Le Dr Véronique Moller, médecin généraliste à Magny-les-Hameaux (78), se voit reprocher par la Caisse primaire d’assurance-maladie des Yvelines de prescrire trop d’arrêts de travail. Elle a été convoquée au siège de la CPAM, pour un entretien de recadrage. Indignée par la procédure comptable de la sécurité sociale, elle hésite à déplaquer.

 

Egora.fr : Que vous reproche la CPAM des Yvelines ?

Dr Véronique Möller : Ils me reprochent d’avoir prescrit trop d’indemnités journalières (IJ) sur la période allant du 15 septembre 2014 au 15 janvier 2015. Ils ne m’ont donné aucun chiffre précis mais m’ont juste dit que je dépasse de plus de 3,25 écarts type et que j’ai une moyenne de 2,08 jours d’arrêt par acte. J’ai cru comprendre que le processus se déclenche lorsque l’on dépasse 2,02. C’est donc pour cela qu’ils m’ont ciblée. La moyenne de la région Ile-de-France est de 0,75.

Que leur répondez-vous ?

Effectivement, lorsque je regarde sur mon relevé individuel d’activité des prescriptions (RIAP), j’ai prescrit en 2014, 6170 jours d’arrêt de travail. La moyenne de la région est 2544. Mais j’ai une très grosse patientèle. A Magny-les-Hameaux, il y a seulement trois médecins temps plein pour 10 000 habitants. Un médecin est parti l’année dernière et les autres médecins n’ont jamais voulu prendre ses patients. Ils sont donc tous venus au cabinet où je travaille à mi-temps avec une amie. En nombre de patients, la moyenne nationale est de 800 patients par médecin. Avec mon associée, nous faisons un mi-temps chacune puisque nous n’avons qu’un seul local et nous avons déjà 2295 patients. Nous comptabilisons trois fois plus de patients que la moyenne nationale et donc nous avons aussi trois fois plus d’arrêts. Cela semble logique.

Comment s’est déroulé votre entretien à la sécurité sociale ?

Ils ne m’avaient donné aucun chiffre précis sur mes arrêts pour que je puisse me défendre. En recherchant moi-même les chiffres, je suis tombée sur 1,89, soit en dessous des 2,08. Ils ne savaient pas vraiment quoi répondre à ça. Ils mélangeaient tous les chiffres, ceux de la région, du canton… Impossible d’avoir une explication claire.

Ils ont essayé de m’expliquer que je signais des arrêts de travail pour 27% de mes patients alors que les chiffres au niveau du canton vont de 0 à 27%. Or, ils ont pris dans leurs calculs des médecins qui ne font pas d’arrêt comme des acupuncteurs ou des homéopathes, bien qu’ils soient quotés comme des généralistes. Ils brassent les chiffres et ne gardent que ce qui est mauvais pour moi.

Je me suis défendue en expliquant que j’ai commencé à Magny-les-Hameaux en 1993 en tant que remplaçante avant de m’installer en 2010. On est passé de 6 à 3 médecins alors que la ville a gagné près de 3000 habitants. Les conditions de travail sont infernales. Je travaille de 9h à minuit et je fais mes papiers de minuit à trois heures du matin. J’en ai marre. Je ne peux pas faire autrement que de dire non. Les patients cherchent un médecin traitant. Personne n’en veut. Ils ont besoin d’être remboursés.

Je leur ai présenté mes chiffres que j’ai comparés depuis 5 ans avec ceux de la région. On voit typiquement que depuis que le médecin est parti l’année dernière en juillet 2014, cela a entraîné une flambée de patients et donc d’indemnités journalières.

Je me suis aussi penchée sur la liste des personnes que j’avais arrêtées sur la période en question. J’ai trouvé 67 personnes qui étaient venues me voir entre une et sept fois pour un total de 170 actes sur 1561 au total. Ces 67 patients qui représentent 11% des actes que j’ai pratiqués pendant ces 4 mois ont généré 2963 jours d’arrêts de travail. Ils avaient pour la plupart des problèmes locomoteurs qui sont surtout dus à des accidents de travail. Voilà ce qui plombe mes statistiques. Magny-les-Hameaux est une région ouvrière avec des gens qui travaillent dur. Nous avons peu de cadres qui sont des gens que l’on arrête moins.

Comment réagissaient-ils devant vos arguments ?

Ils ont écouté sagement et ont pris des notes mais ça n’avait pas l’air de leur faire grand-chose. D’après l’expérience de certains de mes confrères, ils ne plient jamais. Quelques soient les chiffres et les preuves que l’on apporte, ils punissent.

Quel risque encourez-vous ?

Ils proposent en premier lieu la mise sous objectifs (MSO). Le médecin conseil m’a vendu son produit de toutes les façons possibles et imaginables. La CPAM me propose donc d’avoir un médecin conseil personnel qui m’aiderait à régler tous les cas difficiles pour diminuer le nombre d’indemnités journalières. Ils n’ont jamais dit une seule fois que j’aurais un objectif sous forme de pourcentage. Ils ne précisent pas non plus que si on n’atteint pas le chiffre qu’ils nous ont fixé on risque une amende allant jusqu’à 6000 euros.

La punition supérieure est la mise sous demande d’entente préalable. Je vais refuser la MSO et passer directement à la mise sous demande d’entente préalable. Dans ce cas-là, à chaque fois que je ferai un arrêt de plus de quatre jours, il sera contrôlé par un médecin conseil. Je trouve ce système plus juste que la MSO. La sécu considère pour sa part que ce système est insupportable et va engendrer pour moi un travail monstrueux de dossier. Ce qu’ils ne disent pas, c’est qu’ils auront eux-aussi le même travail. C’est pour cette raison qu’ils veulent privilégier la MSO. D’autant que cela implique aussi pour les patients d’être convoqués et de se rendre au service médical de la sécu.

Mais quoi qu’il arrive, il ne faut pas tomber dans le piège de la MSO. Pour la CPAM c’est l’idéal. Ils n’ont rien à faire. C’est à nous de diminuer nos IJ de façon arbitraire. Pour moi, le seul moyen de les diminuer est de mettre les gens dehors et ça je ne le conçois pas.

Comment travaillez-vous depuis cette convocation ?

Le 25 juin dernier, lorsque j’ai reçu la lettre m’informant qu’ils mettaient en route la procédure, j’ai vu les patients qui étaient dans la salle d’attente puis j’ai fermé le cabinet et je n’y suis plus retournée. Les patients se sont fâchés après la sécu, ils se sont regroupés, ont signé des pétitions, ont envoyé plein de mails à la responsable du dossier…

Je ne me sens pas capable de travailler dans ces conditions. Je ne peux pas trier les gens. Je soigne tout le monde ou alors personne. Les patients n’ont pas trop souffert de mon absence parce que je me suis fait remplacer.

Que comptez-vous faire dans les semaines à venir ? Déplaquer ?

Pour l’instant, je ne sais pas. Mon associée travaille tout le mois d’aout et je suis censée y retourner le 31 mais je me demande si je vais y arriver. Je sais que ce qui m’attend est d’être encore submergée de patients. D’autant que je travaille sans rendez-vous pour ne pas être tout le temps en retard. Mais même en consultations libre, parfois je craque. Les gens donnent des coups de pied dans la porte…

Vous semblez proche du burn-out ?

Oui un peu. La sécu a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Je travaille ici depuis 1993 et les conditions n’ont fait que s’aggraver au fil des années. Plus ça va, plus je travaille tard. Je sors régulièrement du cabinet vers 2h du matin. Si ça continue je vais me faire mettre à la porte par mon associée qui vient travailler le matin ! Tout cela a des répercussions sur ma santé. A 54 ans, je ne suis plus toute jeune. Je fais de l’hypertension et les jours où je travaille, ça la dérègle complétement. Les jours où je ne travaille pas, je suis dans mes papiers et mes tiers payants sociaux. Tout cela pour être punie par la sécu, simplement parce que je ne dis pas non aux patients…

La seule chose qui me retient est mon associée. Je me dis que si je m’en vais, elle ne tiendra pas le coup. Faire notre travail en temps plein serait totalement impossible. Déjà en mi-temps, nous sommes épuisées. Si j’avais été seule dans le cabinet et si je n’étais pas soutenue par mes patients, je serais partie sans me poser de question. Tout cela me pèse.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin