Une scène que personne ne voudrait vivre : le patient en pleine bouffées délirantes du Dr. F, médecin généraliste du Vaucluse, s’est poignardé dans son cabinet le 2 janvier dernier, en présence de sa mère et devant les patients de sa salle d’attente. Le jeune homme est mort, mais le Dr. F très choqué, déplore le manque d’humanité et de confraternité des pompiers et des membres du Smur, qui sont venus à son secours.

“J’ai voulu témoigner pour que les faits graves qui se sont produits dans mon cabinet le matin du 2 janvier dernier, ne restent pas isolés et que la profession soit au courant. Je n’avais pris que deux jours de congés car je n’ai pas de remplaçant et nous sommes en manque de médecins généralistes dans le Vaucluse. Mon cabinet était déjà bondé lorsque je suis arrivé, à 9 heures, une vingtaine de personnes m’attendaient, certaines depuis deux heures.

C’est dans ce contexte de forte affluence qu’une maman m’a amené son enfant de 27 ans, et m’a demandé de passer en urgence. Je ne suivais pas ce garçon, mais j’avais déjà reçu des courriers du service psychiatrique, lorsqu’il pétait un plomb, avec des décompensations dans un contexte alcool, drogue, cannabis, cocaïne. Et alors que ça ne se passe pas souvent comme ça, bizarrement, les patients ont accepté de le laisser passer sans rien dire, ils voyaient bien que le garçon n’allait pas bien. Cette maman était venue chez moi un peu par hasard, après s’être fait éconduire par plusieurs services hospitaliers et alors que de nombreux cabinets médicaux étaient fermés.

Le patient a basculé

Lorsque le jeune homme s’est assis devant moi avec sa mère, il a immédiatement exprimé un état de grande souffrance, de stress, il disait que des Russes voulaient le tuer et qu’il y en avait dans ma salle d’attente. Il parlait des deux visiteuses médicales dont les voitures portaient des plaques de la région parisienne. La consultation s’est relativement bien passée, j’ai tenté de le rassurer, d’évaluer la situation. J’ai appelé la consultation psychiatrique de l’hôpital, où malgré un afflux de patients on a accepté de le recevoir tout de suite. Le jeune acceptait tout à fait cette prise en charge, la maman m’avait déjà réglé la consultation. Mais elle m’a aussi avoué qu’elle redoutait de l’accompagner à l’hôpital. Et c’est à ce moment-là, à 10 heures et demie, que le patient a basculé.

Il s’est mis à agresser sa mère et moi, il a sorti un Opinel avec une lame de 6 cm de sa poche, ce qui ne m’a pas particulièrement impressionné : j’ai fait 20 ans de service dans les sapeurs pompiers, je suis capitaine, je me sentais rompu à ce type de situation, j’avais l’impression de maîtriser. Mais il a immédiatement retourné l’arme contre lui et s’est donné six coups de couteau dans la région du cœur en hurlant. C’était un spectacle insensé, un mauvais film de série B. Je me suis même demandé si le couteau n’était pas factice, avec une lame qui rentrait, comme au théâtre. Mais il saignait et il ne tombait pas.

Il s’est tranché la gorge devant les patients

Alors, j’ai ouvert la porte du cabinet pour que sa mère puisse s’échapper. La porte donne directement dans la salle d’attente, laquelle a une paroi en verre. La vingtaine de patients qui attendaient, dont une dizaine d’enfants, ont été les témoins immédiats lorsqu’il est sorti couvert de sang et s’est tranché carotide et jugulaire. Devant eux.

Avec sa mère, nous avons réussi à le tirer dehors, et j’ai immédiatement fermé la porte pour protéger les patients. Bien que de plus en plus ralenti, le jeune homme continuait à gesticuler en tenant des propos incohérents, en pleine bouffée délirante, il continuait à nous agresser, il a tenté d’enfoncer la porte vitrée.

Dans la panique, j’ai commencé à joindre la police. Et au téléphone, la musique d’attente, c’est un cauchemar, on a l’impression que ça dure une heure. Il a fallu que je persuade la policière qui me demandait des renseignements administratifs, de la gravité de la situation…. Enfin, deux policiers sont arrivés qui se sont mis à la recherche du garçon. Il était tapi derrière le cabinet, affaibli mais toujours très agressif. La policière a sorti son pistolet et lui a demandé de lâcher son arme. C’est alors qu’il s’est planté le couteau dans la carotide suscitant une hémorragie cataclysmique, et qu’il est mort. A ce moment-là, les pompiers sont arrivés.

Je suis retourné vers le cabinet pour rassurer les patients, et leur dire qu’ils étaient hors de danger. J’avais aussi demandé que l’antenne psychologique au Samu vienne les prendre en charge, mais c’est là que je me suis retrouvé très seul. Tout seul pour nettoyer le sang de la personne qui avait failli me tuer, dans mon cabinet, épaulé par un voisin. Tout était souillé, les murs, le sol de mon bureau, de l’entrée, de la salle d’attente. Même spectacle dans le passage derrière le cabinet et sur une voiture, là où le patient s’est donné la mort.

On m’a répondu que mon cabinet était un lieu privé, que c’était à moi de le nettoyer

En tant que collègue des pompiers, j’ai demandé qu’ils m’aident, avec de l’eau et du sable. Pour moi, cela me paraissait la moindre des choses, je l’aurais fait pour eux. Et puis on voit souvent les pompiers effacer les traces des inondations, dans les medias. Il m’a été répondu que mon cabinet était un lieu privé, que c’était à moi de le nettoyer, les pompiers ‘n’étaient pas des femmes de ménage’. C’est ubuesque, et cela semble issu des différents délires protocolaires qui prévalent actuellement, et laissent les acteurs de terrain désemparés, moi-même en l’occurrence.

Et pendant ce temps, des gens s’agitaient au téléphone ou au talkie-walkie. Et puis, j’ai très mal vécu aussi l’attitude peu confraternelle de l’équipe du Smur, qui allait et venait en pataugeant dans le sang sans me montrer la moindre marque de compassion alors que j’étais un confrère et que j’avais failli mourir, tout de même ! Même pas un regard, même pas un bonjour…

Il fallait que je nettoie les traces de sang pour reprendre ma consultation à 16 heures. Certains de ces patients du matin étaient gravement malades, ils avaient déjà attendu près de cinq heures dans un lieu clos. Ils étaient choqués, désemparés, je voulais les voir sans tarder. Ce qui m’a fait chaud au cœur, c’est qu’une solidarité incroyable s’était tissée entre ces personnes qui ne se connaissaient pas et qui ont vu ensemble ces choses horribles. L’après-midi, des patients sont venus avec des chocolats, une bouteille, pour me dire qu’ils étaient ‘fiers de leur docteur’ car j’avais réussi à faire sortir l’agresseur, pour les protéger.

Quand je pense que la seule aide proposée par les pouvoirs publics pour mes patients, a été dans l’après-midi, à l’hôpital, la mise en place d’une cellule d’accueil avec 4 psychiatres qui n’ont vu personne ! Evidemment, les patients qui avaient déjà attendu toute la matinée dans un espace confiné, traumatisé par la vue du sang, n’ont pas voulu supporter deux heures d’attente de plus. D’autant qu’ils n’avaient pas tous été prévenus !

De nouvelles procédures qui interdisent le bon sens et l’initiative

Il aurait été si simple d’envoyer une équipe de pompiers faire sur place ce débriefing. Ils auraient pris l’identité des patients, et on les aurait recontactés ultérieurement par téléphone. Mais cela ne fait pas partie des protocoles, des nouvelles procédures qui interdisent le bon sens et l’initiative. Combien de fois, en tant que médecin pompier, suis-je allé réconforter un collègue dans la peine ? Jamais, dans le passé, je n’aurais laissé un confrère ou un collègue pompier seul dans le désarroi ! Mais cette situation est à l’image de la société. Chacun fait son truc dans son coin, de manière impersonnelle. Ce sont les règles qui dirigent le monde et elles disent que les pompiers ne sont pas habilités pour parler avec les gens, qu’il faut envoyer des psy, qu’il faut attendre.

Ce sont mes copains du club de vélo et mes confrères qui m’ont réconforté. Je ne souhaite pas que cette affaire sorte dans les journaux locaux, c’est une mauvaise publicité, mais je suis d’accord en revanche, pour une publication dans la presse professionnelle, car cette expérience peut aider la profession.

Je suis un médecin généraliste à l’ancienne, j’ai 50 ans, j’exerce seul, sans secrétaire. Les médecins généralistes de terrain savent encore prendre en compte l’humain. Je suis fier d’être proche de mes patients et de rester humain dans ce monde froid des procédures. Je ne vais finalement pas abandonner le métier, malgré cette journée éprouvante”.

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne