arrête l’écoulement, puis un deuxième tube en argent est inséré dans la veine. Les deux tubes sont alors reliés par un tuyau. On dessert enfin lentement de garrot de la patte de l’agneau… et le sang coule.

Le garçon, lui, n’est pas gêné par l’intervention, au contraire. Après qu’il ait récupéré un tiers de litre de sang, le dr Denis stoppe la transfusion. Et, chose inexplicable aujourd’hui, le garçon survit. Il reprend même du poil de la bête. Probablement que la quantité de sang transfusé n’avait pas été suffisante pour déclencher une grosse réaction de rejet.

Fort de ce succès inespéré, le médecin renouvelle l’expérience avec un homme bien portant de 45 ans. Là encore, il survit.

Pour le docteur Denis et ses confrères, ces résultats tendent à accréditer l’hypothèse selon laquelle la mélancolie ou d’autres formes de folie peuvent bénéficier d’un apport de sang neuf, qui permet à l’organisme de retrouver une “bonne humeur”. Le médecin publiera d’ailleurs ses observations en un temps record le 22 juillet 1667, sous forme de lettre à la Société royale de Londres, équivalent de l’Académie des sciences.

Mais tout commence à se gâter à la troisième tentative. Le cobaye, cette fois, est un jeune baron suédois que les médecins ont condamné. Il mourra finalement après trois transfusions.

Cela ne suffit pas à arrêter le médecin parisien. Son quatrième patient est un homme d’une trentaine d’années, Antoine Mauroy, atteint de ce que l’on appellerait sans doute aujourd’hui une maladie bipolaire. Denis espère qu’en lui injectant du sang de veau, animal placide, il s’en trouvera apaisé. Rapidement, le fou se plaint d’une vive chaleur obligeant Denis à arrêter aussitôt la transfusion. Mauroy se calme, fait une sieste de deux heures, puis se réveille en réclamant à manger.

 

Troisième transfusion fatale

Deux jours plus tard, Denis pratique une deuxième transfusion. Cette fois, la réaction de Mauroy est violente. Son corps entier devient brûlant, puis il se plaint des reins, ses veines gonflent. Il faut tout arrêter. Denis persiste, puisque, quelques jours plus tard, il se livre à une troisième transfusion. Elle est fatale au malade.

La veuve du défunt porte plainte. Le procès innocente le médecin mais marque la fin des expériences sur la transfusion sanguine. Jean-Baptise Denis, lui, abandonne définitivement la médecine.

En 1670, un arrêté du Parlement de Paris “interdit à tous médecins et chirurgiens d’exercer la transfusion du sang sous peine de punition corporelle. Le Parlement de Londres fit la même interdiction. La papauté y ajouta la menace d’excommunication”*. Il faudra ensuite attendre plus d’un siècle pour que reprennent les expériences, dans une démarche médicale plus moderne.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : A.B.

 

* D’après un article sur l’histoire de la transfusion, paru dans la revue Médecine en 2009.

[Avec Lemonde.fr et Lepoint.fr]