En 1656, un édit royal proclame l’enfermement des dizaines de milliers de mendiants et vagabonds qui errent dans Paris. Tandis que les hommes sont internés à Bicêtre, les femmes sont conduites à la Salpêtrière, un nouvel établissement qui va se remplir très vite…

 

Dans la première moitié du XVIIe siècle, l’augmentation croissante des pauvres, mendiants et vagabonds de Paris engendra de nombreux vols et agressions dans la capitale. Le pouvoir a cherché les moyens de combattre ce vagabondage que la conjoncture économique, la Fronde et le renforcement de l’État ont en grande partie contribué à créer. La solution trouvée à l’augmentation trop rapide des mendiants et vagabonds est la mise en place de l’Hôpital général de Paris créé pour les accueillir. Le pouvoir royal, l’aristocratie, et les compagnies religieuses participent à cette entreprise qui marque la période du “grand renfermement”. […]

Plus tard, avec le réglement du 20 avril 1684, une nouvelle catégorie de la population parisienne est à enfermer : les femmes débauchées. Et c’est à la Salpêtrière qu’elles doivent être “enfermées”. Comme la mendicité, la débauche et la prostitution sont combattues avec acharnement pendant tout le XVIIe siècle. Outre la déportation dans les colonies, l’Hôpital général devient le principal mode de mise à l’écart des prostituées jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Elles sont déjà mises en cause dans le 101e article de l’ordonnance de 1560 promulguée par François II.

 

Changer la morale et les mœurs de ces femmes égarées

Cette mesure aurait été prise à la suite de la progression rapide de la syphilis. Et c’est tout naturellement qu’on s’est attaqué à ce qui ne pouvait être qu’à la base de ce développement : la prostitution. Sous couvert de santé publique, on épurait ainsi les rues de Paris d’un autre fléau, la “débauche publique et scandaleuse”. Les mesures d’internement contre les débauchés se multiplient dans ce siècle de moralisation de la société. Des maisons de force avaient déjà été créées et aménagées pour les débauchées. Ces établissements étaient ouverts, théoriquement, aux seules volontaires, et avaient pour objectif de changer la morale et les m œ urs de ces femmes égarées. Le roi prévient que “les femmes d’une débauche et prostitution publique et scandaleuse, ou qui en prostituent d’autres, seront renfermées dans un lieu particulier destiné pour cet effet dans la maison de la Salpêtrière“. Les débauchées pourront y être enfermées sur décision de justice.

Après l’ordonnance du roi du 20 avril 1684, un inspecteur est chargé de la police des m oe urs. Il est chargé, jour et nuit, de les arrêter et de les conduire au dépôt Saint-Martin, passage obligé des futures condamnées. Le lendemain, les femmes arrêtées comparaissent à l’audience du grand Châtelet. Les femmes condamnées, escortées par des archers, sont alors emmenées en charrette, dont les planches sont recouvertes de paille, à travers les rues de Paris, à la vue de tous, jusqu’à la Salpêtrière. Outre les inspecteurs, tout un corps hiérarchisé de commissaires, de sergents à cheval, à pied, d’archers et un réseau d’indicateurs étaient sous les ordres de la police des mœurs.

Dans cet environnement répressif, les prostituées redoutaient d’être arrêtées. En 1687, le roi veut faire incarcérer toutes les femmes publiques de Paris, alors que l’arrêt de 1684 n’avait prévu l’internement que d’un nombre limité de filles, celles qui étaient considérées comme les plus dangereuses.

Si l’enfermement des filles “de mauvaises vies” reste exceptionnel au début, il s’accélère à la fin du XVIIe siècle. La Salpêtrière devient maison d’assistance où l’on reçoit orphelins, pauvres, infirmes, vieillards… et maison de répression et de privation volontaire de liberté, par décision de justice ou par simple décision des directeurs de l’Hôpital général, pour les débauchées, folles, voleuses, sorcières ou jugées comme telles, blasphématrices… Les directeurs ont leurs archers et autres cohortes chargés de chercher et d’arrêter les pauvres et vagabonds. Ils bénéficient en plus du droit de juger, sans appel, les infractions au règlement par la mise au carcan, au pilori et au cachot ne remettant le coupable à la justice ordinaire que s’il est passible de peines plus graves.

D’ailleurs, c’est à la Salpêtrière qu’un bâtiment est créé afin de recevoir les individus les plus marginaux ou dangereux pour la société. Il est divisé en quatre parties distinctes : “Le commun où l’on gardait les filles publiques ; la correction, qui était destinée aux filles publiques susceptibles de revenir au bien ; la grande force, dans laquelle on renfermait les personnes arrêtées par ordre du roi ; la prison, qui devait contenir les femmes flétries par la justice.”

La Salpêtrière est composée, à l’origine, par les bâtiments du petit arsenal dans lesquels on fabriquait la poudre à canon (grâce à l’exploitation du salpêtre). La fabrication de la poudre fut transférée à Vincennes, et la nouvelle “activité” de la Salpêtrière put alors commencer. Dès la fin de 1657, grâce à de nombreux dons, un premier agrandissement est décidé. Deux bâtiments furent construits en priorité. Achevés en 1663, ils permirent l’accueil de 2000 à 3000 personnes.

 

Cellules de 2 m de long sur 1,5 m de large

En 1669, on propose l’édification de la chapelle Saint-Louis qui pourra accueillir 4000 fidèles. En 1684, après la décision d’enfermer les femmes de mauvaise vie ou débauchées, dont certaines sont considérées comme dangereuses au même titre que les folles, on décide la construction de l’énorme prison de La Force. Le bâtiment est formé de cellules de 2 m de long sur 1,5 m de large qui n’avaient pour seule lumière que celle qui passait par une étroite lucarne à barreaux. Une porte massive avec serrures, verrous et judas la fermait.

À la gauche de la cour principale se tenaient les logements, ateliers et chantiers des ouvriers, charrons, serruriers, cordonniers, menuisiers…, ainsi que les écuries et les étables pour l’élevage des vaches, les greniers à blé et à fourrage, mais aussi les remises à charrettes indispensables pour le transport des femmes de La Force et les transports à l’Hôtel-Dieu, hôpital central pour les malades de la Salpêtrière.

Viel, architecte responsable de la plupart des travaux de la Salpêtrière, est chargé, à la fin du XVIIIe siècle, de reconstruire les loges, jugées trop insalubres, destinées à accueillir les folles ou les aliénées. Elles prennent la forme de petits chalets dans lesquels on plaçait les folles les plus agitées. Mais la construction la plus importante est sans aucun doute celle des “nouvelles infirmeries” pour l’isolement des plus contagieux mais aussi pour éviter des transports ininterrompus de malades entre la Salpêtrière et l’Hôtel-Dieu.

Il existe aussi une apothicairerie et un amphithéâtre d’anatomie, autour des jardins situés derrière l’église et le cimetière. Cette grosse “machine” a accueilli plus de 250 000 individus de 1721 à 1791. La vie interne de la Salpêtrière est intense, entre les travaux journaliers, les disputes, les complots, jusqu’aux troubles de la Révolution française, puis la transformation radicale de la Salpêtrière-prison en Salpêtrière-hôpital pour le traitement neurologique des malades qui constituera, de Pinel à Charcot, une autre page de la très riche histoire de ce grand hôpital.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Jean-Pierre Carrez

Dossier complet sur le site Internet de La Revue du praticien, www.larevuedupraticien.fr : article Aux origines de la Salpêtrière de Paris, l’enfermement des mendiantes et des filles débauchées, onglet Histoire de la médecine, partie Renaissance, XVII, XVIII.