Avec plusieurs mois de retard, le service d’accès aux soins (SAS) va pouvoir être étendu à l’ensemble du territoire français. Le décret actant sa généralisation est paru au Journal officiel le 15 juin dernier. Le texte organise son fonctionnement dans chaque département, et notamment celui de la régulation médicale ambulatoire. Mais alors que le dispositif pourrait enfin décoller, une ombre au tableau se dessine. Celle d’un projet de décret qui viendrait « court-circuiter » le SAS et mettre à mal « deux années de combat syndical », alerte le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF.

 

Le décret généralisant le SAS est paru le 15 juin dernier. Êtes-vous satisfait de ce qu’il contient ?

Il y a eu énormément d’avancées dans ce texte. Cela représente plus de deux ans de combat. On se bat depuis la parution de l’avenant 9 à la convention médicale. D’emblée, notre syndicat avait appelé au boycott du SAS car le dispositif obligeait les médecins y participant à avoir un agenda interfacé avec la plateforme nationale et, si tel n’était pas le cas, ils étaient sanctionnés de 1 400 €. Ce qui n’est plus le cas désormais. Le décret acte aussi la possibilité, pour les régions qui utilisaient avant la parution du décret un numéro dédié à la permanence des soins (le 116-117 en Pays de la Loire, Normandie et en Corse, par exemple, ou un numéro à quatre chiffres en Bourgogne Franche-Comté), de conserver ce numéro. Cela a du sens.

Dans une première version du décret, présenté l’an dernier, il y avait une remise en cause de la régulation délocalisée. Cela revenait même à remettre en cause la permanence des soins de certains départements. On interdisait aussi à des médecins, en cumul emploi-retraite qui n’avaient pas d’activité clinique, de devenir régulateurs du SAS, alors qu’ils faisaient de la régulation de permanence des soins ambulatoires (PDSA) depuis dix ans… Dorénavant, c’est renvoyé à l’Ordre des médecins qui devra leur fournir une attestation.

 

Cela n’était pourtant pas gagné…

La Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam) et la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) n’en démordaient pas malgré les promesses des ministres. Elles ont compris que, si elles restaient sur la même voie, il y aurait des départements dépourvus de SAS, et même des départements dans lesquels les SAS existants s’arrêteraient.

 

Pourquoi les instances restaient jusqu’ici campées sur leurs positions ?

Elles voulaient tout maîtriser de Paris, avoir une vision omnipotente sur l’organisation des soins. Ce qui préoccupe la DGOS, ce n’est pas l’accès à des soins non programmés pour la population française en médecine générale, mais les services d’urgence. S’il n’y avait pas eu de problèmes aux urgences, il n’y aurait d’ailleurs jamais eu de SAS.

Les instances voulaient aussi avoir des indicateurs en termes d’évaluation. Les syndicats médicaux ont effectué un travail remarquable avec le Conseil national de l’Ordre, le Dr Antoine Leveneur, président de la Conférence nationale des unions régionales des professions de santé (CN-URPS), etc. La Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) et MG France ont formulé les mêmes demandes, les mêmes modifications à apporter au décret. Je crois que cela a fini par porter ses fruits. Les instances ont vu notre détermination sur ce dossier. Nous croyons au SAS. Je suis moi-même en train de participer à la mise en place d’un SAS en Mayenne. Nous pensons que cela va permettre d’améliorer l’accès aux soins. Pour l’heure, nous avons juste un SAS le samedi matin.

 

L’utilisation de la plateforme numérique nationale représentait un réel point de blocage. Le décret incite à son utilisation, mais sans poser d’obligation. C’est une victoire ?

La plateforme, pour nous, n’est qu’un outil. On a des SAS qui fonctionnent remarquablement bien en France (en Vendée, par exemple) alors qu’ils n’utilisent pas la plateforme. On ne comprenait pas qu’on veuille l’imposer. Un outil, c’est fait pour répondre à des besoins. Si on n’a pas besoin de cet outil, on ne doit pas obliger à l’utiliser.

 

La phase de généralisation va pouvoir démarrer. Actuellement, les SAS couvrent 87 % de la population selon le ministère. Est-ce qu’il va y avoir un effet accélérateur ?

J’ai réalisé un tour de tous les territoires de mon département, la Mayenne, soit 8 secteurs de garde. La crainte des médecins, surtout dans des départements ruraux où il y a d’importants problèmes de démographie médicale, c’est que l’on augmente encore plus leur charge de travail. Or nous avons déjà réorganisé la permanence des soins, et cela fonctionne bien. Dans mon département, nous avons un SAS le samedi matin, ce qui veut dire que les médecins peuvent partir en week-end le vendredi soir.

Face à des problèmes de démographie médicale, ce qu’il y a de pire, c’est de ne pas être organisé. Le SAS permet de mettre en place une organisation. Il est vrai que cela nécessite d’avoir des médecins régulateurs. C’est un engagement collectif. Si nous n’avons pas d’effecteurs, il n’y a aucun intérêt à avoir un SAS. Il faut faire comprendre aux médecins que, s’ils s’engagent collectivement, cela ne représentera même pas un patient par jour : ils le font déjà pour dépanner un confrère absent ! Si, sur un territoire de 19 médecins par exemple, seulement 1 ou 2 médecins participent au SAS, cela va être infernal. On va leur demander de prendre chacun 7 ou 8 actes par jour… Le SAS, c’est comme la permanence des soins : si vous êtes seul à y participer, vous êtes de garde tous les soirs…

 

Vous craignez par ailleurs l’apparition d’un obstacle majeur : le gouvernement vous a présenté un projet de décret qui pourrait court-circuiter le SAS…

Le gouvernement nous a communiqué un projet de décret sur l’accueil des urgences, qui va clairement impacter le SAS. On nous a demandé de remettre notre avis avant le 1er juillet. Cela veut dire que le Premier ministre a probablement l’intention de sortir ce décret avant son départ… Ce texte prévoit que l’infirmière d’accueil et d’orientation d’un service d’urgence puisse réaliser des examens cliniques, et pour un patient qui n’a pas besoin de passer par le service des urgences, appeler directement l’opérateur de soins non programmés ou mettre directement un rendez-vous sur la plateforme nationale. On court-circuite le médecin régulateur du SAS, et éventuellement aussi celui de la PDSA, ce qui est un non-sens, car il joue un rôle important ! Dans les départements où un SAS fonctionne, sur 100 appels, seuls 25 à 50 environ sont envoyés aux médecins effecteurs. Le reste, ce sont des ordonnances envoyées au patient, des conseils, etc.

La proposition de ce décret, c’est de réorienter tous les patients qui ne relèvent pas des urgences vers les médecins généralistes. Mais les médecins ne voudront absolument pas interfacer leur agenda avec la plateforme nationale. Car les urgences vont le remplir avec des consultations qui ne sont pas nécessaires, et ils n’auront plus de place pour les soins non programmés de leur patientèle. Ce projet de décret impacte également la PDSA car cette réorientation des patients qui arrivent aux urgences concerne aussi les horaires de permanence des soins. Finalement, c’est 24 heures sur 24, 365 jours par an. Et ce, dès cet été si le décret sort. Il n’y a eu aucune concertation avant avec nous…

 

Cela risque-t-il de renforcer le sentiment que de nombreux médecins éprouvent, qui est que l’on se décharge sur la médecine de ville ?

Bien sûr. Il est vrai que certains patients vont aux urgences sans réelle justification. Pendant des années, les urgences n’ont rien fait pour limiter cet accueil, bien au contraire, en dehors de la crise sanitaire durant laquelle on disait aux Français de ne pas se précipiter. Cela a rapporté beaucoup d’argent aux hôpitaux, cela remplissait les étages, on fermait les urgences des cliniques privées… Là, on est face à un problème de ressources humaines qui oblige les établissements à prendre ce type de mesures. On a un vrai problème d’accès aux soins sur les territoires. On renvoie un patient en béquilles pour suspicion de fracture de cheville – pour lequel il est évident qu’il faut une radio – vers la permanence des soins. L’hôpital est malade au niveau de ses services d’urgence. Pourquoi ne pas faire réguler par le centre 15 toutes les personnes qui veulent se rendre dans un service d’urgence ?