Malgré les oppositions, les députés ont adopté ce mardi 26 octobre le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2022, avec, entre autres, une mesure qui a fait bondir les ophtalmologues. Le texte prévoit en effet d’autoriser les orthoptistes à réaliser un bilan visuel et prescrire des lunettes et lentilles sans examen médical. Si le Gouvernement espère pallier les difficultés démographiques grâce à ce transfert de compétence, les ophtalmos crient à la dégradation de l’offre de soins. Perte de chance, réduction des délais de rendez-vous, débat autour de la formation… Egoranautes, la mesure vous divise.

 

La mobilisation des ophtalmos n’aura pas eu l’effet escompté. Plusieurs centaines d’entre eux s’étaient réunis devant le ministère de la Santé, vendredi dernier, pour réclamer la suppression du fameux article 40 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2022. Ce dernier autorise les orthoptistes à “réaliser un bilan visuel et prescrire des verres correcteurs et des lentilles de contact oculaire”, et ce “sans prescription médicale et sans être placé sous la responsabilité du médecin”. Une ligne rouge que les ophtalmos refusaient de voir franchie, alertant sur un risque de démédicalisation de l’offre de soins et une éventuelle perte de chance pour les patients, dont le dépistage de certaines pathologies pourrait être compromis.

Pourtant, malgré leur mouvement de grève entamé à l’appel du Syndicat national des ophtalmologistes de France (Snof) et les oppositions dans l’hémicycle, les députés ont bel et bien donné leur feu vert, ce mardi, à la mesure en approuvant le PLFSS en première lecture. Le texte précise que cette prescription ne pourra être réalisée qu’à “’la condition qu’un bilan visuel ait été réalisé préalablement par un médecin ophtalmologiste, dans des conditions fixées par décret”. Mais cette condition est loin de satisfaire les ophtalmos. “Nous comptons à présent sur le Sénat, qui examinera le texte entre le 8 et le 12 novembre, pour retoquer cette mesure inutile, inadaptée et dangereuse”, alerte ainsi sur son compte Twitter le Dr Thierry Bour, président du Snof.

Sur Egora.fr également, l’article 40 a provoqué de vives réactions sous notre article consacré au sujet, certains appuyant une solution aux délais à rallonge chez les ophtalmos et une opportunité pour fluidifier et garantir l’accès aux soins pour tous, d’autres défendant une prérogative médicale nécessitant une formation pointilleuse. Voici une sélection de vos commentaires.

 

“Utiliser l’argument de la perte de chance : la bonne blague”

Par Anne-Claire_A

Je commente rarement (jamais) les articles mais cette polémique, elle est un peu fort de café, je trouve au contraire que nous, orthoptistes, sommes bien gentils…

– On est assez gentils pour le faire en cabinet d’ophtalmologie, en leur permettant d’augmenter d’environ 30% le volume de leurs patients vus par jour de consultation. La plupart sont dans de gros centres et vont juste consulter en deux-deux les résultats d’une retinophoto, ou d’un OCT… Les orthoptistes ont pris l’initiative de le faire parce qu’il y avait un truc qui cloche et qu’on a alerté l’ophtalmologiste (ou dans les petits cabinets le FO au moins) mais pas en libéral sous notre nom…

– Mais on est trop gourmands en rémunération ? Oui c’est sûr, demander à être payés au niveau du salaire médian français, sachant que la démographie des orthoptistes n’est pas non plus illimitée, c’est être gourmand. Surtout face à des médecins qui très facilement peuvent se claquer des salaires à cinq chiffres sans trop forcer ! (Oui, les charges etc, laissez-moi pleurer pour compatir, j’ai été libérale je sais ce que ça représente !)

– Ce qui les ont poussés à proposer à des “assistants médicaux” dont la liste des professions ouvertes à ces postes est longue et surtout hétérogène, la possibilité d’une formation de 80h (!!!!!!) pour faire notre job !

– On rajoute à tout ça le fait que notre formation (une licence depuis quelques années) a toujours été toujours bridée par le SNOF (Syndicat national des ophtalmologistes, NDLR) puisqu’on aurait voulu la poursuite en master. Qu’on est en stage pendant 3 ans dans les services d’ophtalmologie des CHU, sans aucune rémunération (même pas défrayés). Qu’on doit même, dans certains CHU, acheter nous-mêmes nos blouses et les laver nous-même (merci l’hygiène) et qu’on doit pleurer une fois par an pour avoir une petite semaine de révisions avant nos exams (“quoi?! Mais y’aura aucun étudiant orthoptiste cette semaine-là ? Ah, non ce n’est pas possible comment on va faire pour faire tourner le service ?”)

Je ne sais pas mais utiliser l’argument de la perte de chance : merci la bonne blague ! Quand on récupère des suivis amblyopie avec les gamins qui ne sont pas corrigés en totalité, ou que la cycloplégie a été faite juste avec une goutte parce que c’est moins embêtant pour l’enfant, ou même pas de cycloplegie parce que “de nos jours les autorefs sont très précis”, ben…

 

“Les ophtalmos préfèrent engranger les revenus issus des actes chirurgicaux”

Par Sylvie_N

La réalité des patients, c’est que même en ville (la 4ème de France) il faut a minima six mois pour obtenir un rendez-vous d’ophtalmologie aujourd’hui. Certains ophtalmos sont à plus d’un an !! De plus, prescrire des lunettes ne les intéressent pas. Ils préfèrent, pour nombre d’entre eux, engranger les revenus issus des actes chirurgicaux plus intéressants au demeurant…

Personnellement, j’ai été mal traitée par un ophtalmo chirurgien qui m’a fait une prescription de correction inadaptée et a refusé de me revoir pour l’adapter. Pignon sur rue comme chirurgien, pour le reste on repasse… Et en 15 ans j’ai vu mes deux ophtalmos successifs partir à la retraite, sans me prévenir ni me communiquer mon dossier.

Et là, ils sont vent debout contre une mesure de la gouvernance qui permettra aux patients d’être soignés dans un délai normal ?

Que les ophtalmos reviennent prendre en charge dignement tous les actes et ils reprendront leurs prérogatives… Ou pas ! Parce que les orthoptistes feront peut-être particulièrement bien le travail, tout en sachant orienter vers le médecin en cas de besoin.

 

“Le délai de consultation pour les patients sera réduit”

Par Jacques_B_8

Bien sûr que l’ophtalmo est imbattable et irremplaçable sur plein de pathologies. Mais, il y a quand même des troubles de la vision bien répertoriés pour lesquels l’orthoptiste peut calculer la correction visuelle à prescrire.

Que vous exigiez que le patient passe quand même vous voir après ne me pose aucun problème : vous pourriez vous consacrer à la recherche de pathologies cachées, mais vous n’auriez plus à calculer des corrections visuelles. Votre temps de consultation pour ces patients serait réduit de 30 à 50 % (tout en conservant le même tarif bien sûr). Cela vous permettrait de voir plus de patients et de diminuer les délais d’attente…

Ne vous méprenez pas, je n’ai aucun grief à l’égard des ophtalmos, mais mes patients diabétiques ou hypertendus ne sont plus du tout sûrs d’avoir un rendez-vous tous les 12 mois. On peut apporter quelques modifications de bon sens à ce qui existe actuellement, sans nuire au patient.

 

“A quand l’orthoptiste spécialisé dans l’œil droit et celui pour l’œil gauche ?”

Par e.libre

C’est effectivement très préoccupant. On voit déjà arriver des glaucomes historiques dont les lunettes ont été renouvelées sans examen par un opticien (ou son personnel, car il suffit d’un seul diplômé pour ouvrir un magasin d’optique). Corrections très souvent fausses, donc nouvel examen derrière. Patients faussement rassurés et ophtalmos dénigrés par de soi-disant modifications d’ordonnances qui n’en sont pas. Quoi de plus facile que de l’affirmer au patient béotien ? Ophtalmos non avertis en cas de modification alors que les textes sont formels : on doit recevoir un courrier de l’opticien nous informant des modifications…

Maintenant, les orthoptistes : aucune formation médicale = 50 ans de retour en arrière pour les patients. Pour rappel : Le glaucome touche 1 à 2 % de la population de plus de 40 ans et environ 10 % après 70 ans.

La formation médicale dont je parle n’est pas l’étude élémentaire et sommaire des affections des yeux. Comme vous avez dû le remarquer, un œil ne sa balade pas tout seul, mais est un des organes du corps humain. De nombreuses pathologies du corps humain (diabète, HTA, maladies de système, auto-immunes, etc) vont atteindre également les yeux, et parfois permettent de faire le diagnostic (ex: SEP).

Ce sont de ces connaissances médicales dont je parle : être capable de relier une atteinte oculaire à une pathologie particulière (ex SPA, PR, rosacée, Behcet…). C’est cela l’important au niveau de la santé globale du patient qui n’a pas à être découpé en tranche : à quand l’orthoptiste spécialisé dans l’œil droit, et celui pour l’œil gauche ?

Je n’ai rien contre les orthoptistes avec lesquels je travaille en bonne intelligence, mais 3 ans, c’est pas 10 ans (minimum). C’est simple comme chou.

 

“Ophtalmos et opticiens sont complémentaires et irremplaçables”

Par Anne_Y

Ophtalmos et opticiens sont complémentaires et irremplaçables, chacun dans leurs compétences et leur rôle ! Le système actuel permet au second de faire des contrôles visuels et de refaire, si besoin, les lunettes sur prescription du médecin traitant, mais renvoie tous les trois ans à l’ophtalmo, ce qui sera un jour le délai d’obtention d’un rendez-vous au vu de la raréfaction des vocations.

Et l’ophtalmo est irremplaçable pour un examen complet de l’œil et dépistage et traitement de glaucome, cataracte, pathologies rétiniennes… Il reste du travail !!!

 

“C’est le patient qui décide de son suivi”

Par jactas

Ophtalmo ou pas, c’est le patient qui au bout du compte décide de son suivi… Souvent déficient, qui n’est pas à imputer, au passage, chez les “opticiens”. Par ailleurs, et mon expérience (personnelle entre autres) me prouve que l’adaptation des verres prescrite sur ordonnance laisse souvent à désirer et doit être corrigée par le “bac +3”… Cherchez l’erreur !

 

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Louise Claereboudt et Marion Jort

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