Depuis hier, a lieu à l’Assemblée nationale l’examen de la proposition de loi des députés Jean Leonetti et Alain Claeys. Président de l’Association pour le droit à mourir dans la dignité, Jean-Luc Romero s’élève contre ce texte. Surtout, il met en garde les médecins contre “cette loi Leonetti n°3” : les directives anticipées opposables ont deux exceptions, qui pourraient avoir des conséquences “catastrophiques” pour les médecins.
 


Egora.fr : Estimez-vous que tout soit à jeter dans la loi Leonetti-Claeys ?

Jean-Luc Romero : Il y a des bricoles. Mais je rappelle qu’on en est quand même à la troisième mouture de la loi Leonetti. Il y a eu la loi de 2005, qui a été revue en 2008. On est donc aujourd’hui dans la même logique. Quand il a présenté le rapport, le président de la République a dit que jusqu’à présent c’était une loi sur les devoirs des médecins, mais qu’on allait en faire une loi pour les patients… Comment on veut changer la logique d’une loi alors que c’est toujours la même et qu’on y met des rustines ?

Nous la rejetons totalement. On est dans une complète hypocrisie. Leonetti a montré son échec. La première chose c’était promouvoir les soins palliatifs. Aujourd’hui, on sait qu’à peine 20% des gens qui en ont besoin en bénéficient, que 70% des lits de soins palliatifs sont concentrés dans 5 régions françaises, on a zéro lit d’unité de soins palliatifs pour 100 000 habitants en Guyane. Alors peut-être que personne ne meurt en Guyane, ça doit être ça l’explication. Vous voyez bien que l’échec des soins palliatifs est patent.

Sur l’obstination déraisonnable, on nous dit qu’il y a un grand progrès aujourd’hui. Je rappelle que la première loi était notamment faite pour ça, dans la continuité de la loi Kouchner de 2002. Et aujourd’hui, il nous refait une loi en disant “ah, l’obstination déraisonnable, ça continue”. Et c’est vrai que ça continue. On a 50% des chimiothérapies qui sont faites dans les 15 derniers jours de la vie. Sans parler des situations comme Vincent Lambert. C’est l’échec du deuxième objectif de la loi Leonetti.

 

Que pensez-vous des mesures sur les directives anticipées opposables ?

C’est là qu’on voit que personne n’a lu le dernier rapport. Personne ne dit qu’il y a deux exceptions au caractère opposable : en cas d’urgence vitale d’une part, et d’autre part si les directives sont “manifestement inappropriées”. Ce qu’on présente comme un énorme progrès n’en est pas un du tout.

Sur l’urgence vitale, j’interpelle les médecins ! Je leur dis de faire attention. Si demain ils réaniment quelqu’un qui avait écrit des directives anticipées, dans lesquelles la personne disait que dans telle situation elle ne voulait surtout plus être en vie, et qu’elle se retrouve handicapée ou dans une situation qu’elle avait prévue et dont elle ne voulait pas, les médecins vont s’exposer à des recours juridiques. On met les médecins dans une situation inconfortable. Et ils feraient bien de regarder ça de près, parce que cette clause-là peut avoir de vraies conséquences. Je n’aimerais pas être médecin et devoir appliquer cette troisième mouture de la loi Leonetti.

Et ensuite sur la notion de “manifestement inapproprié”, j’ai appelé des juristes et ils m’ont dit qu’ils n’avaient jamais vu ça. Vous mettez n’importe quoi là-dedans ! Je pense que c’est une instabilité totale pour les soignants ! Il faut qu’il regarde ça de près. Il y a plein de problèmes pour eux dans ce texte. Je dis aux médecins, attention, cette loi pour vous va être catastrophique. Les progrès qu’on nous annonce sont faux et dangereux pour les médecins comme pour les personnes mourantes. Tout le monde a été choqué de ce qui se passe avec Vincent Lambert, là on va l’avoir à grande échelle.

 

Et concernant la sédation ?

On nous réinvente quelque chose qui existe déjà ! On sait comment ça se passe la sédation. Contrairement à une euthanasie ou un suicide assisté, où le patient dit “stop, je n’en peux plus”, on sait que les médecins gardent le contrôle de la sédation, qui peut durer des jours, voire des semaines si les gens ont des organes vitaux en pleine forme. Quand un médecin débranche quelqu’un, arrête de l’alimenter, de l’hydrater, et ne va plus jamais le réveiller, qu’est-ce qu’il ne sait pas ? A quelle heure il va mourir. Et c’est ça qui peut être extrêmement cruel, avec des conséquences qui peuvent être violentes. Les médecins savent très bien qu’on est dans une totale hypocrisie, et que la sédation c’est quand même une forme d’euthanasie. Quand les opposants à l’euthanasie le disent, ils n’ont pas tort. A l’étranger, on dit que la France a légalisé l’euthanasie, mais indirecte.

