Quand bien même la ministre de la Santé Marisol Touraine continue d’affirmer, la main sur le cœur, qu’il serait contreproductif d’entraver la liberté d’installation pour repeupler les déserts médicaux, l’hospitalisation publique et le Sénat sont à la manœuvre pour imposer le contraire.

 

Le premier événement notable de l’offensive concerne le dernier salon Hôpital Expo, le grand show annuel et parisien de la Fédération hospitalière de France (FHF), où ses représentants entretiennent depuis près d’un an, des relations plutôt tendues avec la ministre de la Santé. Intervenant à l’occasion d’une table ronde présentant la deuxième édition du baromètre, “Les Français et l’hôpital” pointant notamment le recours de nos concitoyens aux urgences, qui saturent, le président Frédéric Valletoux a incriminé “le vrai problème” de la liberté d’installation des médecins, et de la participation de la permanence des soins en ville.

 

Secteur 2 réservé aux zones sous-dotées

“Les pouvoirs publics sont tétanisés à l’idée de remettre en question la liberté d’installation”, a-t-il insisté, en revendiquant le rôle de “mouche du coche” de la FHF dans ce dossier. Inutile de dire que cette saillie a valu au président quelques piques acides de la ministre de la Santé, auxquelles a succédé un tir de barrage fourni, tant des syndicats d’internes que des médecins installés, CSMF et FMF notamment. Interrogé par Egora.fr sur le fond de sa pensée, Frédéric Valletoux affirme aujourd’hui qu’“on a changé d’époque, à tout point de vue. C’est-à-dire que l’on ne peut plus laisser au seul mouvement spontané, l’organisation de l’offre de soins et on ne peut plus laisser au seul bon vouloir des uns et des autres, une bonne couverture pour l’ensemble des Français”.

La FHF imagine ainsi, réserver la possibilité de s’installer en secteur 2, aux seuls médecins plantant leur plaque en zones sous-dotées, les honoraires libres leur devenant interdits en zone sur-dotée. “Si un médecin fait le choix de s’installer en secteur sur doté, il n’y a pas de raison que la solidarité nationale paie des dépassements d’honoraires. Il s’agit d’une régulation qui ne remet pas en cause la liberté d’installation, mais ce n’est pas à l’assurance maladie de financer des praticiens qui s’agglomèreraient tous dans les mêmes territoires.” Le président estime que les mesures d’incitation mises en place ces derniers mois et années n’ont montré que des résultats “très faibles, des mouvements marginaux par rapport aux besoins car la tendance de fond est plutôt à l’aggravation de la situation et à la création de déserts médicaux. Le temps est venu d’être plus coercitif car la crise s’impose à nous et nos amène à considérer différemment les choses”.

 

16 mesures autoritaires

C’est également le point de vue développé par le groupe de sénateurs, toutes tendances politiques confondues, qui a présenté en février dernier un rapport approuvé à l’unanimité concernant la présence médicale sur l’ensemble du territoire, dans le cadre d’un groupe de travail “développement durable”. C’est dans le prolongement de ce travail, que le groupe vient de recevoir Marisol Touraine en audition ouverte le 11 juin dernier, pour l’interroger sur ce dossier puisque le rapport de février s’est traduit par une proposition de loi, non encore inscrite à l’ordre du jour.

Or, que dit le rapport ? Il dresse l’état des lieux d’une “situation inacceptable qui risque d’empirer”, signant l’échec des dispositions mises en place jusqu’ici, et préconise 16 propositions, dont plusieurs mesures autoritaires inspirées très clairement des conventions de professions de santé régulant les installations (infirmières, kinés, dentistes.. .), de nature, selon les sénateurs, à redresser la barre.

Parmi celles-ci : la réorientation des aides financières incitatives en fonction de leur efficacité, le développement du salariat, le cas échéant, en maisons de santé, un conventionnement sélectif des médecins selon la densité médicale et l’obligation, pour les spécialistes, d’exercer deux ans à la fin de leurs études, dans une région désignée par l’ARS. D’ores et déjà, a insisté le rapporteur Hervé Maurey (UDI), sénateur de l’Eure, les étudiants doivent être informés qu’ils pourront avoir l’obligation d’exercer quelques années en zones sous dotées, en début de carrière, si “au terme de la présente législature, la situation des inégalités de répartition territoriales des médecins n’a pas évolué positivement”.

 

“Un brûlot responsable de la désaffection des jeunes médecins”

Voilà qui est dit, et qui n’a pas vraiment plu à Marisol Touraine, venue avec une pointe d’agacement, défendre son Pacte territoire santé. “La coercition, je n’y crois pas. Les jeunes professionnels y voient une brimade et les autres, une rupture de contrat (…) J’ajoute que face à une forte opposition de la profession, on peut craindre un risque de contournement des règles posées” a-t-elle rétorqué.

Mais, porte-paroles des élus de terrain qui s’arrachent les cheveux devant les cabinets qui ferment faute de successeurs et en sont réduits à faire appel à des recruteurs avec des fortunes diverses, les parlementaires sont en embuscade tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale. Et entament le compte à rebours. Profitant de cette fracture pour reprendre l’avantage auprès des médecins, le député UMP Jean Pierre Door n’a évidemment pas laissé passer cette occasion pour affirmer, par communiqué, que la proposition de loi d’Hervé Maurey et consort serait “un véritable brûlot, qui sera responsable d’une désaffection préjudiciable des jeunes médecins pour l’exercice de la médecine libérale de demain”.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne

 

Mis à jour le 20 juin à 15 h 30