En France, 68 859 personnes sont aujourd’hui incarcérées, un record absolu ! Reportage au sein de l’Unité de consultation et de soins ambulatoires (Ucsa) de la – petite – maison d’arrêt pour femmes de Versailles (86 détenues), vingt ans après la loi du 18 janvier 1994, qui a confié au service public hospitalier la prise en charge des personnes détenues.

 

Barreaux aux fenêtres, pièces exiguës, mur épais… pénombre malgré le soleil du matin déjà haut, à l’extérieur. “Le sentiment d’enfermement est réel”, partage Séverine, une jeune et souriante infirmière, future jeune maman. Attablée à un grand bureau en compagnie de Marie-Laure, une pétulante quinqua, Séverine s’affaire dans un local aux murs blanc cassé, à la fois lieu de consultation, salle de petite urgence, bureau administratif et pharmacie. La liste des détenues ayant sollicité, la veille, une consultation médicale via une demande aux surveillantes ou un mot glissé dans une boîte aux lettres est en évidence. Aux infirmières de sélectionner celles qui doivent voir un médecin le jour même, celles qui peuvent attendre. L’administration pénitentiaire, ensuite, décidera du créneau horaire, en fonction des contingences propres à la vie en prison : parloir, promenade, déjeuner…

 

Le Subutex se revend bien à l’intérieur des murs

Régulièrement, les infirmières sont également amenées à réaliser un bilan de santé des nouvelles détenues en lien avec un médecin généraliste. Parmi les points de vigilance, l’état psychologique – le risque de suicide en prison étant très élevé les premiers jours de détention–, les pathologies chroniques, les maladies à risque épidémique mais également les addictions. Plusieurs femmes suivent ainsi un sevrage au sein de la maison d’arrêt (MAF). Mais les infirmières qui remettront les substituts doivent être vigilantes : le Subutex se revend bien à l’intérieur des murs.

Consultation pour de l’aigu ou du chronique, psychothérapie ou, les jours de permanence, rendez-vous avec le chirurgien-dentiste… Toute la journée, jusqu’à 17h30, les détenues, prises en charge à 100%, vont se succéder. Parmi la demi-douzaine de patientes venues le matin en consultation : Sophie, 34 ans. Assise dans la salle d’attente, la jeune mère de famille, incarcérée depuis plusieurs mois, ressemble à une patiente comme une autre : libre de ses mouvements, sans gardien à ses côtés, elle feuillette un magazine people. Au sein de l’unité de soins, la détenue n’est de fait plus tout à fait en prison. Officiellement, elle est même à l’hôpital. Depuis la réforme de 1994, les professionnels de santé exerçant en prison ne dépendent en effet plus du ministère de la Justice mais de celui de la Santé. L’administration pénitentiaire met les murs à disposition d’un hôpital public – ici, celui de Versailles –, tout le reste est l’affaire de l’établissement de santé : matériel, médicaments, personnel…

 

Les injures sont légions

Sophie a récemment bénéficié d’une “extraction”, une intervention réalisée dans un établissement de santé pénitentiaire (comme celui de Fresnes) ou un établissement classique et qui nécessite la mobilisation d’un véhicule sécurisé. Julia, une énergique médecin généraliste, va recevoir Sophie seule, pour échanger avec elle sur les résultats de l’examen dans un cabinet dédié aux soins généraux et psychiatriques. Une promiscuité qui n’inquiète pas le médecin. À Versailles, les agressions sont quasi inexistantes. À Bois-d’Arcy, une maison d’arrêt pour hommes (900 places) également suivie par le centre hospitalier et l’équipe de l’Ucsa de Versailles, elles restent aussi rarissimes, bien que l’ambiance y soit plus violente. “En revanche, les injures y sont légion. Dans ces cas-là, nous arrêtons la consultation”, explique Julia. En cas de problème, les soignants comptent aussi sur la rapidité de réaction des surveillants, qui peuvent être alertés grâce à des alarmes installées dans la plupart des pièces de l’Ucsa.

La relation de confiance est forte entre les fonctionnaires de la Justice et de la Santé à Versailles, en dépit du fait que les médecins, comme dans d’autres prisons, rechignent à participer aux commissions pluridisciplinaires uniques (CPU). Au sein de ces CPU, créées en 2009, des informations relevant du secret médical pourraient être sollicitées. Tout le temps où Sophie sera incarcérée à la MAF, les soignants en apprendront beaucoup sur sa santé. Mais probablement rien sur les raisons qui l’ont conduite derrière les barreaux. “Cela nuirait à notre relation au patient”, livre Béatrice, la médecin chef responsable des Ucsa de Versailles et de Bois-d’Arcy.

 

La prison sera l’occasion d’être mieux suivis

En fin de matinée, Béatrice et Julia, les deux médecins généralistes, sont reparties à Bois-d’Arcy. Après le déjeuner, les consultations reprennent. Lætitia, la psychologue, et Simon, le psychiatre, tiennent leurs permanences. Dans leur bureau, Séverine et Marie-Laure accueillent Fatima. Asthmatique, la détenue est angoissée, souffre de dyspnées. Les infirmières, qui l’ont déjà vue au cours de la semaine, discutent et plaisantent avec elle. Fatima sourit, s’apaise et explique se sentir mieux. Elle retourne dans sa cellule. “Certaines patientes sollicitent très régulièrement des rendez-vous, d’autres n’en demandent jamais”, partage Marie-Laure. Le corps est l’un des derniers éléments sur lequel une détenue peut avoir un semblant de pouvoir. La relation à la médecine s’en ressent : recherche d’affection, comportements consuméristes, chantage à la mauvaise observance ou tout simplement manifestations psychosomatiques… “Bon an mal an, livre Béatrice, les femmes qui rejoignent la prison sont en bonne santé. À l’extérieur, elles prennent soin d’elles en général.” Tout l’inverse de la situation constatée à Bois-d’Arcy. “Pour beaucoup d’hommes, la prison sera paradoxalement pour eux l’occasion d’être mieux suivis.”

L’après-midi touche à sa fin. Marie-Laure, la dernière soignante encore présente, met à jour les dossiers médicaux, avant de quitter les lieux. Une surveillante fermera derrière elle. “Cela fait dix ans que je suis en prison, calcule l’infirmière. Franchement, je ne le regrette pas.” Ce qui lui plaît tant ? “Le contact humain.”

 

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Jérôme Narcy