Pour le Dr Thierry Lorette, les médecins généralistes doivent prendre conscience de leur mission de service public. Le praticien, qui avait pris sa retraite après 40 ans d’exercice en libéral à Mûr-de-Bretagne (Côtes-d’Armor), vient de reprendre du service en tant que salarié de l’hôpital de Kério (Morbihan). Un choix qui n’a pas été motivé par des questions financières ou par ennui, mais pour rendre service à sa commune en mal de médecin.

“Après 40 ans d’exercice libéral de la médecine générale, j’ai décidé de prendre ma retraite. J’avais 29 ans lorsque je me suis installé à Mûr-de-Bretagne, je venais d’achever mon service militaire. A l’époque, nous étions trois médecins dans la commune d’environ 2 150 habitants. Nous étions chacun installés séparément. Jusqu’en 2001, tout s’est déroulé sans aucun souci. Puis l’un de mes confrères est tombé malade. Lorsqu’il a décidé d’arrêter son exercice, cela a commencé à devenir difficile.

Après plusieurs recherches et un désistement, nous sommes parvenus à convaincre un médecin remplaçant de s’installer dans la commune. Nous nous sommes regroupés dans une maison médicale et nous avions trois secrétaires à temps partiel. Trois ans plus tard, il a décidé de partir pour se rapprocher de son domicile, situé à plus d’une heure de route du cabinet.

Les infirmières m’appelaient pour faire des ordonnances

Entre temps, le second médecin installé depuis 1987 dans la commune a aussi décidé de stopper son exercice libéral pour aller travailler dans les assurances. Une femme médecin roumaine est venue pour le remplacer, mais elle n’a pas tardé à repartir. Elle voulait que tout soit gratuit, du local au secrétariat. Elle a fini par s’installer dans un village de 350 habitants, à trois kilomètres de là.

Puis un autre médecin roumain est arrivé. Lors de son arrivée, il avait laissé entendre qu’il souhaitait travailler tout seul. Moi qui souhaitais finir ma carrière à mi-temps, j’ai préféré partir à la retraite plus tôt, de crainte qu’il parte à cause de moi. J’ai donc décidé de lui laisser le champ libre. Ce confrère avait un mode d’exercice un peu particulier. Il partait déjeuner à 12h30 puis il faisait systématiquement la sieste de 14 à 15 heures. A 17h, il rentrait chez lui.  Assez rapidement, il n’y a plus eu personne. Deux mois après son arrivée, il s’est mis en arrêt de travail puis nous ne l’avons plus jamais revu…

J’ai pourtant été un défenseur de la médecine libérale

En août 2016, le local de notre maison médicale s’est donc retrouvé vide. Il n’y avait plus de médecin dans la commune. Les gens sonnaient à ma porte. Les infirmières m’appelaient pour faire des ordonnances. Je me suis retrouvé en porte-à-faux vis-à-vis du conseil de l’Ordre, puisque j’étais en retraite. Le mieux pour moi était de reprendre une activité à mi-temps, en tant que médecin salarié pour m’éviter les galères de la CARMF ou de l’URSSAF. L’hôpital de Kério, à 15 kilomètres de chez nous, a accepté la proposition de la commune de me salarier.

Les médecins partent en vacances sans remplaçant, et tout le monde s’en fout

Je ne regrette pas une seule seconde mon exercice libéral. J’ai pourtant été un défenseur de la médecine libérale, mais je crois que les jeunes médecins ne prennent plus leur responsabilité. Nous ne sommes pas des fonctionnaires mais nous avons tout de même une mission de service public. Maintenant, les médecins partent en vacances 15 jours sans remplaçant et tout le monde s’en fout.

Aujourd’hui, je travaille officiellement le lundi et le mardi en deux fois 9 heures. Le mercredi, je m’occupe de faire les visites, mais je ne le facture pas. Je n’ai aucune exigence financière vis-à-vis de l’hôpital. Je n’ai pas l’intention de faire ça pendant 10 ans. Un an serait idéal et je n’irai pas au-delà de deux ans.

Moi qui m’étais très bien acclimaté à la retraite, j’ai eu le sentiment d’avoir le devoir de reprendre mon travail de généraliste. Ça n’a pas été facile de se remettre aux horaires, de reprendre l’idée de la responsabilité. Retravailler m’apporte moins que prévu.

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin

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