Lancée en mars dernier, probablement depuis l’Allemagne, la plateforme Medicineo propose aux patients d’obtenir un arrêt maladie pour des “affections courantes” en remplissant un simple questionnaire d'”auto-diagnostic” analysé par un “médecin partenaire”. Alertée, la Cnam mène des investigations.

 

Obtenir un arrêt maladie en quelques clics sur la base d’un simple questionnaire d'”auto-diagnostic” ? C’est la promesse de Medicineo.fr, une nouvelle plateforme de télémédecine lancée en mars dernier. Ce “cabinet en ligne”, qui affirme collaborer avec pas moins de 323 médecins partenaires “tous dûment qualifiés et enregistrés”, n’est pas sans rappeler arretmaladie.fr, un site fermé par la justice en novembre 2020 qui proposait un arrêt de travail sans passer par la case médecin, moyennant 25 euros.

 


Interface de la plateforme Medicineo

 

Accessible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, le service de Medicineo est quant à lui facturé “21 euros seulement”. D’après ses mentions légales, il serait édité par une société du nom de Néocare LDT représentée par un certain Jacques Puleng, tous deux inconnus. Ce que l’on sait, c’est que le nom de domaine medicineo.fr a été déposé le 26 février dernier, et que son serveur est hébergé en Allemagne.

Pour obtenir son arrêt, le patient n’a qu’à suivre une procédure en ligne qui ne lui prendra pas plus de “3 minutes, top chrono”, promet la plateforme. Pour commencer son “auto-diagnostic”, le patient doit sélectionner sa “maladie présumée” dans une liste déroulante comprenant une vingtaine d'”affections courantes”, de la gastro-entérite à la migraine, en passant par le mal de dos, la cystite ou encore l’hypertension et le “syndrome d’épuisement”. On lui demande ensuite de préciser si un diagnostic médical a déjà été posé, de décrire ses symptômes et de renseigner les traitements suivis.

 


Première étape de la procédure permettant un “auto-diagnostic”

 

Avant de poursuivre, le site s’assure que le patient ne présente pas de facteurs de risque qui nécessiteraient une consultation physique. “Contrairement aux médecins de cabinet, nos questionnaires en ligne, générés par des experts et alimentés par l’intelligence artificielle, filtrent efficacement les patients à haut risque, les cas douteux et d’autres affections”, assure ainsi Medicineo, qui revendique un taux d’erreur de diagnostic inférieur à 7 %, contre “environ 12 %” pour les médecins généralistes.

 

Le patient choisit lui-même sa date de fin d’arrêt

Les réponses au questionnaire médical sont directement transmises aux médecins partenaires. A aucun moment, le patient n’échange directement avec le médecin, ni en visio, ni par téléphone ou même par tchat comme c’était le cas avec arretmaladie.fr. Une fois passée l’étape de l'”autodiagnostic”, le patient est invité à choisir lui-même sa date de début et de fin d’incapacité de travail, qui ne pourra cependant excéder 7 jours. Une demande supérieure “ne sera pas prise en compte”, avertit Medicineo.

 


Dernière étape de la procédure d'”auto-diagnostic”

 

Pour obtenir l’arrêt maladie en moins de 24 heures, il ne lui reste qu’à remplir les informations administratives nécessaires : profession, nom et prénom, date de naissance, numéro de Sécurité sociale ou encore adresse – une indication dont se servirait la plateforme pour attribuer au patient le médecin le plus proche de son domicile. Vient enfin le paiement. Par crainte du phishing, nous n’irons pas plus loin.

Sur le site communautaire signal-arnaques, qui vise à protéger contre les escroqueries d’internet, plusieurs internautes ayant testé Medicineo rapportent avoir bel et bien reçu l’arrêt de travail demandé. Tous sont signés par un certain “Masroor Umar”, un nom qui ne figure pas dans l’annuaire du Conseil national de l’Ordre des médecins français. Ce prétendu praticien est également inconnu de l’Ordre des médecins de l’état allemand du Hesse, qui dès janvier dernier, diffusait un communiqué avertissant les patients sur la légalité douteuse des arrêts de travail qu’il délivre. Le cabinet mentionné sur les certificats qu’il signe est “inexistant”, les adresses indiquées correspondant tantôt à l’hôpital universitaire de Francfort ou à l’hôpital de Kessel – deux établissements qui ont assuré à l’instance ordinale ne pas employer de médecin à ce nom. En mars, l’Ordre de l’état du Schleswig-Holstein lançait à son tour l’alerte sur les arrêts délivrés par ce fameux “Dr” Masroor.

 

Des médecins qui ne sont pas inscrits à l’Ordre en France

Medicineo ne s’en cache pas : ses médecins “partenaires” ne sont pas inscrits à l’Ordre français. “Les praticiens accrédités pour la délivrance d’arrêts maladie sans consultation en personne sont d’envergure internationale et exercent exclusivement en ligne, dispensés ainsi de toute obligation de domiciliation supplémentaire ou d’obtention de consentement spécifique sur le territoire français”, affirme la plateforme dans un mail de réponse automatique envoyé suite à la demande d’interview adressée par Egora*. “Par conséquent, le médecin qui vous a été désigné n’est pas répertorié dans les registres de l’Ordre des médecins. Néanmoins, il importe de souligner que votre arrêt maladie demeure légalement valable et peut être présenté à votre employeur en toute confiance”, soutiennent-ils.

 

 

Rien n’est moins sûr. Sollicitée par Egora, la Cnam indique que ce site lui a déjà été “signalé” et que “des investigations sont en cours pour déterminer son fonctionnement et son caractère licite”. “S’il s’avère que les arrêts de travail sont émis sans aucune consultation d’un médecin, les assurés qui utiliseraient de tels faux arrêts seraient en effet passibles d’une pénalité financière et la Cnam engagerait une procédure pour solliciter le blocage du site”, met-elle en garde. Rappelons par ailleurs que les arrêts de travail prescrits en téléconsultation par un autre médecin que le médecin traitant ne peuvent désormais excéder une durée de trois jours.

De fait, tout en martelant que son service est légal, Medicineo déconseille à ses utilisateurs de tenter le coup avec la CPAM… “L’arrêt maladie qui vous a été accordé ne vous permet pas en règle générale d’être indemnisé par votre caisse de sécurité sociale en raison du délai de carence. Par conséquent, il n’est pas utile que vous envoyiez le volet du certificat d’arrêt de travail destiné à la CPAM, argumente la plateforme dans son mail de réponse automatique. Seul donc le volet du dit certificat destiné à l’employeur devra être adressé à votre employeur dans un délai réglementaire de 48h afin de justifier de votre absence.”

Ironie de l’histoire, dans un billet de blog, Medicineo.fr met en garde ses utilisateurs contre une “arnaque en ligne” : le site bondocteur.fr aurait “usurpé” son identité en créant une “copie conforme” de son site. Le business des arrêts de travail frauduleux a de beaux jours devant lui.

 

* Demande qui est restée sans réponse.

 

Fraude à l’arrêt maladie : que risque-t-on ?

Les personnes tentant d’obtenir des indemnités journalières au moyen d’un arrêt maladie frauduleux risquent une pénalité financière pouvant aller jusqu’à trois fois le montant du préjudice financier, rappelle l’Assurance maladie. Ils s’exposent par ailleurs à des sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement.

Par ailleurs, la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024 a créé un délit de facilitation à la fraude sociale et redéfinit le délit d’incitation à la fraude. Le fait de mettre à disposition, à titre gratuit ou onéreux “un ou plusieurs moyens, services, actes ou instruments juridiques, comptables, financiers ou informatiques” ayant pour but de permettre à un tiers d’obtenir une prestation sociale indue est puni d’une peine de trois ans d’emprisonnement et de 250 000 euros d’amende. Les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 500 000 euros d’amende lorsque la mise à disposition est commise en utilisant un service de communication au public en ligne ou lorsqu’elle est commise en bande organisée.

L’incitation à la fraude sociale est quant à elle passible de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aveline Marques

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