L’étatisation totale du système de santé et la suppression de la CNAM permettraient-elles de mettre fin à la dualité de pouvoir entre l’Assurance-maladie et l’Etat et d’assurer un pilotage cohérent du système ? Défendue par un groupe de réflexion créé par l’ancien ministre Gérard Larcher, cette thèse reviendrait à placer l’Etat dans une inextricable situation de conflits d’intérêts. Analyse.

 

Faut-il supprimer la Caisse nationale d’assurance-maladie et étatiser le système de santé pour le rendre performant médicalement et économiquement ? C’est la proposition choc du dernier rapport du Cercle Innovation Santé, fondé par le sénateur Gérard Larcher, ancien ministre et ancien président de la Fédération Hospitalière de France (FHF). Piloté par Jean de Kervasdoué, ce document décrit toutes les ambiguïtés et les incohérences de notre système. L’ancien directeur des hôpitaux au ministère de la Santé – aujourd’hui professeur émérite au Conservatoire national des arts et métiers –, rappelle que l’assurance-maladie n’est plus une assurance. De fait, la logique bismarckienne selon laquelle la protection sociale est gérée par et pour les partenaires sociaux est devenue une pure fiction.

L’instauration en 1996, des LFSS (lois de financement de la Sécurité sociale) qui, non seulement définissent un taux d’évolution des dépenses de santé – le fameux ONDAM –, mais en plus fixent des orientations organisationnelles, ont réduit à peu de choses le pouvoir d’initiative des caisses maladie. D’ailleurs, celles-ci, depuis 2005, sont dirigées par un tout puissant directeur général nommé en Conseil des ministres pour un mandat quasi-irrévocable de 5 ans et les conseils d’administration des caisses ont été remplacés par un Conseil d’orientation qui émet des avis et des recommandations que personne ne lit.

 

Un Etat en situation de conflits d’intérêt

En réalité, l’assurance-maladie a une influence et une capacité à faire évoluer le système uniquement sur la partie médecine de ville où elle contractualise avec les médecins libéraux à travers la Convention médicale. Mais, même dans ce domaine de compétence, la marge de manœuvre du proconsul – surnom de Frédéric Van Roekeghem – est limitée. On l’a vu avec la négociation sur l’avenant n°8 et le Contrat d’accès aux soins où, in fine, c’est la ministre de la Santé qui a imposé cet accord dont elle a pratiquement dicté les termes. D’ailleurs, depuis qu’il est en place en 2005, M. Van Roekeghem a eu de nombreux bras de fer avec ses différents ministres de tutelle, de Xavier Bertrand à Marisol Touraine en passant par… Gérard Larcher et Roselyne Bachelot qui d’ailleurs, dans le cadre de la loi HPST, voulait transférer la gestion du risque aux Agences régionales de santé, ce qui revenait à supprimer l’Assurance-maladie.
L’hôpital, de son coté, est directement sous la coupe de l’Etat. Les personnels hospitaliers relèvent de la Fonction publique hospitalière. La carte hospitalière, les équipements et les activités sont sous l’autorité des ARS, dont les directeurs sont de véritables préfets sanitaires. Mais, officiellement, le financement des hôpitaux est assuré par l’assurance-maladie qui, en réalité, dans ce domaine est réduite à un rôle de caisse enregistreuse ou plutôt payeuse…

La nécessité de mettre fin à cette dualité est évidente. Mais l’étatisation préconisée par le Cercle du sénateur Larcher impliquerait que l’Etat soit, à la fois, le financeur, le régulateur et l’employeur (du million de personnel hospitalier). Ce qui le placerait en situation de conflits d’intérêts, alors qu’il n’a pas démontré dans le passé, une grande capacité de gestion et de maîtrise du secteur hospitalier. Combien d’hôpitaux construits pour complaire à tel ou tel élu local ? Combien de restructurations et de fermetures de service ou de maternités abandonnées sous la pression de manifestations populaires plus ou moins spontanées ?

 

Imbroglio autour de l’AP-HP

La déconcentration, à travers d’abord des ARH et ensuite des ARS, n’a pas donné de résultats probants. Ces structures déconcentrées permettent au ministre en place de se défausser et de ne plus être en première ligne. Mais cela ne marche pas à tous les coups, comme le montre la récente affaire de l’Hôtel-Dieu de Paris. Au départ, il y a un projet de restructuration du plus vieil et plus emblématique hôpital de la capitale. Approuvé par l’ARS Ile-de-France, il prévoit de transformer l’Hôtel-Dieu en hôpital de santé publique sans lit, d’y accueillir le siège de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris et de fermer les urgences.

Mais la contestation à la fois interne – les médecins de l’Hôtel-Dieu – et externe – les associations de patients et l’opposition qui flaire le bon plan à quelques mois des élections municipales – prend de l’ampleur. Du coup, à l’Hôtel de Ville où la succession de Bertrand Delanoë par Anne Hidalgo n’est pas assurée, on s’inquiète et on tente de chercher une solution de compromis. L’Agence régionale de santé se met aux abonnés absents. La situation n’est pas facile pour Claude Evin. En effet, comme directeur général de l’ARS, il a approuvé le projet, mais, comme ancien ministre socialiste de la santé, il est coincé entre une municipalité socialiste qui exprime des doutes, une ministre socialiste qui veut temporiser et une direction générale de l’AP-HP qui veut aller au bout de son projet, parce qu’il s’inscrit dans un programme de restructuration plus large.

Pour sortir de cet imbroglio, le gouvernement ne trouve rien de mieux que de débarquer la directrice générale de l’AP-HP qui avait le bon profil pour faire office de bouc émissaire, puisqu’elle avait été nommée par la précédente majorité. Venant de la SNCF, Mireille Faugère a été victime d’un déraillement politique. Martin Hirsch, le nouveau DG des Hôpitaux de Paris annonce qu’il suspend le projet, lequel sera rouvert après les élections municipales. Dans toute cette histoire, la question de la pertinence du projet n’a jamais vraiment été posée. Cette affaire est assez emblématique de ce que produirait une étatisation, et donc une politisation, de la gouvernance du système.

 

Les contre-exemples anglais et américains

En matière de système de santé, il y a deux contre-exemples absolus : l’américain et l’anglais. Le premier est d’inspiration libérale, fondé sur une logique assurantielle privée, à l’exception des programmes Medicare et Medicaid pour les personnes âgées et les plus démunis. Résultat des courses : des coûts de santé très élevés, des indicateurs de santé médiocres et 17 % de la population dépourvus de toute couverture maladie, un défaut que l’ObamaCare devrait partiellement résoudre à la grande fureur des Républicains.

Le deuxième est étatique et repose sur un système public. Le National Health System (NHS) est financé par l’impôt et géré par l’Etat. Il assure la gratuité des soins et la part des dépenses de santé dans le PIB est parmi la plus faible des pays développés. Mais c’est un système en faillite avec des hôpitaux débordés, mal équipés et où les patients doivent s’inscrire sur des listes d’attente pour bénéficier d’interventions non urgentes. Tony Blair a passé ses dernières années au 10 Downing Street à injecter des crédits dans le NHS pour le sauver. Ses successeurs – David Cameron en tête – tentent des réformes pour responsabiliser les acteurs, notamment les généralistes, élevés au rang de gatekeepers, sorte de médecins référents responsables des crédits à affecter aux hôpitaux en fonction des patients qu’ils y envoient. En attendant, le secteur privé – notamment les groupes de cliniques français – s’implante dans le pays pour proposer aux Britanniques les plus aisés des soins de qualité. Résultat d’un système de santé étatique : une faillite médico-économique, des indicateurs de santé médiocres et une inégalité d’accès aux soins… Un exemple à suivre ?

En réalité, s’il y a un modèle dont il conviendrait de s’inspirer, c’est plutôt l’allemand, créé au 19ème siècle par Otto Von Bismarck et où les caisses d’assurance-maladie sont aujourd’hui excédentaires depuis 2007 sans qu’il y ait d’exclus de la santé. L’Allemagne a conservé une logique bismarckienne à son système, mais y a introduit une dose de contrôle étatique. Les caisses d’assurance-maladie sont pleinement responsables et exercent une vraie tutelle sur les professionnels libéraux. Elles sont en capacité de déterminer ce qui est remboursable et ne l’est pas et de gérer l’enveloppe des honoraires des médecins libéraux dont la valeur peut d’ailleurs varier selon le volume.

Les médecins allemands ont demandé aux caisses de partager les bons résultats financiers par une revalorisation de leurs honoraires. Les caisses ont répondu que l’avenir étant incertain (vieillissement de la population, augmentation des coûts de production des soins, etc..), il convenait d’être prudent. Pour les établissements hospitaliers, les caisses doivent composer avec les Länders, qui bénéficient – logique fédérale oblige – d’une large autonomie par rapport à Berlin, mais in fine, c’est toujours le payeur qui a le dernier mot. Outre-Rhin, on est loin des négociations byzantines à la française qui relèvent souvent de la discussion de marchand de tapis.

Une bonne gouvernance consisterait à couper le cordon ombilical entre l’Etat et les caisses, celles-ci ayant le pouvoir de pilotage du système dans les limites définies par les lois de financement de la Sécurité sociale (LFSS), et à mettre de la cohérence entre les ARS et les caisses. Les premières, en effet, décident de la structuration sanitaire de leur région sans en mesurer l’impact sur les dépenses de santé. In fine, ce devrait être à l’Assurance-maladie de décider, mais cela supposerait que les Agences ne soient plus des structures déconcentrées, mais décentralisées. La nomination du directeur général de l’Assurance-maladie devrait être votée par le Parlement. L’enjeu de cette profonde réforme de la gouvernance est de mettre en place un pilotage unique, s’appuyant sur toutes les expertises médico-économiques disponibles et jugé sur ses résultats. Une bonne résolution pour 2014 ?

Avec l’aimable autorisation de pharmanalyses.fr

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Philippe Rollandin