C’est un généraliste qui parle. Alors que la vaccination contre la grippe saisonnière semble mieux fonctionner cette année, avec déjà plus de 5 millions de personnes vaccinées sur les 12 millions d’assurés invités à en bénéficier gratuitement, d’autres maladies inquiètent davantage les professionnels.

C’est le cas notamment de la rougeole avec près de 15 000 cas depuis le début de l’année, dont six mortels. Par rapport à 2010, le nombre de cas est presque trois fois plus important et le nombre de formes graves a plus que doublé. Selon le Dr Jean-Louis Bensoussan, généraliste à Castelmaurou, dans la région de Toulouse, et vice-président du réseau des GROG (Groupes Régionaux d’Observation de la Grippe), ce phénomène est dû à une baisse de la vaccination.

Egora.fr : On parle du retour de maladies que l’on croyait disparues telles que la tuberculose, la rougeole, la coqueluche ou même la gale. Comment expliquez-vous cela ?

Dr Jean-Louis Bensoussan : Les cas sont différents pour chacune de ces maladies. Pour ce qui est du retour de la rougeole, c’est sûr, toutes les études le démontrent, c’est dû à une baisse de la vaccination. On s’est laissés aller, on n’a pas assez écouté les gens qui nous disaient qu’il fallait deux vaccins et pas un seul, donc on est longtemps restés sur une seule vaccination. On a eu tort, aujourd’hui il faut donc rattraper ce retard. Le problème est que l’on se retrouve devant des ligues anti-vaccinales qui se réveillent fortement contre ce ROR [rougeole, oreillons, rubéole]. Il faut que nous répondions au coup par coup, il faut montrer que nous, les scientifiques et les porteurs d’un vrai message, nous avons une réponse à toutes ces attaques non-fondées afin que toute la population médicale retrouve confiance dans la vaccination.

Egora.fr : Qu’en est-il pour la tuberculose et la coqueluche ?

Dr Jean-Louis Bensoussan : Sur la tuberculose, on a fait des recommandations très claires. A savoir, l’arrêt du BCG [vaccin contre la tuberculose, NDRL] systématique pour le réserver à des populations très ciblées. Le revers de la médaille, c’est qu’on n’avait pas prévu que dans des secteurs très défavorisés, l’accès aux soins serait de plus en plus difficile. On est vraiment face à un problème d’inégalité sociale de santé. Et la tuberculose est un exemple probant du gros travail qu’on a à faire dans ce domaine. Mais il ne faut pas revenir à une vaccination systématique.

Sur la coqueluche, c’est encore autre chose. On a cru pendant longtemps que la vaccination anti-coqueluche de la petite enfance suffisait. On s’est rendu compte, en fait, au travers de l’apparition de cas de coqueluche chez le jeune adulte notamment, que cette immunité qu’on imaginant durer toute la vie était insuffisante à partir d’un certain âge. On a donc revu nos recommandations, en préconisant  des rappels pour tous les jeunes adultes notamment et tous ceux qui vont être au contact de la petite enfance,  ainsi que pour la totalité des personnels de santé. Il s’agit là de protéger la population. On  vaccine pour ne pas attraper la maladie mais aussi pour ne pas la porter à d’autres. Le problème est que la vaccination altruiste est encore mal comprise dans les populations, y compris chez les professionnels de santé. Et ça c’est plus difficile à accepter pour nous.

Egora.fr : Certains médecins sont en effet réticents à la vaccination. Comment expliquer ce climat de méfiance ?

Dr Jean-Louis Bensoussan : Depuis que les vaccins existent, il y a des médecins qui sont contre. Mais il y a eu des moments plus difficiles qui ont favorisé l’émergence du discours anti-vaccin. Avant le H1N1, il y a surtout eu la campagne autour de l’hépatite B, complètement désordonnée et très mal faite. C’est un premier très mauvais exemple. Ensuite, bien sûr, il y a eu le H1N1 avec une campagne de vaccination qui a complètement contourné les généralistes avec des discours qui allaient dans tous les sens. Et puis, les professionnels n’ont pas accepté que les scientifiques puissent modifier leur avis au fil des semaines. On nous a reproché d’avoir parlé de deux vaccins, dans un premier temps, puis d’un seul… Ce qu’il s’est passé c’est que nous nous sommes d’abord appuyés sur les études concernant le H5N1. Quand on a vraiment pu étudier le H1N1, on s’est rendus compte qu’un seul vaccin suffisait. Entre-temps, le gouvernement avait pris des décisions et  passé des commandes pour deux vaccininations pensant « bien faire ». C’est pour cela qu’on s’est retrouvés avec trop de vaccins.

Egora.fr : Quel est le rôle du médecin généraliste dans la vaccination ?

Dr Jean-Louis Bensoussan : Les médecins généralistes font plus de 90% des vaccins ! Ce sont eux qui vaccinent, ce sont les médecins de la vaccination, il faut donc que les pouvoirs publics l’entendent, le comprennent, et que toutes les campagnes vaccinales passent par eux. Cela n’a pas été fait dans le cadre de la campagne sur le H1N1, c’est un peu mieux fait sur le ROR, mais sur la grippe saisonnière, c’est vraiment le minimum syndical. En plus, on a ouvert la vaccination contre la grippe aux infirmières en pensant qu’elle allait augmenter, mais on se rend compte que c’est l’inverse qui se produit. Pourquoi ? Parce que la population des infirmières libérales se vaccine elle-même très peu et donc elles ne sont pas un véhicule porteur de la vaccination. Au contraire les généralistes se vaccinent beaucoup, entre 65% et 70% pour la grippe saisonnière. S’ils le font, ils vont donc davantage porter le message vers leurs patients.


Des médecins pas assez formés ? Les médecins formés à l’hôpital ne voient pas au cours de leurs études de cas de rougeole ou de coqueluche, pathologie fréquente en médecine générale.

Ecoutez le témoignage du Dr Jean-Louis Bensoussan :

 

 


Egora.fr : Pensez-vous que certains vaccins doivent devenir obligatoires ?

Dr Jean-Louis Bensoussan : Je crois qu’aujourd’hui le débat ne peut plus être porté comme cela. Ce n’est pas en décrétant l’obligation que nous allons augmenter le pourcentage de vaccination, c’est peut-être même le contraire qui se produirait en braquant un certain nombre de personnes. Aujourd’hui, il ne faut donc plus parler d’obligations, mais il faut que nous ayons un discours suffisament clair, intelligible, scientifique, porté par des données incontestables, pour que les gens se rendent compte qu’il faut se vacciner.

Egora.fr : Comment alors inciter les médecins à vacciner davantage ?

Dr Jean-Louis Bensoussan : Il faut valoriser leur rôle de santé publique avec, peut-être, une véritable rémunération forfaitaire dans ce domaine-là. La nouvelle convention propose une amorce dans ce sens avec le paiement à la performance et la valorisation encore limitée sur ces objectifs de santé publique. La vaccination contre la grippe saisonnière par exemple compte pour 40 points sur un total de 1 300. C’est très peu, mais c’est déjà une première étape. Il faudra aller plus loin.

Egora.fr : Quelles seraient les conséquences d’une baisse importante de la vaccination dans la population ?

Dr Jean-Louis Bensoussan : Sur la rougeole, il existe déjà de vrais risques de santé publique car on va voir apparaître des cas graves, et même des morts à la suite de rougeoles. D’autre part, la vaccination contre le tétanos est obligatoire dans la petite enfance mais les rappels chez l’adulte sont délaissés. On peut donc avoir à l’avenir de très mauvaises surprises. Enfin, si l’on relâche la pression sur la grippe, on peut s’attendre lors d’une prochaine épidémie à une mortalité forte. Pour l’instant, c’est vrai que depuis deux ou trois ans, les virus sont relativement sympathiques et ne donnent pas trop de cas graves, quoique, l’année dernière, il y a quand même eu plusieurs centaines de morts y compris chez des jeunes et des enfants en bonne santé. Il faut donc être vigilants. 

Source :
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Auteur : Concepcion Alvarez