Des travaux menés sur deux ans par plusieurs professeurs de droit de l’Institut Droit et santé de la Faculté Paris-Descartes*, démontrent qu’il n’y a pas de judiciarisation de la santé en France sur la période 1999-2009.

 

Contrairement à un ressenti très répandu, il n’y a pas de judiciarisation de la santé en France, c’est-à-dire une pression croissante de la justice sur les professionnels de santé, à leur détriment et au bénéfice de patients de plus en plus exigeants. Mieux, si cette pression s’aggravait  fortement année après année, avant la loi Kouchner du 8 mars 2002 sur le Droits des malades et la qualité du système de santé, elle s’est interrompue depuis sa promulgation, marquant même une cassure très nette dès 2004-2005 dans la courbe ascendante des litiges contentieux. Et observant une relative stabilité depuis.

 

Coup d’arrêt à la montée des contentieux

Cette conclusion un peu iconoclaste est tirée du gigantesque travail mené par trois professeurs de droit et chercheurs de l’Institut Droit et Santé de l’Université Paris Descartes. Il s’agit du premier travail de recherche universitaire mené sur ce thème dans notre pays sur la période 1999-2009. C’est-à-dire la décennie durant laquelle la loi Kouchner du 4 mars 2002 met en place un mécanisme d’indemnisation de l’alea thérapeutique, avec ou sans faute. Et, surtout, des procédures de conciliation au travers des CRCI (commission régionales de conciliation et d’indemnisation), dépendantes de l’ONIAM, l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des infections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Entre 1999 et 2009, on observe en effet une évolution du nombre de référés devant les tribunaux de première instance ou tribunaux administratifs. Sur dix ans, leur nombre passe de 2 800 à 3 000, c’est-à-dire +7%, ce qui, eu égard à l’évolution du nombre d’actes et d’admissions en établissements hospitaliers, correspond à une stabilité.

S’agissant des décisions de justice, les statistiques sont parlantes : augmentation de 75% entre 1999 et 2004, et stabilité depuis. "Cela signifie que l’impact de la loi du 4 mars 2002 a donné un coup d’arrêt à la montée des contentieux, au profit de la procédure amiable", décrypte Didier Tabuteau, souvent présenté comme le vrai père de la loi sur le Droit des malades, en tant que directeur de cabinet de Bernard Kouchner, à l’époque.  

S’agissant des plaintes au pénal, ces dernières ont même été divisées par 2,3 sur la période 1999-2009. La pression juridictionnelle est restée stable sur la période, de l’ordre de 23 requêtes pour 100 000 admissions à l’hôpital ou six requêtes pour un million d’actes. Néanmoins, dans 11% des condamnations prononcées, les indemnités ont été supérieures à 100 000 euros, ce qui représente 66% du montant total des indemnités allouées. Dans 0,5% des cas, ces indemnités ont été égales ou supérieurs à 1 million d’euros, soit 13% des indemnités totales.

 

Deuxième idée fausse : les médecins sont les professionnels les plus poursuivis

L’institut Droit et santé a comparé la judiciarisation en santé,= aux contentieux touchant les avocats. Et là, surprise : les avocats sont bien plus souvent poursuivis que les blouses blanches ou autres professions de santé. Principaux motifs de poursuite : le défaut de diligence (26,5%) ou le manquement au devoir de conseils (15,8%), suivis par divers types d’erreurs de règles de droit ou de procédures.

Lorsque, selon la MACSF, le taux de sinistralité des médecins évolue autour de 2% de manière remarquablement stable, entre 2002 et 2009, le taux de sinistralité des hommes de robe s’étage entre 6 et 7%, de manière beaucoup moins stable. Les plaintes trouvent une issue amiable dans 66% des cas, et judiciaire, dans 34% (ce qui est plutôt mieux que pour les médecins. Les cordonniers sont sans doute mieux chaussés).

Sur la période donnée, le taux de sinistralité par assuré est supérieur pour les avocats, il est de 4,2 réclamations pour 100 professionnels, contre 2,6 pour les médecins libéraux, indique le SOU-Groupe MACSF.

 

Troisième idée fausse : la France rejoint l’Amérique dans la judiciarisation

La France est encore très loin, et heureusement, de rejoindre l’Amérique en matière de judiciarisation, où une réforme de la responsabilité civile est intervenue dans plusieurs états, car il était temps de calmer le jeu.

Il n’empêche qu’aux USA, on indemnise le préjudice d’une part, et l’auteur d’autre part. Et qu’on peut mener des "class actions", des actions groupées, notamment en santé publique (tabac, pollution), une possibilité qui n’est pas octroyée aux plaignants Français. Enfin, les recours au contentieux sont largement encouragés par une profession d’avocats américains à l’affut, y compris dans les couloirs des établissements hospitaliers.

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Catherine Le Borgne

 


*Co-rédigé par Anne Laude, Jessica Pariente et Didier Tabuteau, co-créateurs de l’institut Droit et Santé de l’université Pari Descartes, l’ouvrage est un véritable bréviaire de 280 pages, réalisé après deux années de travail, et l’analyse d’environ 50 000 décisions de justice  (Cour de cassation, conseil d’Etat, conseil national de l’Ordre) à laquelle s’est adjointe la consultation des bases de données des juridictions disciplinaires ordinales, du Sou médical, de la Sham (assurance mutuelles de l’hôpital public), de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM), de l’AP-HP et enfin du Médiateur de la République…