Le relevé de conclusions des négociations qui s’étaient entamées lundi soir à la CNAM sur la régulation des honoraires libres a été signé par tous les syndicats médicaux et la caisse nationale d’assurance maladie mardi vers 17 heures. Une signature manque, celle des organismes de protection complémentaire, représentés par l’UNOCAM. Pourtant, sans attendre, autant la ministre de la Santé, Marisol Touraine, que le Premier Ministre, Jean-Marc Ayrault, se sont chaudement félicités de l’issue des discussions, qualifiées de “tournant historique” par la ministre. Selon le Premier ministre, il marquerait “le rassemblement de toutes les parties (assurance maladie, médecins, organismes complémentaires), autour de l’objectif de maîtrise des dépassements d’honoraires”.

C’est peut être aller un peu vite en besogne, car tous les syndicats CSMF, SML, FMF, Le BLOC et MG France vont maintenant expliquer les termes de l’accord à leurs instances (voir plus loin). Elles seront souveraines pour décider d’avaliser ou non le texte de l’avenant N° 8 à la convention médicale qui leur est soumis. La Mutualité a fait savoir  qu’elle aussi allait soumettre le texte à ses instances. Quant aux patients du CISS, ils en appellent au président de la République et crient à l’escroquerie.

Voici, d’ici-là, l’état d’esprit des responsables syndicaux. Et leurs explications sur le revirement surprise de ces dernières heures.

 

  • CSMF , Dr Michel Chassang : "Il manque l’UNOCAM"

Michel Chassang, le président de la CSMF, préfère ne pas s’exprimer avant un bureau que se réunit ce soir, il rappelle néanmoins que ses conditions pour signer se résumaient en 7 points. “Six sont remplies. La septième, c’est l’engagement ferme de l’UNOCAM à solvabiliser les dépassements du contrat d’accès aux soins. Elle n’est pas au rendez-vous, mais les négociations de poursuivent au plus haut niveau, entre l’Elysée, le ministère de la Santé, l’assurance maladie et la CSMF sur ce point”, a-t-il expliqué. Néanmoins, les généralistes de l’UNOF se disent satisfaits de l’accord. Tout comme les spécialistes de l’UMESPE.  Pour le Dr Rey, leur président, cet accord prend en compte des revalorisations “indispensables” mais qui restent “insuffisantes” pour les spécialistes en secteur 1. Il se félicite que les autres syndicats de médecins spécialistes les aient rejoints pour montrer une unité syndicale forte qui a permis“d’arracher les dernières concessions dont nous avions besoin, notamment pour mettre fin à l’injustice qui été faite, depuis de trop nombreuses années, aux anciens chefs de clinique et assimilés bloqués en secteur 1”. Cet accord devrait permettre de sortir du “boulet médiatique” constitué par les tarifs hors normes qui leur sont “injustement reprochés”. Le syndicat demande maintenant instamment à l’UNOCAM de “s’engager dans l’accord”.

 

  • SML, Dr. Christian Jeambrun : "Accord historique"

“C’est un grand accord, je pense qu’on peut même parler d’accord historique. Après la rupture de l’après-midi, le coup de fil de Marisol Touraine m’a incité à revenir négocier, car la ministre voulait à tout prix trouver une solution. Au résultat, nous avons une belle revalorisation pour le secteur 1, l’intégration possible dans le contrat d’accès aux soins, de tous les chefs de cliniques coincés en secteur 1 depuis 1990. Ce qui représente un effort financier supplémentaire. Et enfin, le taux de 150% de dépassements maximum ne figure plus comme un préalable. Il n’est plus qu’un des éléments de “repère” pris en compte pour qualifier les pratiques tarifaires d’excessives, inscrit dans le préambule. Il y a eu, en toute fin de négociation, une forme de fraternisation entre tous les syndicats, une union syndicale car nous voulions tous aller dans le même sens. Je pense que cet accord va stabiliser les dépassements excessifs, et qu’en six mois, on n’en parlera même plus”

 

  • FMF, Dr. Jean-Paul Hamon : "Roulé dans la farine"

“L’intégration des anciens chefs de cliniques dans le contrat d’accès aux soins répare une injustice, mais cet accord ne résoudra pas le fait que le secteur 1 n’attire plus les jeunes. Et que nous enregistrons pour la première fois un recul de 5% du nombre de généralistes libéraux ! Maintenant, tout dépend de la signature de l’UNOCAM, car rien ne nous dit qu’elle mettra réellement les 150 millions d’euros annoncés sur la table pour revaloriser la médecine générale et solvabiliser les dépassements d’honoraires dans le cadre du contrat d’accès aux soins. Elle s’engage simplement à inciter ses mandants à le faire prioritairement.” Mardi matin sur France Info et après une nuit de sommeil, Jean-Paul Hamon reconnaissait qu’il s’était fait “rouler dans la farine”. Et d’ajouter sur Twitter : "Ce n’est qu’un relevé de conclusions, pas un accord !"

 

  • Le BLOC, Dr. Jean Marty (vice-président -SYNGOF) : "Très lourde responsabilité"

“Le projet de texte est entre les mains d’un juriste qui l’analyse. Car nous voulons savoir si ce que l’on propose à notre signature est bien conforme à ce que nous avons cru approuver au bout de 20 heures de négociations sans sommeil. Une fois cette lecture effectuée, le CA du BLOC se réunira pour décider. Je trouve que l’idée du contrat d’accès aux soins est une grande idée, à la fois sociale et sécurisante pour nos professions. Celles-ci traversent une grave crise démographique, et il nous faut à tout prix sécuriser nos jeunes, il faut qu’ils trouvent les moyens suffisants pour exercer sans trop de contraintes, avec une juste rémunération. Par ailleurs, j’approuve le fait que la définition du tarif excessif soit désormais entre les mains de la profession, au travers des commissions paritaires régionales. Cette définition ne pouvait pas être laissée aux mains des caisses. Il s’agit d’un gros enjeu, nos professions doivent retrouver la sérénité. Si le BLOC avalise l’accord, il nous faudra remobiliser les professionnels autour de ces nouvelles règles du jeu. C’est une très lourde responsabilité".

 

  • MG France : de bonnes choses 

Le syndicat avait voté contre le projet de texte issu de la négociation de la semaine dernière. Aujourd’hui, sa position est nuancée. Le comité directeur du syndicat est en train de se pencher sur le projet de texte, il décidera. Mais d’ores et déjà le Dr Wilthien, vice-président, salue l’avancée relative à la mise en place de forfaits "indispensables pour impulser la mutation de notre exercice professionnel" grace à d’autres modes de rémunération. "La négociation a été très compliquée, car très large : secteur 1, secteur 2, intervention des mutuelles. Elle a aussi été humainement et intellectuellement presque inacceptable. Les négociations ont repris alors que certaines délégations étaient parties, nous étions exténués. Ce n’est pas digne". La réponse du syndicat est attendue dans les prochains jours. Le Dr Wilthien prévient que la "réécriture de certains chapitres sera sans doute nécessaire".

  • Internes et chefs de cliniques (l’Isnih et Isncca) : Situation “toujours critique”

Une assemblée générale téléphonique doit avoir lieu ce soir, après analyse précise du texte. En attendant ce vote, le préavis de grève n’est pas levé, car la situation est “toujours critique”. Et le projet de loi de financement de la sécurité sociale 2013 est en cours d’analyse à l’Assemblée nationale. Les jeunes trouvent “bizarre” que le ministère ne les ai pas rappelés pour conclure la négociation, les internes de radiologie n’admettent pas la décote de leur lettre clef programmée dans le projet d’avenant sur trois ans. Tous s’insurgent contre le projet de cartographie départementale de l’implantation des praticiens en secteur 2, derrière lequel ils redoutent une menace pour la liberté d’installation à l’avenir.

 

  • Patients du CISS : “Les pigeons de la farce !”

Un fiasco pour les patients car, afin d’obtenir l’accord, il a fallu lâcher du lest ! Et plutôt du lourd… ”s’insurge le CISS (Collectif interassociatif sur la santé). Plus de plafond, pas de changement, procédure de sanction qualifiée d’usine à gaz … Les patients crient à la mascarade. Et ils voient derrière la création contrat d’accès aux soins la “porte ouverte à la généralisation et à la légitimation des dépassements d’honoraires, plutôt qu’à leur limitation”, d’autant que secteur 2 est maintenu. “Quel médecin acceptera de lâcher la proie des dépassements d’honoraires en secteur 2 pour l’ombre de la prise en charge de ses cotisations sociales dans le cadre du « contrat d’accès aux soins » ? “Un accord au rabais a donc été préféré à une loi protectrice pour les citoyens”, critique le collectif, qui demande au gouvernement d’introduire des mesures coercitives dans le projet de budget de la sécurité sociale en cours d’examen.

 

Principales avancées du projet d’avenant 8, dont certaines ont été déterminantes pour amener les syndicats à parapher le protocole d’accord :

Secteur 2 : Le taux de 150% de dépassement maximum autorisé en secteur 2 ne devient qu’un “repère”, pouvant être adapté selon les zones géographiques. Les médecins devront tendre à “modérer leur pratique tarifaire pendant la durée de la convention”. Ils auront l’obligation de pratiquer des actes en secteur 1 lors des urgences et auprès de patients titulaires de la CMUc, CME et disposant d’une attestation de droit à l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé (aujourd’hui, près de 900 000 personnes). Une population amenée à augmenter, les caisses s’engageant à promouvoir le mécanisme (mal connu) auprès des assurés sociaux. L’appréciation du caractère excessif de la pratique tarifaire devra s’effectuer par la commission paritaire régionale (CPR) après saisine par le directeur de la CPAM. Son avis portera sur le caractère sanctionnable de la pratique, puis sur la nature et le quantum de la sanction. La CPR travaillera selon un certain nombre de critères (parmi lesquels le lieu d’exercice, la fréquence des actes par patient, volume global d’activité, niveau d’expertise ou de compétence). Mais la prise en compte de la notoriété, par le biais de la publication dans des revues scientifiques nationales ou internationales (visant directement les PU-PH en secteur privé à l’hôpital), disparaît de la liste des critères permettant de justifier des dépassements supérieurs.

Contrat d’accès aux soins : Il sera proposé aux médecins du secteur 2, secteur 1 avec DE etanciens chefs de clinique qui se sont trouvés enfermés en secteur 1, après la fermeture de la fenêtre conventionnelle par la convention 1990. Près de 2 000 praticiens se trouvent dans ce cas. Mise en place du contrat : au 1er juillet 2013 “sous réserve qu’un tiers de médecins éligibles y souscrive” (les caisses exigeaient la moitié des praticiens éligibles pour lancer le mécanisme). Le contrat aura une durée de trois ans, mais il reste réversible. 30 % au moins d’actes doivent être effectués en secteur 1, le secteur 2 sera plafonné à 100 % de dépassement pour le reste de l’activité. Pour les médecins installés depuis moins d’un an, le taux de dépassement sera calculé en fonction de la moyenne de la spécialité et de la région. Pour les spécialités d’anatomocytopathologie, gériatrie, médecine interne et nephrologie, le taux national sera retenu. L’UNOCAM s’engage à intervenir “au-delà du ticket modérateur” dans le cadre du contrat d’accès aux soins. Une négociation devrait s’ouvrir rapidement sur ce point. L’UNOCAM s’engage parallèlement à inciter les organismes complémentaires à “prendre en charge de façon privilégiée les dépassements d’honoraires des médecins adhérant au contrat d’accès aux soins pendant la durée de celui-ci”, lorsque leur contrat prévoit une prise en charge des dépassements.

Médecin traitant : Généralisation progressive du système de forfaits, et sa modulation en fonction de la densité médicale (il sera plus élevé en zone de désertification médicale). Engagement d’une prochaine négociation conventionnelle, après le vote du PLFSS (projet de loi de financement de la sécurité sociale), qui doit aboutir avant la fin septembre 2013, destinée à généraliser progressivement les forfaits médecins traitants et prévoir leur revalorisation selon un calendrier “cohérent”.

Revalorisations : Spécialistes de secteur 1 ou en contrat d’accès aux soins Mise en œuvre de la troisième tranche de revalorisation (CCAM) en trois étapes : 1er juillet 2013, 1er mars 2014 et 1er janvier 2015 (soit à chaque fois six mois plus tôt que prévu initialement). Accès en tant que spécialistes (psychiatres) dans le cadre du parcours de soins, au 1er juillet 2013, à la consultation de sortie de psychiatrie (2 C). Idem pour les cardiologues, auprès de patients atteints de cardiopathies (une seule consultation, 2 C). Les pédiatres pourront bénéficier d’une majoration de 5 euros pour la prise en charge de prématurés de moins de 32 semaines, et de jeunes enfants atteints de maladies congénitales graves. L’avis ponctuel de consultant qui ne pouvait intervenir que tous les six mois, pourrait intervenir tous les quatre mois.

Médecins généralistes : Les organismes de protection complémentaire s’engagent à mettre 150 millions sur la table pour développer les forfaits pour les médecins traitants. Création de consultations longues : sortie d’hospitalisation (2 C), patient atteint de cardiopathie (2 C), patients âgés de plus de 85 ans (au 1er juillet 2013) et 80 ans (1 juillet 2014). Pour les consultations auprès de personnes âgées, une rémunération forfaitaire (MPA) de 5 euros sera créée, versée trimestriellement par les caisses au médecin traitant.

Forfait médecin traitant : Suivi de patients hors ALD : le versement d’une rémunération forfaitaire annuelle par les mutuelles et assurances privées, en lien avec le volet médical de synthèse dans le cadre du paiement à la performance (P4P) est acté. Cette RMA sera rémunérée 5 euros par an. A la demande de l’UNOCAM, un observatoire sur les pratiques tarifaires est institué, chargé du suivi de la mise en œuvre du contrat d’accès aux soins.

Remis à jour le mercredi 24 octobre, à 18 heures

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Catherine Le Borgne

Article mis à jour mercredi 24 octobre à 18 heures