C’est une première en France. Un classement des facs de médecine en fonction de leur indépendance vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique vient d’être publié par le Formindep, une association de formation continue. Et pour le moment, les résultats ne sont pas bons. Viennoiseries à gogo, matériels en tout genre, formations théoriques voire intrusion dans la salle d’opération… A l’Université, les laboratoires occupent le terrain.
 

 

C’est l’histoire d’un petit-déjeuner proposé aux étudiants, de stylos offerts, de réglettes ECG distribuées par dizaines, d’un concours pour gagner un voyage à New-York, ce que les praticiens les plus anciens ont toujours connu. Le tout sur le compte d’un laboratoire pharmaceutique dont le nom est toujours bien visible… “Ce genre de petits cadeaux sont très fréquents lors des stages à l’hôpital. Et lorsqu’ils sont répétés, ils peuvent avoir beaucoup d’influence”, glisse un externe de 6ème année.

Pour empêcher l’influence commerciale des laboratoires dans les universités, un classement des facs de médecine françaises en fonction de leurs liens avec l’industrie pharmaceutique vient d’être publié dans la revue scientifique PLOS ONE. C’est une première en France. Ce travail de recherche, mené par l’association Formindep, s’inspire d’un classement similaire mené aux Etats-Unis depuis dix ans.

 

“Il y avait urgence d’une prise de conscience”

“Cadeaux”, “conférenciers”, “visiteurs médicaux”, “évènements à la fac”, “publication”… Au total 13 critères ont servi au groupe de travail composé de deux médecins, de trois étudiants en médecine et de deux chercheurs pour établir ce classement. Et c’est la fac de Lyon-Est qui se place en tête. Elle totalise 5 points sur un maximum de 26 en raison des initiatives prises pour éviter les conflits d’intérêts sur les critères : “évènement à la fac”, “curriculum” et “financement”.”

“Lors de la fusion de trois universités lyonnaises en 2009, nous avons eu l’occasion de revoir l’ensemble des programmes. Nous avons alors décidé de préserver notre indépendance en refusant les investissements privés. Le fait de faire construire un amphithéâtre par un laboratoire et d’exposer sans cesse les étudiants à une marque a un impact indéniable sur la prescription de nos futurs médecins”, explique le Pr Jérôme Etienne, doyen de l’université dans les colonnes du FIgaro. Angers arrive en deuxième position, avec 4 points. Ensuite, 7 universités marquent un seul point en raison de l’attention portée aux “curriculums”. Les 28 autres établissements français ne marquent aucun point, aucune mesure n’ayant été adoptée en ce sens. Autant dire que la première édition de ce classement de l’indépendance des facs françaises vis-à-vis de l’industrie fait plutôt pâle figure.

“Ce n’est que le premier, tempère Claire Corbillé, étudiante en 4ème année et vice-présidente de l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf), qui soutient la démarche.Il s’est passé la même chose aux Etats-Unis, mais 10 ans plus tard, on peut dire que leur dernier classement est réjouissant, avec certaines facultés qui obtiennent de très bonnes notes.” “Il faut avant tout saluer l’initiative, abonde l’externe et bloggeur Litthérapeute. Il y avait urgence d’une prise de conscience. Maintenant, les choses doivent s’améliorer. Il ne faut pas voir ce classement comme un document qui pointe les mauvaises pratiques, mais comme un outil d’évolution.”

 

“Les laboratoires sont nos amis”

Gabriel est externe en 6ème année. Il se souvient du jour où il a assisté à un “cours” dispensé par un laboratoire. “Stage aux urgences, on nous dit qu’on va avoir un super cours dans une semaine de simulation cardiologie/urgence. Un bon teasing qui nous donne envie à tous d’y aller. Le jour J, à l’arrivée dans la salle de staff : croissants, jus de fruits et deux personnes inconnues au bataillon. On a finalement une présentation de 20 minutes sur un nouveau super traitement anti-agrégant qui sauve des vies, de jolis graphiques, etc (…) Puis, quand c’est fini, tout le monde se jette sur les croissants, et on doit signer une feuille d’émargement pour le laboratoire. Pour ma part, je me lève et je commence à partir sans rien prendre, ni signer. Le médecin m’arrête, il se met entre la porte et moi et me demande ce que je fais. Je lui dis que je veux partir, que je souhaitais assister à un cours et pas à une publicité pour un laboratoire. Alors le médecin me dit que les laboratoires sont nos amis, qu’ils ne nous obligent pas à prescrire leur médicament par la suite, etc… Puis me redemande d’aller signer l’émargement. Personne ne réagit parmi les collègues internes et externes.”

Certaines fois, les laboratoires s’immiscent jusque dans la salle d’opération. “J’étais en stage de chirurgie, raconte Alexandre, externe en 5ème année, et j’ai eu la bonne surprise de trouver des viennoiseries dans la salle de pause du bloc opératoire. Un représentant d’un laboratoire était présent. Nous n’étions pas prévenus de sa venue. Ensuite il s’est changé avec nous dans le vestiaire du bloc opératoire. Il est venu dans sa salle d’opération avec le reste de l’équipe médicale et paramédicale sans prévenir la patiente (ni l’équipe). Il a donc assisté à toute l’opération et a beaucoup flatté le chirurgien pendant l’acte ; ce qui a d’ailleurs prolongé la durée de l’opération. Il n’a même pas fait de démonstration d’outils de chirurgie. J’ai trouvé cela étonnant et choquant. Sachant que si vraiment il voulait présenter un produit au chirurgien, il aurait pu attendre la fin du bloc opératoire.”

 

“Ce n’est qu’un croissant, ça ne va pas acheter ton indépendance”

D’autres encore rapportent des visiteurs pénétrant dans le bureau des internes chargés de plaquettes et de stylos, des professeurs ventant des médicaments et acceptant des repas offerts, des laboratoires qui payent le traiteur pendant le cours d’un médecin… A un étudiant qui s’étonnait de la promotion d’une enseignante connue pour ses rapports étroits avec l’industrie pharmaceutique, un professeur a répondu : “Vous savez, si vous faîtes le tour de la table ici, vous n’en trouverez pas un qui n’ait pas de lien avec l’industrie donc, bon…”

Si les carabins qui manifestent leurs distances par rapport à ces intrusions de l’industrie sont encore minoritaires, c’est en raison d’une “banalisation” de la présence des laboratoires au sein de l’université, avance l’externe et bloggeur Litthérapeute. “Un jour que je me tenais à l’écart des visiteurs médicaux, un étudiant m’a dit : “Ce n’est qu’un croissant, ça ne va pas acheter ton indépendance !” C’est de l’influence inconsciente, il n’y plus cette démarche d’attention. Les étudiants apprennent beaucoup par mimétisme. Si on montre que des gens importants de l’université sont en lien avec l’industrie, que c’est normal, l’étudiant intègre ces liens, cette porosité.”  Pourtant, ne peut-on pas avoir des liens sans avoir des conflits ? Une certaine collaboration entre industrie et monde médical n’est-elle pas indispensable aux avancées scientifiques ? “C’est un discours de facilité, balaye l’externe.Tenir ces paroles, c’est de la fainéantise, du conformisme. Ça nuit à la possibilité d’imaginer des situations alternatives.”

 

Esprit critique

“C’est durant les études que se forgent les valeurs, les normes, les habitudes et le réseau amical, que certains plis plus ou moins heureux se prennent, parfois pour la carrière entière”, notent les auteurs du classement. D’où l’importance d’agir dès les premières années de formation. Ce travail, espère notamment l’Anemf, qui mène de combat depuis plusieurs années, doit permettre de sensibiliser les étudiants, de faire naître un esprit critique dans leurs relations à l’industrie pharmaceutique mais aussi de peser sur les universités pour que cette dimension critique soit plus présente dans la formation des futurs médecins.

Pourtant, ici et là des initiatives étudiantes fleurissent. Il y a quelques mois, un collectif d’étudiants en médecine publiait et diffusait un livret intitulé “Pourquoi garder son indépendance face aux laboratoires pharmaceutiques”. A Nice, des étudiants ont fondé “l’Esprit critique niçois” et organise régulièrement des ateliers.

“Petit à petit, les choses vont changer, veut croire Litthérapeute.Ca va passer par les étudiants, et par ce type de classement. Il faut appliquer l’encouragement.” Restent quelques mesures simples que les universités pourraient facilement instaurer, se prend à rêver le carabin. “Chaque prof pourrait présenter sa déclaration d’intérêt, c’est fort et symbolique”, “dans les sujets d’examens, il faudrait s’astreindre à écrire la DCI et pas les noms commerciaux”, “il faudrait sensibiliser les étudiants, leur donner la formation nécessaire pour comprendre les enjeux”… “Et puis, on pourrait avantager les enseignants qui n’ont pas de liens avec l’industrie, ajoute l’étudiant incrédule.Mais ça, ça reste utopique.”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier