Le droit pour un professionnel de santé de critiquer l’institution ordinale est une liberté fondamentale au centre de ces professions réglementées.

 

Le contentieux disciplinaire peut aussi porter sur certaines critiques de l’institution ordinale et pas seulement sur certains manquements à la déontologie professionnelle. En témoigne, une affaire récente ayant donné lieu à une décision de la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre national des infirmiers du 12 janvier 2024.

Sur son compte « X » (anciennement « Twitter »), un infirmier avait publié un « tweet », écrivant notamment que « les ordres professionnels avec un pouvoir disciplinaire sont liberticides et corrompus. Le corporatisme s’oppose à la démocratie libérale. Ces instances sont un danger… ». A la suite de cette publication, le Conseil national de l’Ordre des infirmiers a porté plainte, devant la juridiction disciplinaire, contre cet infirmier. Cette plainte a été rejetée en première instance avant d’être examinée en appel.

 

Impartialité et liberté d’expression

Dans sa décision de rejet, prononcée le 12 janvier dernier, l’Ordre national des infirmiers a donné raison à cet infirmier, sur un vice de procédure. Ils estiment que la délibération par laquelle le Conseil de l’Ordre des infirmiers de Paris avait décidé de faire appel était entachée d’irrégularité car son président en exercice avait participé au vote, alors qu’il était particulièrement soupçonné d’avoir manqué à son devoir d’impartialité. Il était en effet personnellement visé par une plainte distincte introduite par l’infirmier mis en cause. L’Ordre national des infirmiers a ainsi considéré que le président de l’Ordre de Paris « aurait dû, en l’espèce, se déporter de toute participation au vote, et pas seulement être absent de la séance ». Le rappel à la règle d’impartialité s’est accompagné, dans la décision rendue par l’Ordre national, d’un rappel à la liberté d’expression des infirmiers, notamment consacrée par la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen et par la Convention européenne des droits de l’Homme et de sauvegarde des libertés fondamentales. Et l’Ordre de rappeler que la liberté d’expression est une « liberté fondamentale par nature irritante, mais inhérente au débat public et pluraliste en démocratie, ainsi que le juge régulièrement la Cour européenne des droits de l’Homme ». Sur ces fondements, l’Ordre national des infirmiers a ainsi confirmé que les manquements déontologiques n’étaient pas qualifiés et que c’est à bon droit que la juridiction disciplinaire de première instance avait rejeté la plainte.

Pour l’avocat, M° Christophe Courage(1), « la décision du 12 janvier 2024 de la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des infirmiers permet donc de remettre les libertés fondamentales au centre des professions réglementées. Il est permis d’espérer que cette décision, qui peut sans audace excessive être qualifiée de grande décision, fasse jurisprudence et soit suivie par les autres juridictions ordinales régissant la déontologie des autres professions de santé réglementées ».

 

(1) Christophe Courage, avocat au barreau de Paris : Un infirmier peut-il critiquer publiquement les ordres professionnels ? Revue Droit et Santé N°119-Mai 2024.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Nicolas Loubry, juriste

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