Chaque année, un médecin délivre quelque 100 000 pages de prescriptions… qui seront ensuite numérisées par le pharmacien, et souvent détruites. Un système peu écologique et chronophage auquel un jeune généraliste de Beuvrages (Nord) a décidé de s’attaquer. A la tête de l’association à but non lucratif Ordoclik’, le Dr Guillaume Gobert a développé un système d’ordonnances électroniques, qui améliorerait l’observance des patients.
 

 

Egora.fr : Pourquoi vous attaquer aux ordonnances papier ?

Dr Guillaume Gobert : Avec la pratique, je me suis rendu compte du temps d’impression et du nombre de papiers imprimés… Je suis installé depuis deux ans dans le Valenciennois et c’est déjà la troisième imprimante que j’achète ! J’imprime à peu près 750 pages par mois. Ces feuilles font quelques mètres dans la poche du patient pour se retrouver à la pharmacie, où finalement elles sont re-numérisées et se retrouvent dans le fond du sachet, quand elles ne sont pas détruites. Sans compter les nombreuses fois où le patient repasse au cabinet en disant : “Docteur, je ne retrouve pas mon ordonnance, est-ce que vous pourriez me la ressortir ?” Ça nous fait perdre du temps. Moi, je constate une vraie demande dans la vie de tous les jours, en consultation. J’ai du mal à comprendre pourquoi ça n’existait pas, étant donné qu’il y a beaucoup de choses informatisées maintenant. J’ai eu l’occasion de participer au concours d’idées Health Shapr pour développer cette application. 

Comment cela fonctionne, concrètement ?

Le but est que ce soit le plus simple possible. Il ne faut pas faire perdre de temps au médecin. L’idée, c’est que ça soit compatible avec tous les logiciels métier actuels, pour que ça puisse se connecter facilement. Une fois l’ordonnance rédigée sur le logiciel d’aide à la prescription, au lieu de l’envoyer vers l’impression, elle sera envoyée vers un serveur sécurisé, qui délivrera l’information aux destinataires : pharmaciens, infirmiers… Le patient, lui, recevra une copie consultative de son ordonnance avec les rappels de posologie.

Les professionnels de santé sont-ils prêts à abandonner le papier ?

J’ai appelé les confrères du secteur pour parler de mon projet. Et j’ai été agréablement surpris : ils sont tous assez enthousiastes. Il y en a même quelques-uns qui veulent s’impliquer et participer aux phases de test. Il y a un de mes confrères médecins qui est encore à écrire ses ordonnances à la main – il en reste ! – qui est partant pour tester. Je pense qu’on peut faire changer les habitudes. C’est un vrai défi pour les quelques 10% de médecins qui sont encore aux ordonnances manuscrites…

C’est aussi bien accueilli par les hospitaliers, les radiologues, les biologistes, les pharmaciens, les infirmiers, les kinés, etc., qui doivent numériser les ordonnances pour justifier leurs soins. Ça fait gagner du temps à tout le monde. Pour les pharmaciens, l’intérêt c’est de pouvoir préparer en amont les médicaments. Une fois que l’ordonnance est envoyée sur le serveur et que le patient décide vers quelle pharmacie il va se tourner, on peut imaginer un pop-up pour prévenir le pharmacien de son arrivée.

Le système est déjà en vigueur dans d’autres pays ?

Ça existe au Danemark, en Finlande, au Royaume-Uni, en Andalousie. Et en mars dernier, l’ordonnance électronique a été rendue obligatoire dans l’Etat de New-York. En Finlande, le système a été généralisé en 2014. Il repose plus ou moins sur le même cahier des charges que le nôtre : un serveur sécurisé à double authentification pour les professionnels, un accès par identifiant pour les patients et un système de prescription intégré universel. Il est toujours possible d’imprimer les ordonnances, mais c’est très minoritaire.

Quels sont les bénéfices de l’ordonnance électronique ?

Une étude observationnelle, menée dans une clinique dermatologique du Texas(1), a montré une amélioration de l’observance de 16% par rapport aux ordonnances papier. L’étude ne dit pas pourquoi. Moi, je pense que l’ordonnance électronique est plus facile à consulter car elle sera dans le smartphone. Si elle est au fond d’un tiroir, le patient peut se dire : “Je vais prendre deux médicaments le matin, je crois que c’est ça”. Avec le système électronique, on peut imaginer faire des rappels, des alertes pour signaler la fin du traitement et la nécessité de renouveler l’ordonnance. Ça évite les deux-trois jours où le patient interrompt son traitement parce que l’ordonnance n’est plus valable.

Quels sont les obstacles techniques et juridiques à lever ?

L’ordonnance électronique était déjà portée par la loi du 13 août 2004 relative à l’Assurance maladie. L’idée était là, mais techniquement, ça a coincé. Rendre un système compatible avec tous les logiciels existants demande beaucoup de réflexion et de travail. Il faut pouvoir identifier le patient, permettre des allers-retours entre le prescripteur et le pharmacien pour savoir ce qui a été délivré ou pas… C’est compliqué.

Sur le plan juridique, il y a des règles à respecter car ce sont des données de santé. Il faut des systèmes d’authentification forts et des serveurs sécurisés HADS [Hébergeur agréé de données de santé, NDLR]. Il faut que le Conseil de l’Ordre donne son aval et la Cniil son accord. On aimerait pouvoir lancer la phase de test dans la région à la fin du premier trimestre 2017.

Un médecin doit apposer sa signature sur l’ordonnance. Comment cela se fera avec le système électronique ?

Actuellement, en garde par exemple, il y a pas mal de médecins qui envoient des ordonnances par mail. Il n’y a pas de textes qui l’interdisent ; il faut juste que ce soit envoyé dans un format non modifiable. Dans ce cas-là, la signature est scannée. L’idée avec Ordoclik’, c’est d’avoir une signature numérique. Il y a un certificat sur la CPS pour ça. La CPS devrait être mise à jour d’ici quelques mois pour rendre cette fonctionnalité plus accessible. En attendant, ce sera une signature scannée. Si ça c’est fait dans d’autres pays et que ça fonctionne, il n’y a pas de raison qu’on y arrive pas en France.

 

1- Adewole S. Adamson, Elizabeth A. Suarez, April R. Gorman. Association Between Method of Prescribing and Primary Nonadherence to Dermatologic Medication in an Urban Hospital Population, JAMA Dermatol, 26 octobre 2016.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aveline Marques