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EGORA – Interview du Dr Luc Duquesnel. Menaces de coercition : « Il y aura un désengagement des jeunes médecins du métier de médecin traitant »

Service sanitaire obligatoire pour les jeunes médecins diplômés, régulation à l’installation, rétablissement des gardes obligatoires… Chaque automne, les propositions de mesures coercitives sont légion au Parlement et dans le débat public. Mais cette année, alors que les difficultés d’accès aux soins s’accroissent et que les finances publiques sont au plus mal, la menace se fait de plus en plus sérieuse. Pour le président des Généralistes-CSMF, le Dr Luc Duquesnel, les politiques se trompent de cible en s’attaquant aux médecins libéraux. « Nous sommes en train de faire peur à des internes, à des lycéens qui aimeraient devenir médecins, alors que nous avons besoin d’eux ! »

Dr Luc Duquesnel

Les seuls médecins réellement visés par toutes ces mesures coercitives sont les médecins généralistes libéraux car il n’existe pas de zonage pour les autres médecins spécialistes.

Dans un rapport publié la semaine dernière, la Cour des comptes préconise, entre autres, de mettre en œuvre « des mesures d’équilibrage territorial de l’installation » des médecins libéraux, pour redonner de l’air aux services d’urgence. La réponse de la ville à la crise des urgences est-elle insuffisante ?

Je suis d’abord un peu surpris par cette proposition. Qui la Cour des comptes cible-t-elle spécifiquement : les généralistes – et plus particulièrement les médecins traitants –, les médecins spécialistes ? C’est tellement vague qu’on ne voit pas très bien ce sur quoi cela va déboucher.

En 2023, par rapport à 2022, l’activité des services d’urgence a diminué dans toutes les régions de France, à des degrés différents, d’après des chiffres de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS). Cela signifie que les prises en charge ont été faites grâce à la médecine ambulatoire. Dans mon département (la Mayenne), l’hôpital, pivot du groupement hospitalier du territoire (GHT), est fermé six nuits sur sept, et parfois dès 14 heures. Les patients se redirigent vers la ville.

Si nous avons mis en place des services d’accès aux soins (SAS), c’est aussi pour mieux prendre en charge les soins non programmés. Ce sont des généralistes qui le font, en plus de leur travail au cabinet. Ils font des gardes de régulation supplémentaires et ouvrent des plages de rendez-vous pour recevoir de nouveaux patients. Nous ne sommes pas plus nombreux, en revanche nous travaillons plus.

Les Sages posent également la question du rétablissement de la participation obligatoire des médecins libéraux à la permanence des soins ambulatoires (PDSA). Cela signifierait revenir sur un combat gagné en 2002 par les syndicats au terme de longs mois de combat. Est-ce entendable ?

Peut-on dire à des internes qui envisagent de devenir médecins traitants qu’on va rendre la PDSA obligatoire alors qu’aujourd’hui, même si nous ne sommes que 39 % à l’assurer, elle fonctionne bien sur 97 % du territoire ? Est-ce que cette mesure va rendre le métier attractif ? La réponse est évidemment non. En ville, la médecine générale est la seule spécialité pour laquelle il existe une permanence des soins. Si on la rend obligatoire, les internes choisiront une autre spécialité médicale.

En parallèle, un groupe de travail transpartisan, mené par le député de la Mayenne Guillaume Garot, a déposé une proposition de loi contre les déserts médicaux, avec comme mesure phare la régulation à l’installation des médecins libéraux. Elle a d’ores et déjà été signée par 237 députés…

Depuis trente ans, l’État a généré une diminution du nombre de médecins – essentiellement généralistes – alors que les besoins augmentaient. Derrière l’État, j’entends l’ensemble des partis politiques. Ce groupe transpartisan en est un bon exemple : pour faire oublier leurs erreurs d’hier des élus de tous bords se retrouvent derrière ces mesures coercitives, dirigées contre les seuls médecins généralistes libéraux. Cela ne concerne pas ceux qui exercent à l’hôpital ou dans des centres de santé ou dans des centres de soins non programmés, et qui sont pourtant de plus en plus nombreux. On peut se demander : Pourquoi cette coalition antilibérale ? Les chiffres montrent pourtant qu’un généraliste libéral prend en moyenne plus de patients en qualité de médecin traitant qu’un généraliste salarié d’un centre de santé. Cette régulation de l’installation va totalement à l’inverse de l’objectif d’amélioration de l’accès aux soins. Pourquoi ne prend-on pas des mesures pour amener à des réflexions territoriales, permettant d’identifier les besoins des populations et les solutions pour y répondre ?

Plus précisément, le groupe de Guillaume Garot veut voir appliquer la règle « un départ, une arrivée » dans les zones où l’offre de soins est « au moins suffisante ». Ces zones existent-elles ?

Quand on dit que 87 % du territoire français est sous-doté en médecins généralistes, c’est vrai. Mais 100 % du territoire français est sous-doté en médecins traitants. Il n’y a aucune zone surdotée ! Il est d’ailleurs étonnant de voir tous ces tenants de mesures coercitives ne pas demander une cartographie nationale, et donc un zonage, des médecins traitants, car de plus en plus de médecins généralistes ne sont pas médecins traitants.

La règle « un départ, une arrivée » dans les zones où l’offre de soins est « au moins suffisante » signifie que ces patientèles se vendront très cher, plusieurs centaines de milliers d’euros. Les Généralistes-CSMF y sont totalement opposés car cela reviendrait à permettre des installations dans ces territoires jugés plus attractifs aux seuls jeunes médecins dont les familles sont fortunées.

Nous sommes en train de faire peur à des internes en médecine, à des lycéens qui aimeraient devenir médecins, alors que nous avons besoin d’eux. Ce concours Lépine de la coercition, organisé par nos élus, va aggraver l’accès aux soins. À ce jour, nombre d’étudiants qui terminent leurs études de médecine n’exercent pas ou refusent d’être médecins traitants. Ce n’est pas comme cela que nous réussirons à inverser la tendance. On marche sur la tête ! Ce qu’il faut, c’est donner envie aux internes de s’installer là où ils ont réalisé leur année de docteur junior.

Ces mesures coercitives ont-elles une chance d’être adoptées ?

Ce qui est sûr, c’est que si elles passent, ce ne sont pas les médecins installés qui seront touchés, mais bien les jeunes. Le vrai scandale est là. Il y aura un désengagement. On va dégoûter des jeunes qui auront fait dix ans d’études pour devenir médecins. Des études éprouvantes au demeurant : un récent rapport montre l’importance des états anxiodépressifs chez les internes. Une fois diplômés, on va leur remettre des bâtons dans les roues…

Douze associations et organisations syndicales de jeunes et de médecins libéraux, dont les Généralistes-CSMF, se sont unies pour dénoncer dans un communiqué commun ces attaques répétées. Comment comptez-vous agir ? Une manifestation est-elle envisagée ?

Les manifestations émeuvent peu le pouvoir politique, on le voit avec le mouvement des agriculteurs. Il faut taper beaucoup plus fort pour être efficace. Les jeunes ont une force de frappe énorme. S’ils décident d’une grève des externes et des internes, les hôpitaux fermeront. Ils ne pourront pas tenir. Nous les soutiendrons dans leurs actions. Je tiens à rappeler que, chez Les Généralistes-CSMF, nous ne sommes pas là pour défendre des médecins sur le sujet de la démographie médicale, mais pour défendre un métier. Ce ne sont pas des intérêts catégoriels.

Quels seraient les déterminants pour améliorer l’accès aux soins ?

Il faut donner un élan positif. Il faudrait déjà que les maires ruraux et les conseils départementaux travaillent aux conditions d’accueil des docteurs juniors avec une réflexion territoriale en lien avec les organisations professionnelles existantes : où pourront-ils exercer, où habiteront-ils avec souvent un conjoint et parfois des enfants ? Cela renverrait un message positif à ces jeunes. Aujourd’hui, nous ne sommes pas sûrs qu’il y aura des maîtres de stage en nombre suffisant pour les prendre en charge. On en est presque à se demander s’il ne faut pas reporter cette mesure d’un an pour non-préparation…

Il faut aussi aller plus loin sur le cumul emploi-retraite. Un médecin qui retarde son départ à la retraite est un médecin opérationnel aussitôt. Si l’État veut vraiment améliorer l’accès aux soins, il doit prendre des mesures à la hauteur des besoins et éviter les épouvantails qui ne servent à rien.