LE CONCOURS LÉPINE DE LA COERCITION…
Comme chaque année, l’automne est la période choisie par nos élus (députés, sénateurs et maires ruraux) pour rivaliser d’imagination afin de trouver les mesures qui permettront d’améliorer l’accès aux soins en France et dans les DROM.
Il est en effet de plus en plus difficile de trouver un médecin traitant lorsque l’on n’en n’a plus, d’avoir un rendez-vous dans des délais acceptables auprès d’un médecin spécialiste tant en ville qu’à l’hôpital, d’accéder à un service d’urgence ouvert.
Trente années de décisions gouvernementales nous ont amenés à cette situation faute d’anticipation sur les besoins de santé d’une population qui vieillit et donc du nombre de médecins nécessaire en prenant en compte leur pyramide des âges.
Concernant la médecine générale, plusieurs éléments complexifient l’analyse.
Tout d’abord, un nombre de plus en plus important de médecins généralistes ne sont pas ou ne sont plus médecins traitants, rendant obsolètes les cartographies existantes des zones normalement dotées en médecins. Ainsi, des territoires considérés comme étant bien dotés en médecins généralistes manquent de médecins traitants. Ces médecins préfèrent travailler pour des plateformes de téléconsultations ou dans des centres de soins non programmés, ou faire de la médecine esthétique, ou être salariés à l’hôpital.
Alors que le pourcentage des autres médecins spécialistes par rapport aux médecins généralistes augmente, ces derniers préfèrent de plus en plus l’exercice salarié en centre de santé qui est jugé moins contraignant que l’exercice libéral. Si l’exercice salarié permet le plus souvent de ne pas participer à la permanence de soins ambulatoires en ville, son modèle économique lui permet aussi de prendre en charge beaucoup moins de patients comme médecin traitant que le médecin de famille libéral.
Au total, comment ne pas faire le constat que le métier de médecin traitant libéral est de moins en moins attractif auprès des jeunes médecins et de leurs aînés et que cela impacte lourdement l’accès aux soins.
Parmi les propositions de nos élus qui ne concernent que les médecins généralistes libéraux, y en a-t-il qui sont de nature à rendre ce métier plus attractif ?
L’interdiction de s’installer dans des territoires jugés plus attractifs même si l’on y manque de médecins traitants, à moins de payer une grosse somme d’argent pour racheter la patientèle d’un médecin qui cesserait son activité ?
L’obligation de participer à la permanence des soins alors que 97 % du territoire français sont couvert ?
Mettre en place un service sanitaire obligatoire de deux ans pour les jeunes médecins souvent chargés de famille dans des zones peu attractives où même les services de l’État n’existent plus ?
Limiter à quatre ans la possibilité de remplacer alors que tous les médecins généralistes installés ont besoin de remplaçants ?
Renforcer les centres de santé et donc l’activité salariée pourtant moins productive que l’activité libérale ?
Ces mesures ne donneront pas envie à tous ces jeunes de revenir sur leur décision, eux qui, une fois diplômés, décident de ne jamais exercer le métier de médecin.
Non seulement aucune de ces mesures dignes d’un Concours Lépine de la coercition ne vont rendre attractif le métier de médecin traitant libéral, mais elles vont inciter les internes en médecine à choisir une autre spécialité que celle de la médecine générale et, pour ceux qui l’auront choisie, à ne pas devenir médecin traitant libéral.
L’accès aux soins s’en trouvera donc encore plus dégradé !
Pourtant, des solutions existent :
– l’universitarisation des départements n’ayant pas de faculté de médecine afin de faire découvrir leurs atouts à ces futurs médecins ;
– bien préparer l’arrivée en 2026 des « docteurs juniors », tant au niveau des lieux d’exercice que des lieux de vie afin de leur donner envie de rester ;
– avancer à 2025 au lieu de 2026 les mesures conventionnelles censées rendre plus attractif le métier de médecin traitant libéral ;
– renforcer les aides permettant d’embaucher des assistants médicaux et des infirmièr(e)s en pratique avancée. Ces professionnels de santé permettent aux médecins traitants de prendre en charge plus de patients et d’améliorer la qualité des soins ;
– renforcer les mesures prévues dans le PLFSS 2025 incitant au cumul emploi-retraite, car il s’agit là de la mesure la plus rapidement efficace.
Espérons que nos élus, qui poursuivent les mêmes objectifs que nous, entendent la voix de la raison. Sinon le pire est à venir pour les Français et donc pour notre métier de médecin de famille.
Dr Luc DUQUESNEL,
Président du syndicat Les Généralistes-CSMF
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