Dans Santé citoyens (Ed. de Santé), Christian Saout, ancien président du CISS et de Aides, analyse les dysfonctionnements de notre système de santé et adresse des mauvais points à tout le monde : Etat, assurance maladie, organismes de protection complémentaire, médecins et même associations de patients. Le magistrat espère par cet ouvrage, faire entendre la voix des patients alors que la future loi de santé publique, annoncée pour 2014, est en chantier.

 

Egora.fr : Vous décrivez dans votre livre, un système de santé brouillon, complexe, empêché par un empilement de lois, de structures et de doublons, qu’il est urgent de réformer…

Christian Saout : On a toujours accusé les représentants des usagers d’avoir une vision parcellaire. Je me suis appliqué à montrer que nous avions aussi une vision globale, et j’ai donc balayé le système de santé depuis la gauche du parebrise jusqu’à la droite. Et traitant du financement, de l’organisation, du soin, de la prévention, tout ce que ma position d’observateur depuis une quinzaine d’années me permet de penser.

 

Pourquoi publier cet ouvrage maintenant ? Pour peser dans le débat qui s’ouvre avec la préparation de la loi de santé publique annoncée pour 2014 ?

Je crois que je voulais porter témoignage de ce que les usagers du système de santé désirent, de manière globale. Aujourd’hui, nous intervenons surtout en réaction. En tant que responsable associatif, j’ai souvent été frustré dans l’organisation de la parole publique, d’avoir toujours été contraint d’exposer un point de vue sur des sujets extrêmement limités. Ensuite, j’avais souhaité offrir à nos concitoyens qui ne sont pas forcément habitués à lire des livres sur le système de santé, un ouvrage qui n’est pas un roman de gare, mais s’emploie à être d’un abord plus facile que les ouvrages théoriques voire scientifiques rédigés sur le système.

 

Et cette vision panoramique vous amène à dire que tout le monde est responsable…

En effet. Je ne voulais pas faire un plaidoyer pro-domo. Tout le monde a sa part dans le dysfonctionnement du système, l’Etat comme les parties prenantes. Lorsqu’on arrive à ce niveau de dysfonctionnement, c’est rarement la faute d’un seul acteur. Quand on lit les études internationales ou françaises, qui démontrent que 30 % des soins produits sont inutiles, et qu’on est en train de chercher de l’argent partout pour financer les innovations, on a envie de dire stop. Car 30 % de 175 milliards d’euros de dépenses d’assurance maladie, cela fait beaucoup d’argent. Il y a des collectivités publiques qui aimeraient bien avoir ces 52 milliards ! J’ai aussi voulu montrer que les actions nouvelles qu’il nous faudra mener ne nous ruineront pas. On peut prendre sur les dépenses inutiles.

 

C’est de l’optimisation musclée…

Oui, comme je le dis dans le livre, ce sera compliqué car cela nécessite de modifier les comportements. Ce qui est toujours plus compliqué que d’écrire un arrêté ou une loi. Je cite cette phrase d’Edgar Faure : “J’avais décrété le changement, mais les forces de l’immobilisme se sont mises en marche et je n’ai rien pu faire pour les arrêter.” Modifier les comportements nécessite une volonté farouche des acteurs et beaucoup de confiance entre ces acteurs et la puissance publique. Or, elle n’est pas au rendez-vous.

 

En tant que représentant des patients, vous avez un regard assez dur sur un certain nombre de dysfonctionnements que vous pointez du doigt : la désertification médicale, l’accroissement des dépassements d’honoraires…

Il s’agit peut- être d’un regard dur, mais je n’invente rien de ce que j’avance. Ces faits sont tirés de rapports publics, de l’Assemblée nationale, de la Cour de Comptes. Ce n’est pas moi qui suis dur, mais la réalité des rapports.

 

Mais vous vous étonnez que malgré ce que dénoncent ces rapports, la volonté politique fasse défaut. Et on a un peu l’impression qu’en pointillé, vous critiquez la démarche conventionnelle. Tant sur les dépassements d’honoraires – vous qualifiez de “risible” l’avenant N° 8 réformant le secteur à honoraires libres – qu’en matière de liberté d’installation. En outre, vous approuvez les réseaux de soins mutualistes qui permettraient d’améliorer l’accès aux soins tout en limitant les dépassements d’honoraires… Il s’agit de solutions devant lesquelles tous les gouvernements ont renâclé.

Oui. Cet ouvrage est dédié à ceux qui feront la stratégie nationale de santé et je pense que ce qui manque à tous, c’est une direction. On ne sait pas où on va et donc, tout le monde a peur, se crispe et se bloque. Les hospitaliers constatent que les prises en charge sont de plus en plus ambulatoires et de moins en moins hospitalières. Et en “off”, en privé, vous entendez les principaux responsables de l’hospitalisation, vous expliquer que dans vingt ans, l’hôpital pèsera la moitié de ce qu’il représente aujourd’hui. Alors, on va faire quoi ? Une crise comme pour la sidérurgie, comme pour le textile ? Pourquoi n’anticipe-t-on pas ? Tous les besoins explosent sur la ville, alors comment se fait-il que nous ne soyons pas capables de mettre en place une politique de soutien à la médecine de premier recours ? Je fais le parallèle avec la Défense nationale qui a fait l’objet de la publication de trois Livre blanc. Avec l’effondrement du mur, à l’est, on a dû changer la stratégie nationale de défense de la France. Eh bien on l’a fait, on a baissé les budgets de la défense nationale et les militaires se sont adaptés. Lorsque les choses sont dites, il y a suffisamment d’intelligence parmi les parties prenantes pour qu’elles s’adaptent.

 

C’est un constat assez désabusé.

Non, il est contributif. Il faut qu’on bouge car je ne pense pas que nous puissions mettre un point de PIB de plus sur la table pour la santé. On a tellement de contraintes économiques qu’on ne le fera pas. Il faut redéployer car il n’y a plus de marges de manœuvre. Lorsqu’on analyse le bilan de ces dix dernières années on voit que l’hôpital fait de moins en moins, mais qu’il coûte de plus en plus. Les besoins sont en ville, les financements à l’hôpital. Il y a tout de même quelque chose qui ne va pas.

 

Vous affirmez dans votre ouvrage qu’il ne faut pas renoncer à faire des choix. La voix des patients peut-elle servir d’aiguillon auprès des pouvoirs publics, pour aller dans ce sens ?

C’est l’ancien directeur de la CNAM Gilles Johannet, qui a coutume de dire que faire de la politique, c’est faire des choix. Le mieux, c’est de faire des choix concertés. Mais on a renoncé en France à faire un deuxième cycle d’Etat généraux de la santé après ceux de 1998 et 1999. Les débats actuels en région sur la stratégie nationale de santé, dont on ne sait pas vraiment vers où ils vont aller, représentent une bonne idée, mais semblent peu animés. Je ne sais pas si l’idée de stratégie nationale de santé parle aux gens car il ne s’agit pas de droits fondamentaux, comme dans les années 2000. Mais j’observe néanmoins que depuis plusieurs années, ce que l’on appelait le pouvoir patient dans les années 90 et 2002, s’est beaucoup effrité. On a vu la suppression de l’hypertension artérielle de la liste des ALD, l’arrivée des mouchards placés sur les appareils à pression positive continue, pour les malades de l’apnée du sommeil. Je vois que dans l’article 39 du projet de loi de financement de la sécurité sociale 2014, qu’on veut réduire l’accès des patients à l’innovation médicale. Je n’ai pas le sentiment que notre parole d’usagers de la santé soit prise en compte aujourd’hui.

 

Vous dites dans votre ouvrage que les patients doivent “arracher le droit des malades”.

Effectivement, on ne nous a jamais rien donné, il a fallu combattre à chaque fois. Or, on n’est pas très bon dans notre pays, sur les combats au long cours. Notre modèle, c’est la crise. On a beaucoup arraché dans les années 80-90 où nous étions confrontés à une triple crise : la crise du VIH, celle des malades nosocomiales et celle des maladies rares. L’émotion causée par les décès et les blessures humaines nous a permis de gagner sur ce terrain. Maintenant, nous traversons des difficultés moyennes, qui suscitent des émotions moyennes, pas encore parvenues à maturité. Peut-être que demain, un procès mettra en cause un directeur d’ARS qui n’a pas organisé la prise en charge médicale sur un secteur, ce qui a causé un décès.

 

Vous dites aussi que le droit des malades, c’est sans contrepartie.

Ah oui ! Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de règles de bon usage du système de santé. Le président de la CSMF a raison de se plaindre des rendez-vous non honorés, non décommandés et les hospitaliers ont raison de se plaindre des agressions qu’ils subissent dans les services. Mais nos droits, puisqu’il s’agit de droits fondamentaux, n’ont pas de contrepartie.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne