Cardiologue et ex-membre du Conseil d’administration de l’Agence du médicament, le Dr Gérard Bapt est atterré par l’attitude de l’ANSM depuis le changement de formule du Levothyrox. Il dénonce le mépris réservé aux patients, et le défaut de précaution dont a fait preuve l’ANSM.
Egora.fr : Vous avez écrit une lettre à Agnès Buzyn pour lui demander d’ouvrir le marché français à d’autres formes galéniques du médicament, êtes-vous satisfait de ses annonces ?
Dr Gérard Bapt : Oui, la réponse de la ministre correspond tout à fait à mon vœu de prendre en considération la souffrance des patients, et ne pas se contenter de les renvoyer à leur médecin, comme faisait un peu le numéro vert de l’ANSM. D’autant qu’on connait la difficulté de stabilisation pour les médecins dans des situations de ce type, à condition que le patient accède facilement à un médecin… Que l’on puisse prescrire la thyroxine en gouttes dans un certain nombre de cas, et que l’on puisse rapidement avoir d’autres présentation de thyroxine sur le marché, c’est très positif.
La ministre a aussi bien intégré le fait qu’il y a eu un énorme problème de communication et de concertation. Il faut voir l’état physique de certains patients. Annie Duperey l’a très bien décrit, mais elle est loin d’être la seule. Je suis scandalisé qu’on puisse dire que c’est parce qu’on a entendu ça à la télévision que tout d’un coup, on se trouve des troubles. C’est scandaleux. D’autant qu’on sait que la thyroxine agit sur l’humeur.
Vous avez été membre du Conseil d’administration de l’Agence du médicament. Quel regard portez-vous sur l’attitude de l’ANSM ?
J’ai un regard désolé. Après l’affaire de la grippe, du Médiator, de la Dépakine, et je ne cite que les plus grosses, voilà une nouvelle crise. Et tout cela érode encore la confiance, alimente la défiance. Voir que les mêmes erreurs se répètent sans arrêt… Quand on se lance dans la substitution d’un médicament alors qu’il n’existe pas d’alternative, c’est un défaut de précaution !
L’ANSM a agi avec légèreté quand elle s’est engagée sur la substitution d’un produit par ce qui peut être considéré comme un générique. On sait que la fenêtre thérapeutique du produit est très étroite, grâce à des antécédents d’échecs d’introduction de génériques dans les années 2010 et 2012 par les laboratoires Biogaran et Téva et des antécédents internationaux en Nouvelle-Zélande et aux Pays-Bas. On aurait pu s’inspirer de ce qu’il s’est passé ailleurs pour être plus prudent. Aux Pays-Bas, il avait déjà eu un produit Merck retiré en catastrophe.
Il a fallu attendre le début de la pétition des patients pour avoir une réaction. C’est quand même un échec de traitement des données de la pharmacovigilance. Ce n’est pas normal qu’on ait mis tant de temps pour réagir et mieux informer.
Les médecins ont bien reçu un courrier, mais il n’était pas susceptible d’attirer vraiment leur attention. Certains pharmaciens disent même qu’ils n’ont rien reçu, ils ne l’ont même pas vu. Le même courrier a été adressé aux associations, mais ça n’a pas été une incitation particulière pour lancer l’information auprès de leurs adhérents. Il faut ajouter que la notice de la nouvelle formule est particulièrement pauvre et peu explicite.
Cette affaire ne met-elle pas en lumière des dysfonctionnements au sein de l’ANSM ?
Si, bien sûr. Il y a des problèmes de fonctionnement avec ce portail unique de vigilance, sur lequel les patients peuvent faire leurs notifications directement. Toutes les alertes possibles sont destinées à être transmises sur cette plateforme. Ces informations sont souvent noyées ou inexploitables. Or ce portail des vigilances a même buggé ces derniers jours. Je crois que les notifications, il vaut mieux les faire passer par le pharmacien ou le médecin.
Que faut-il faire pour ne pas assister à une nouvelle crise, basée sur les mêmes problèmes ?
Je pense qu’il faut avoir beaucoup plus d’interactions avec les assurés sociaux, pour essayer de prévenir les crises. L’Agence a mis en place cette année un service destiné à la détection des signaux faibles. Mais en l’occurrence, malgré les premières notifications, ce n’est pas l’Agence qui a réagi mais les patients. A l’évidence, il y a un problème de mise en pratique d’une intention positive…
Cette crise pourrait peut-être faire l’objet d’une mission parlementaire. Moi, je ne suis plus député. Je ne peux pas proposer ça. Il y a encore des gens qui peuvent se saisir de ces questions. Je pense par exemple à Olivier Véran pour la majorité, ou à Jean-Pierre Door pour l’opposition. Il faut une réflexion sur les évolutions à mener. On va de crise sanitaire en crise sanitaire. A chaque fois ce ne sont peut-être pas des scandales, mais le scandale, c’est la répétition des crises sanitaires.
Je tiens à ajouter qu’il faudrait mieux étudier la pharmacodynamique des excipients. Surtout quand on parle de produits qui concernent des millions de personnes. Il y a d’autres excipients dans le Levothyrox, qui n’ont pas changé. Est-ce que l’action de ces autres excipients n’a pas été modifiée par l’ajout du nouvel excipient ? L’association des malades de la thyroïde m’a aussi signalé deux cas de femmes enceintes, dont la croissance du fœtus se serait arrêtée après la prise de la nouvelle formule. Quand on connaît l’importance de la thyroxine sur la croissance à la fois physique et cérébrale du fœtus, ça interpelle. Je souhaite donc qu’il y ait un suivi après la naissance des nouveau-nés concernés. Je crains un effet Depakine-like.
Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier
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