 

Finalement, vous considérez que M. Leonetti n’est pas légitime à présenter ce nouveau texte ?

Bien sûr. Ce qui me gêne c’est que le mec a échoué pendant 10 ans, et c’est à lui qu’on reconfie la mission de nous faire une loi. Personne n’a fait le bilan de ses 10 ans. Tout le monde s’émerveille parce qu’il demande un plan de soins palliatifs dans son rapport. Mais qu’est-ce qu’il a fait pendant 10 ans ? C’est à son époque qu’il y a eu le moins de soins palliatifs. Il y a des améliorations à la marge heureusement, mais elles sont ridicules alors qu’on a parlé que de ça pendant 10 ans. On nous fait croire qu’il y a un grand changement, alors que non, on est dans la même logique, dangereuse pour tout le monde. On est furieux et on espère que les parlementaires vont se mobiliser par des amendements qui vont vers la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté.

 

Justement, que pensez-vous de l’amendement du Pr Touraine qui va dans ce sens ?

Je connais bien M. Touraine. On va sûrement soutenir son amendement, même si au départ on n’était pas très satisfait parce qu’il parlait toujours de collège de médecins. Et pour nous, la question de la fin de vie n’est pas une affaire médicale. Les médecins sont respectés, on veut d’ailleurs une clause de conscience et bien sûr, ils ne sont pas obligés de pratiquer une euthanasie. Mais on estime que la mort touche 100% d’entre nous. On espère que le mot collège va être retiré de l’amendement, et on trouve que trois médecins qui s’ajoutent au médecin de famille, soit quatre médecins, c’est très lourd. Dans les pays européens qui ont légalisé l’euthanasie, c’est souvent deux médecins. Vous imaginez le temps que ça prend pour que 4 médecins se mettent d’accord ? Sachant qu’ils sont débordés, ce n’est pas simple.

Maintenant, cet amendement, signé par une centaine de personne, va dans le bon sens. Il en faudrait plus, j’espère qu’il sera voté parce qu’on entrerait alors dans une loi qui met le patient au centre de la décision et pas ceux qui sont autour du lit.

 

Vous êtes pour ce texte amendé ou pour un nouveau texte ?

Dans ce texte, il y a quand même des directives anticipées qui n’étaient valables que trois ans, maintenant elles seront toujours valables, elles seront inscrites sur la carte Vitale, c’est tout ce qu’on demandait et que ne voulait pas Leonetti avant, c’est assez drôle. Mais tout ça, ce sont des détails. Si la logique est changée, qu’on y met la légalisation de l’euthanasie, la personne reprend le contrôle et qui peut dire “je veux vivre le plus longtemps possible”, ou “je veux arrêter”. Si l’amendement, du Pr Touraine était adopté, ça changerait la logique. Mais bon, on n’est pas dupes. Aujourd’hui, l’heure est au consensus mou, personne ne fait le bilan de Leonetti, il arrive comme s’il était vierge de tout travail, tout le monde oublie que c’est la loi Leonetti n°3. Et tout ce qu’il y a dans le dernier rapport était dans le texte de 2008. Il a déjà tout dit, et ne l’a pas fait.

 

Vous soutenez que l’opinion publique est favorable à une loi sur l’euthanasie, comment expliquer que cela ne se reflète pas à l’Assemblée ?

Il y a plusieurs raisons. Et d’abord deux lobbies qui ont empêché ça depuis toujours. Le lobby des mandarins qui sont en même temps parlementaires et de grands professeurs de médecine, et qui n’ont d’ailleurs plus exercé depuis longtemps. Et vous avez le lobby de l’Eglise catholique, qui empêche toute avancée sur les questions de bioéthique, sur la famille, l’homosexualité, la fin de vie.

Il y a aussi un argument qui revient souvent chez les parlementaires qui pourraient être favorable à une loi sur l’euthanasie, c’est “ah, mais ça va faire descendre tout le monde dans la rue”. Ils ont une trouille des manifs. Mais ils ne regardent pas les sondages, les Français sont à 90% favorables.

Enfin, il y a aussi le fait que les hommes politiques détestent traiter des questions de fin de vie, de santé… Ils ont une vraie trouille irrationnelle de la mort. Ils croient tous qu’ils vont mourir d’une crise cardiaque en écrivant leurs mémoires. Sauf que ce n’est pas aussi simple. Ils pensent que c’est un aveu de faiblesse que de réfléchir à sa propre mort alors que c’est plutôt une force. Ils sont tellement dans la toute-puissance que cette question leur fait peur.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier