L’année dernière, à l’issue des dernières ECNi, 12 % des places d’internat en psychiatrie sont restées vacantes. Un chiffre presque habituel pour la spécialité dont, chaque année, plusieurs postes ne trouvent pas preneur. Entre méconnaissance de la discipline, préjugés et peur d’abandonner la médecine physique, les futurs internes peinent à s’y intéresser. La psychiatrie est pourtant victime d’une pénurie de praticiens. Face à ce constat, les représentants étudiants et acteurs de la profession souhaitent agir pour rendre la discipline plus attractive et mettre fin à cette crise de vocations. Egora fait le point.

 

“Dans mon cas, on est à l’opposé d’un choix par défaut”. Luca, interne à Bordeaux, l’assure : il s’est très vite passionné pour la psychiatrie. “Dès la deuxième ou troisième année de médecine, je me suis intéressé à cette spécialité, rembobine le futur praticien de 31 ans, spécialisé en addictologie. Je trouvais qu’il manquait un rapport à l’humain dans mes études, je cherchais aussi un côté un peu plus philosophique.” Ils ne sont pourtant pas assez à partager cet intérêt pour la psychiatrie sur les bancs des facultés de médecine. Chaque année, lors de leur choix d’internat, les étudiants sont en effet nombreux à bouder cette spécialité, dont des postes restent vacants.

L’année dernière, 67 des 547 places d’internat en psychiatrie proposées sont restées libres, soit un peu plus de 12 %. “Jusqu’en 2018, il y avait entre 1 et 3 % de postes vacants puis en 2019, il y a eu 74 internes en moins. Cette année-là, on a eu un total de 17 % de places [non prises]. Ça a mis un coup de tonnerre à la spécialité”, détaille Nicolas Doudeau, président de l’Association française fédérative des étudiants en psychiatrie (Affep). D’après les chiffres de la Drees*, 15 582 psychiatres exercent en France, dont plus de la moitié comme salariés hospitaliers. En 2022 déjà, on comptait 30 % de postes de psychiatrie vacants à l’hôpital, d’après la Fédération française de psychiatrie (FFP). Ces chiffres se sont “probablement aggravés”, affirme le Dr Michel Jurus, vice-président de l’instance.

 

 

Malgré des disparités régionales, la spécialité manque cruellement de bras. Cette situation est d’autant plus inquiétante qu’aujourd’hui, “25 % des psychiatres français ont plus de 65 ans”, insiste le Pr Mircea Polosan, secrétaire général du Collège national des universitaires de psychiatrie (CNUP). “Dans quelques années, on risque [donc] de voir la pénurie de praticiens en psychiatrie s’accroître, alors que les besoins [des patients, NDLR] augmentent”, prolonge le professeur à l’université Grenoble-Alpes.

 

“Les gens ont une peur primaire de la psychiatrie”

Dans ce contexte, le manque d’intérêt des étudiants pour la psychiatrie est un très mauvais signal pour la discipline. Tous les ans, à l’issue des Épreuves nationales classantes informatisées (ECNi) – devenues les Épreuves dématérialisées nationales (EDN) – la spécialité fait partie des moins prisées. Ce “désamour” trouve son origine dans plusieurs facteurs, d’après le Pr Mircea Polosan. Parmi eux, “pas mal d’étudiants pensent à tort que la psychiatrie ne s’occupe que des personnes qui ont des troubles du comportement violents”, “que l’on assomme les patients avec des traitements médicamenteux”, ou encore “que les hospitalisations se font sans le consentement” du patient, analyse le professeur, se basant sur l’étude du CNUP, réalisée en collaboration avec l’institut CSA et rendue publique fin janvier. D’après les résultats de cette enquête, 37 % des étudiants en médecine disent même avoir “peur” de l’univers de la psychiatrie.

Pour Nicolas Doudeau, ces craintes s’expliquent surtout par “une méconnaissance” de la spécialité par les étudiants, et “de ce que l’on peut y faire”. Comme une large part de la population, ces derniers ont des préjugés sur les troubles mentaux et leur prise en charge. “Les gens ont une peur primaire de la psychiatrie, affirme le président de l’Affep. Ils ont en tête une image de la psychiatrie que l’on retrouve dans les films ou les séries, où les psychiatres sont des gens qui font des entorses déontologiques ou vont être un peu particuliers. Cela participe à un inconscient populaire sur la psychiatrie”.

 

 

Des préjugés auxquels a déjà fait face Franck, 30 ans. Après avoir choisi médecine générale à l’issue des ECNi, le trentenaire s’est finalement réorienté vers la psychiatrie pour travailler au plus près des patients. Ce choix a pu, dans un premier temps, interroger son entourage. “Dans ma famille, ça a été très déroutant pour certains, raconte l’interne, en dixième année de médecine. Ils m’ont dit que j’allais devenir fou, car il y a un mythe selon lequel ceux qui travaillent en psychiatrie sont aussi atteints de troubles mentaux.” En 2015, une enquête de l’Affep avait estimé à 56 % le nombre d’internes – toutes spécialités confondues – pensant que les étudiants en psychiatrie ont “probablement des antécédents personnels psychiatrique et qu’il[s] [sont] bizarre[s]”.

 

Une spécialité pas assez reconnue

Pour Franck toutefois, “le préjugé le plus difficile en tant que psychiatre, c’est que nous ne serions pas de [vrais] médecins.” Certains confrères, d’autres spécialités, “supposent que l’on ne sait pas de quoi on parle ou n’ont pas confiance en nous”, avance l’interne à Paris. Un “manque de considération” que pointe aussi le Pr Mircea Polosan. Citant l’étude du CNUP, il rappelle que 62 % des étudiants en médecine considèrent la psychiatrie comme moins prestigieuse que les autres spécialités. Elle attire pourtant “de très bons étudiants, dont certains très bien classés aux ECNi”, assure l’universitaire.

Du côté des carabins, cette “image de faux médecin”, couplée à la trop faible attractivité de la discipline lors du choix d’internat, “porte forcément défaut à la spécialité”. “Dans un monde où les spécialités sont choisies sur classement, celles qui restent vacantes sont jugées moins prestigieuses”, pense Jérémy Darenne. Pour expliquer les réticences de certains apprentis médecins, le président de l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf) avance un autre facteur, “inhérent” à l’exercice de la psychiatrie. Selon Jérémy Darenne, des étudiants excluent la psychiatrie de leurs choix car “ils considèrent qu’il y a trop de social” dans cette pratique ou craignent de ne pouvoir faire du “soin somatique”. “Cela joue aussi”, glisse le représentant de l’Anemf.

 

 

“L’une des inquiétudes que l’on peut avoir en tant qu’étudiant en médecine, c’est la peur de raccrocher le stéthoscope et de ne plus faire de médecine physique, confirme Franck, qui assure ne jamais avoir regretté sa réorientation. C’est une peur tout à fait compréhensible, mais qui est de plus en plus fausse.” Face au manque de médecins, “les personnes atteintes de troubles psychiatriques ont tellement de mal à voir un généraliste que l’on se retrouve aussi à faire de la médecine d’urgence”, assure le futur praticien, précisant également que “les diagnostics en psychiatrie se font par élimination” ce qui lui permet d’exercer la médecine sous différents aspects.

D’autres étudiants estiment, eux, que cette spécialité est trop isolée. D’après l’étude du CNUP, ils sont 63 % à partager cet avis. Cette vision est “en partie structurelle“, croit Nicolas Doudeau. Elle provient, en effet, “du fait qu’on est l’unique spécialité” qui peut être la seule à exercer dans certaines structures hospitalières. “On peut être seuls à 100 % dans nos hôpitaux”, appuie le président de l’Affep. De plus, “géographiquement“, les hôpitaux psychiatriques sont souvent “mis à part”, ajoute, de son côté, Luca. “Cela crée un distinguo [avec les autres pratiques] qui ne devrait pas être ou, du moins, il ne faudrait pas que ce soit aussi clair”, complète l’interne en psychiatrie à Bordeaux.

 

Généraliser les stages et revoir les enseignements

Malgré toutes ces réticences, Nicolas Doudeau tient à relativiser. Si la psychiatrie peine encore à attirer, les carabins qui rejoignent la spécialité ne le font pas par défaut. Pour “83 % des internes en psychiatrie”, cette discipline était même leur premier choix, souligne-t-il, citant une étude coréalisée en 2021 par l’Affep, l’Anemf et l’Ajpja**. D’après cette dernière, 82 % des étudiants choisissent la psychiatrie pour la qualité de vie qu’elle offre, 70 % pour la possibilité de pratiquer de la psychothérapie et 56 % pour celle d’exercer en libéral.

 

 

Afin d’attirer un plus grand nombre de carabins vers cette spécialité, plusieurs solutions sont envisagées. Parmi elles, l’incitation à réaliser des stages en psychiatrie pendant l’externat. “Lorsqu’un étudiant réalise un [tel] stage, cela change pas mal son opinion, son avis et la note qu’il donne à la spécialité, explique le Pr Mircea Polosan. Le fait de réaliser ce stage lui permet de pondérer et d’améliorer l’imaginaire qu’il a en faveur de la psychiatrie.” À l’image de ceux en chirurgie ou médecine générale, ce stage en psychiatrie doit-il devenir obligatoire ? Le secrétaire général du CNUP s’y oppose, préférant “inciter” plutôt que contraindre les carabins. Face à la pénurie de professionnels, “il faut pouvoir proposer de stages vivants et encadrants aux étudiants, acquiesce le Dr Michel Jurus de la FFP. Il faut qu’ils puissent rencontrer des psychiatres heureux de faire leur travail.”

L’évolution des enseignements en psychiatrie dans les facultés de médecine est aussi au cœur des discussions. “La place de la psychiatrie dans les enseignements devrait être plus forte, dès le premier cycle. Il faut que l’on puisse avoir davantage d’enseignements sur la psychiatrie ou, dans d’autres cours, permettre d’apprendre des domaines qui tiennent de cette discipline”, avance le Pr Mircea Polosan. Du côté de l’Affep, Nicolas Doudeau plaide, lui, pour une réflexion globale sur les connaissances transmises aux apprentis médecins. “En psychiatrie, il faut peut-être que l’on réduise le corpus de connaissances, et que l’on réfléchisse aux messages clefs que l’on veut que les étudiants intègrent”, développe-t-il.

Le président de l’Affep propose également deux solutions supplémentaires. “A travers la pédagogie, on a d’autres leviers. Il est [en effet] difficile d’appréhender les patients à travers la lecture d’un livre, donc on pourrait réfléchir à un grand investissement dans la simulation à destination des externes”, avec notamment l’intervention de patients experts, poursuit Nicolas Doudeau. Enfin, un travail contre les stéréotypes doit être mené dans toute la société. C’est dans cette optique que le CNUP, notamment soutenu par l’Affep et l’Anemf, a lancé fin janvier une campagne d’information “Choisir psychiatrie“. “Son but est de rendre compte de l’intérêt de cette discipline, et du fait qu’elle sauve aussi des vies”, conclut le Pr Mircea Polosan.

 

* Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques.
** L’Association des jeunes psychiatres et des jeunes addictologues.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Chloé Subileau

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