Sous couvert de transparence, Manuel Valls a placé la menace d’une attaque à l’arme chimique dans tous les esprits. Dans un contexte déjà très tendu, de nombreux médecins appellent au calme et à la prudence. Ils redoutent une psychose, dont les effets seraient pires que l’attaque elle-même. Et certains soupçonnent même le Premier ministre de jouer la carte de la peur, à quelques jours des élections régionales.
 

 

“Je le dis bien sûr avec toutes les précautions qui s’imposent, mais nous savons et nous l’avons à l’esprit : il peut y avoir aussi le risque d’armes chimiques ou bactériologiques.” Cette déclaration de Manuel Valls à l’Assemblée nationale, moins d’une semaine après les attentats, n’est pas passée inaperçue. D’autant que, dans le même temps, le gouvernement autorisait exceptionnellement les Samu à faire des stocks d’atropine, seul antidote efficace en cas d’exposition à des gaz neurotoxiques.

 

’D’un seul coup, tous les médias ne parlent plus que de l’atropine”

“Dès le lendemain, nous avons eu plus d’une dizaine de patients qui demandaient de l’atropine”, déplore un généraliste installé en Seine-Saint-Denis. “L’atropine, c’est fait pour les militaires. C’est bien qu’on ait des stocks, mais d’un seul coup, tous les médias ne parlent plus que de ça. On leur agite le chiffon rouge et ils sautent dessus. C’est justement ce qu’on ne veut pas !”, assure le Dr Christophe Prudhomme, urgentiste à l’Hôpital Avicenne de Bobigny, en Seine-Saint-Denis. D’autant que c’est une mesure “faussement rassurante”, ajoute le médecin. Pour qu’elle soit efficace, l’injection doit être faite dans les minutes suivant l’exposition. Le temps pour un urgentiste d’enfiler une protection totale ou de transporter les patients à l’hôpital peut être délétère.

Toutefois, il semble que l’emballement ait été plus grand dans les médias que chez les patients. Rares sont les médecins qui signalent une inquiétude particulière concernant le risque bactériologique. “J’ai eu des demandes d’arrêts de travail, les gens sont choqués et fatigués. Mais ils ne cèdent pas à la psychose”, indique le Dr Dominique Dreux, généraliste à Igny, dans l’Essonne.

“Parmi nos patients, comme dans la population générale, il peut y avoir des gens fragiles psychologiquement et qui peuvent glisser vers la psychose, ajoute le Dr Prudhomme. Mais la responsabilité politique, c’est justement d’éviter ce climat de psychose. En cas de nouvel évènement les choses peuvent devenir difficilement contrôlables.”

C’est un appel au calme que lancent donc aujourd’hui de nombreux médecins qui ne comprennent pas les propos de Manuel Valls. “Il existe un risque de ce type, mais c’en est un parmi d’autres. Faire ces déclarations, ça alimente la peur et ça peut donner des idées à des mauvais garçons ! Manuel Valls fait de la peur un moyen de communication. Ce risque existe et nous nous y préparons depuis longtemps”, assure pour sa part le Pr Philippe Juvin, chef de service des urgences de l’hôpital européen Georges Pompidou et député européen pour Les Républicains.

 

“Aucune mesure spécifique n’a été mise en place depuis les attentats”

Du côté de la Direction générale des soins (DGS), on tient à rappeler que la mise à disposition d’atropine était prévue bien avant les attentats de vendredi 13, en prévision de la COP21. “Aucune mesure spécifique n’a été mise en place depuis les attentats en terme de risque chimique. Il existe des plans en cas de menace biologique ou chimique, qui existent depuis longtemps et qui peuvent être activés en temps voulu”, souligne la DGS.

En effet, voilà vingt ans que les services d’urgences se préparent à des attaques chimiques. Depuis l’attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo, en 1995, qui avait fait 12 morts et plus de 5 500 blessés. “Qu’on parle des risques, c’est bien. Mais il faut rassurer. Le pire, c’est un vent de panique qui crée des comportements irrationnels. Il faut savoir que l’essentiel des morts et de blessés à Tokyo n’avait pas été dû à ce gaz toxique mais à la panique et au piétinement, comme à La Mecque”, précise le Dr Prudhomme. Et c’est ce vent de panique que les urgentistes redoutent par-dessus tout. “Le soir des attentats, heureusement que le Stade n’a pas été évacué et que les terroristes ont raté leur coup. S’ils s’étaient fait exploser dans la foule, le plus grand nombre de morts et de blessés n’aurait pas été du fait de la bombe, mais par piétinement et affolement dans la foule.”

“Il faut de l’information maîtrisée, argumentée. On n’est jamais préparé à tout, mais on essaye d’envisager différents scénarios. Ça a très bien fonctionné dans les hôpitaux lors des attentats du 13 parce que l’ensemble des personnels de santé étaient préparés psychologiquement à ce que ces choses arrivent”, poursuit l’urgentiste.

 

“Des visées bassement politiciennes”

Mais pour cela,”il faut nous donner les moyens de travailler”, ne manque pas de rappeler celui qui est aussi porte-parole de l’AMUF. “Il ne suffit pas de venir nous remercier en tant que service public après des évènements comme ceux-ci et puis continuer la politique d’étranglement des hôpitaux. On n’en a rien à faire de recevoir la médaille du héros. Ce dont nous avons besoin, c’est que l’on desserre un peu le garrot financier. En plus du calme et de la raison de nos responsables politiques.”

Et sur ce plan-là, le discours des pouvoirs publics, et de Manuel Valls en particulier, serait loin d’être adapté. Le Dr Prudhomme le soupçonne même d’attiser la peur dans un but électoraliste. “Ce qu’il faut, c’est de la communication sur le comportement à avoir en cas de problème, comment il faut réagir. C’est ce discours-là qu’on attend de la part des pouvoirs publics. Il faut raison garder, dans cette période. Il faut faire attention à ne pas instrumentaliser ces évènements avec des visées bassement politiciennes. J’ai quelques doutes sur nos politiques, puisque leur intérêt, ce n’est pas le long terme, mais bien les prochaines échéances électorales, qui sont très bientôt. Et ça pose problème.”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier