Passer au contenu principal

EGORA – “Je ne savais même pas s’il allait continuer médecine” : réalisateur, il filme les douze années d’études de son frère

Pendant douze ans, Antoine Page a filmé les études de son frère, Angel, devenu médecin généraliste. Seul derrière la caméra, le réalisateur l’a suivi sur ses différents lieux de stage de Besançon à Marseille. L’occasion pour les deux frères de revenir sur la charge de travail de ces études, de s’interroger sur l’avenir de l’exercice médical et sur le décès de leur père, lui aussi généraliste. Des réflexions résumées dans un documentaire, “Toubib”, qui sort en salles le mercredi 28 août.

 

Sessions de révision enfermé dans sa chambre, premiers stages à l’hôpital, semestre sabbatique dans les montagnes suisses et remplacements dans les hauteurs de Marseille… Pendant douze ans, Antoine Page a filmé les études de médecine de son frère, Angel. Chaque année, durant plusieurs jours ou semaines, il l’a suivi des bancs de la fac de Besançon (Doubs) aux couloirs des hôpitaux. Des centaines d’heures de tournage résumées en un documentaire de près de deux heures, Toubib, qui sort en salles le 28 août prochain. “Je voulais filmer sur un temps long, raconte à Egora Antoine Page, le réalisateur. Au début, je ne savais même pas s’il [son frère, NDRL] allait continuer médecine. Mais on s’est lancés malgré tout.”

 

toubib
© Antoine Page, Toubib (2024)

 

Le projet remonte à la fin de l’été 2009. “La veille de la rentrée, j’ai proposé à Angel de le filmer. Ça s’est fait de manière très spontanée, se souvient Antoine Page, également fondateur de La Maison du Directeur, société qui produit le documentaire. Je me suis toujours bien entendu avec Angel, qui a treize ans de moins que moi, et il connaissait déjà mon travail.” Son frère n’hésite pas une seconde et accepte la proposition. “J’ai dit ‘oui’ direct sans savoir quelle forme [exacte] ça allait prendre. C’était pourtant très clair pour moi que [ce projet] irait jusqu’au bout et qu’Antoine en ferait un film”, confirme Angel Page : “Ça m’a paru assez évident.”

 

 

Lors des premières images du documentaire, Angel n’a que 18 ans et enchaîne les sessions révisions entre les quatre murs de sa chambre, un peu perdu face à la charge de travail. A la sortie du lycée, son envie de faire médecine était pourtant, elle aussi, “assez spontanée”. “Mon père était médecin, il est mort quand j’avais 11 ans. J’imagine que c’est la raison pour laquelle j’ai voulu faire ces études, analyse-t-il. A l’époque, je ne me suis pas posé la question de faire autre chose […] A posteriori, je me rends compte que je n’avais aucune idée de ce à quoi correspondait la médecine. On se lance tous dans un monde absolument inconnu.”

 

“ Je n’ai jamais pensé faire médecine ”

 

Ce monde était également “inconnu” pour Antoine Page. “Je n’ai jamais pensé une seconde faire de la médecine. […] Ça ne m’a jamais vraiment tenté”, soutient celui qui s’est orienté vers des études d’histoire de l’art et du cinéma à la Sorbonne. Au-delà des études médicales, le réalisateur – auteur d’autres documentaires – s’est intéressé à de nombreux domaines et sujets au fil de ses projets. Parmi eux, une troupe de cirque moderne, dont l’histoire est retracée dans “La Grande aventure du Cirque Plume” (2021), ou encore un long voyage jusqu’en Sibérie partagé avec un dessinateur et mis en lumière dans “C’est assez bien d’être fou” (2013, ressorti en 2020).

 

toubib
© Antoine Page, Toubib (2024)

 

 

“Toubib”, lui, a nécessité douze années de tournage. Et une organisation un peu particulière. “Je m’adaptais aux situations, je filmais différemment selon les lieux”, explique Antoine Page. “La première année d’études d’Angel, c’est plus un huis-clos angoissant. On le voit bachoter, sombrer petit à petit. Il n’en peut plus”, prolonge le grand frère. A partir d’un an de tournage, le réalisateur obtient les autorisations pour filmer à la faculté et au CHU de Besançon. “On a eu aucun problème [sur cet aspect-là], et c’est surtout dû à ma manière de filmer. J’étais seul à filmer, sans équipe. Puis, le documentaire est vu sous le prisme d’Angel, donc le principe n’était pas de filmer tous les protagonistes d’un service, mais lui. Ça a [aussi] simplifié les démarches”, détaille-t-il.

 

 

Entre 2009 et 2021, quelques semaines par an, il rejoint donc son frère sur ses différents lieux de stage de Besançon à Marseille – où Angel Page a réalisé son internat. “‘L’idée était de filmer tous ses stages, mais pas forcément trop longtemps. Je filmais en général trois ou quatre jours par lieu. Mais ce qui était difficile pour moi, c’est que je ne revenais jamais dans la même [structure], donc il fallait que je me refasse accepter à chaque fois”, explique Antoine Page. Un rythme “pas trop lourd” à supporter pour son frère, déjà bien occupé par ses études. “Beaucoup de [nos] entretiens se passaient en dehors du monde médical, précise Angel Page. [A l’hôpital], il fallait quand même organiser les tournages […] J’avais toujours un peu d’anxiété avant qu’Antoine arrive dans le service, mais ça a finalement toujours été de bons moments.”

 

“ Le documentaire prend une tonalité de journal intime ”

 

En septembre 2011, alors en troisième année, l’étudiant en médecine s’envole pour Sofia en Bulgarie, où il réalise un Erasmus. Pour la première fois, son frère n’est pas directement derrière la caméra. Mais Angel continue de lui donner des nouvelles via sa webcam. Les petites capsules vidéo s’enchaînent alors. “C’est là où le documentaire prend plus une tonalité de journal intime”, glisse Antoine Page. Adaptation à sa nouvelle vie, épuisement lié à ses études, réflexions sur le décès de son père et sur son désir de faire médecine… Le documentaire aborde alors une série d’éléments “très intimes”, “qui mélangent aussi la famille”, ajoute le réalisateur : “Je ne savais pas que ça allait être le cas [lorsqu’il a débuté son projet, NDLR].”

 

 

La question de l’évolution de l’exercice médical et des attentes des jeunes blouses blanches est également centrale. Passant en revue douze années, “le documentaire met aussi en avant les questionnements d’un étudiant qui aime vraiment son domaine, mais qui réfléchit à comment l’exercer d’une autre manière”, résume Antoine Page. Ces interrogations “reflètent, j’imagine, une pensée des jeunes médecins” aujourd’hui. “C’est l’idée d’exercer de manière différente, de ne pas [forcément] bosser H24 et être lié à vie à un lieu et à une patientèle”, comme cela pouvait être le cas des anciens médecins de famille, complète le réalisateur qui, pendant plus de six mois, a monté seul les images du documentaire.

 

toubib
© Antoine Page, Toubib (2024)

 

Plus que la médecine et les questionnements sur son exercice, “Toubib” parle surtout de “quelqu’un qui se construit autour de la notion de travail”, pense, de son côté, Angel Page. “C’est ce qui rend ce documentaire universel et le rend, peut-être, plus intéressant que s’il parlait exclusivement de médecine”, poursuit celui qui a toujours voulu être généraliste. Malgré les difficultés et les nombreuses réflexions abordées au fil du documentaire, Angel Page assure ne jamais “avoir vraiment pensé à arrêter” ses études : “Ça m’a traversé l’esprit un peu, mais jamais suffisamment sérieusement.”

 

“ J’ai supprimé de ma mémoire le fait que c’était vraiment dur ”

 

Les derniers instants de “Toubib” se déroulent en 2021 au “Château en santé” à Marseille, où Angel Page – désormais diplômé – est en remplacement. Le jeune médecin découvre dans ce centre de santé communautaire un véritable “sens” à son métier ; il y exerce désormais pleinement. Initialement, “je m’étais dit que j’arrêterais de [le] filmer après sa thèse, mais j’ai finalement filmé deux années après quand il est dans sa vie professionnelle et fait ses propres choix”, développe Antoine Page. Une manière de “boucler la boucle” et de voir où les réflexions d’Angel l’ont mené.

 

 

Après douze années de tournage, Angel Page ne le cache pas : il avait un peu d’appréhension avant de visionner, pour la première fois, le documentaire de son frère. “J’étais méga angoissé. J’avais l’impression que j’allais passer un partiel”, confie le médecin. Des craintes vites balayées : “J’ai [finalement] passé deux heures captivé.”

 

toubib
© Antoine Page, Toubib (2024)

 

Ce visionnage lui aussi permis de se remémorer quelques souvenirs, déformés ou oubliés. En particulier, sur sa première année. “Avant le film, je disais que c’était l’année qui m’avait le plus plu pendant mes études, rembobine Angel Page. Mais le fait est que ce n’est pas du tout ce que je raconte dans le documentaire pendant cette année […] J’ai supprimé de ma mémoire le fait que c’était vraiment dur. Je ne me souviens que de ce qui m’intéresserais, c’est-à-dire les cours, les connaissances théoriques que j’aimais bien…” Avec ce documentaire désormais, impossible pour lui d’oublier : “Antoine est la seule personne avec qui j’aurais pu accepter de faire ce [projet]. Il faut donner sa confiance au réalisateur et ce n’est pas donné à tout le monde.”

Toubib (1h53), réalisé par Antoine Page et produit par La Maison du Directeur, disponible à partir du 28 août dans plusieurs villes de France. Plus d’informations ici.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Chloé Subileau

Sur le même thème :
Médecins de mère en fille, elles racontent comment la parentalité a affecté leurs études
“Je n’ai pas l’impression de sacrifier ma vie” : infirmière et officier de marine, elle a repris ses études à 32 ans pour devenir médecin
Un documentaire choc sur le CHU de Grenoble mis en ligne sur Youtube
Jumelles et médecins généralistes : “L’idée, c’était d’avancer ensemble”