A Beauvais, dans l’Oise, les 17 pharmacies se sont côtisé pour racheter l’officine d’un collègue en grande difficulté. Objectif : faire barrage à toute autre ouverture de pharmacie, notamment une low-cost, qui pourrait venir leur faire concurrence. Une initiative encouragée par l’Ordre des pharmaciens et l’ARS, dans un contexte économique particulièrement délicat.

 

Des marges de plus en plus serrées, des médecins qui désertent le centre-ville et une concurrence de plus en plus tendue… Les temps sont durs pour les pharmaciens. C’est du moins le cas, à Beauvais, préfecture de l’Oise de 54 000 habitants. 17 pharmacies y sont installées, dont une petite dizaine dans l’extrême centre. Bruno Lepère est propriétaire de l’une d’entre elle. “Le gouvernement nous place dans les professions privilégiées. Moi j’invite les politiciens à venir passer une journée avec nous, pour voir à quel point la situation économique est tendue.” Ce pharmacien l’assure, les pharmacies vont mal à Beauvais. Deux auraient déjà frôlé le dépôt de bilan.

 

Les pharmacies sont en surnombre

La pharmacie du Renard, elle, a baissé le rideau en mars dernier. Du jamais vu dans cette ville. Et elle ne risque pas de rouvrir. Car, craignant de voir un nouveau concurrent s’installer, les 17 pharmaciens de la ville ont pris la décision de racheter le fonds de commerce de leur confrère au bord de la faillite, et de rendre sa licence à l’ARS.

En effet, selon les quotas établis par l’Agence en fonction du nombre d’habitants, seules 12 pharmacies devraient être installées à Beauvais. Mais l’absence de réglementation pendant de longues années, puis les nombreuses dérogations qui ont été accordées ensuite, ont fait que, comme dans beaucoup de ville de France, les pharmacies sont en surnombre. Aucune chance donc que l’ARS ne réattribue une 18ème licence. En revanche, rien ne pouvait empêcher un éventuel acquéreur de reprendre la pharmacie, et la licence qui va avec.

C’est ce qui a fait peur aux pharmaciens de Beauvais. D’autant plus que les chaînes low-cost raffolent de ces petites structures en difficulté qu’elles peuvent racheter pour une bouchée de pain. “Cela aurait été une catastrophe”, confie une pharmacienne installée à quelques mètres seulement de la pharmacie du Renard qui a donc préféré mettre la main au portefeuille. “Ça a été une décision difficile à prendre, car il a fallu débloquer de l’argent. Mais, vu la situation on n’avait pas vraiment le choix.”

 

“C’est une solution qui arrangeait tout le monde”

Personne ne souhaite dévoiler le montant du rachat de la pharmacie. Les officines les plus proches géographiquement, qui devraient logiquement récupérer un peu de chiffre d’affaire, sont celles qui ont versé la plus grosse somme. Les autres ont fait œuvre de “charité confraternelle”, comme l’explique Bruno Lepère. Pour ce pharmacien, il s’agissait bien sûr d’éviter d’augmenter la concurrence, mais surtout “d’aider un confrère qui sans cela aurait fait faillite. On lui a rendu service en rachetant ses dettes. C’est une solution qui arrangeait tout le monde”, assure le pharmacien.

C’est aussi l’avis du conseil de l’Ordre des pharmaciens de Picardie, qui dans ces situations de sur concurrence, milite pour le regroupement des officines. Le Président, Éric Housieaux, salue l’initiative des pharmaciens beauvaisiens, qui ont réussi à s’entendre pour mener le projet à bien. Plutôt que “rachat”, il préfère parler “d’indemnisation”. “C’est une bonne initiative, dans ce contexte, indique-t-il. Cela a permis au pharmacien de partir avec un petit quelque chose, puisque sans acheteur, il aurait fermé. Et cela fait un peu plus de chiffre d’affaire pour chacun. Pour les patients, cela ne change rien non plus, puisqu’il y a d’autres pharmacies tout près.”

 

Encore cinq officines de trop

L’initiative, bien que rare, n’est pas inédite en France. “Souvent, ce sont les agences où sont mis en vente les commerces qui proposent aux pharmacies voisines de racheter les licences. Car il faut savoir que c’est très difficile à l’heure actuelle de vendre une officine. Les jeunes ne rachètent pas les petites structures.”

L’Ordre des pharmaciens, tout comme l’ARS, encourage donc vivement ce type d’initiatives. “L’autre alternative, c’est le regroupement de deux pharmacies qui sont proches. Cela permet les économies d’échelles, explique le Président du conseil régional de l’Ordre. Vu, la conjoncture actuelle des pharmacies, notamment dans les villes, ces solutions peuvent arranger tout le monde.”

A Beauvais, les pharmaciens ne regrettent pas d’avoir payé pour sauver un peu de leur commerce. Toujours est-il qu’il reste encore, en théorie, cinq officines de trop.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aline Brillu