Claude Le Pen est professeur à l’université Paris-Dauphine où il dirige le master d’économie de la santé. Il avance l’idée du salariat entre médecins.

 

Egora.fr : Le salariat semble tenter de plus en plus, est-ce une nouvelle tendance en médecine et notamment en médecine générale ?

Claude Le Pen : Oui, enfin cela dépend où l’on place le curseur temporel. Je pense qu’il y a en tout cas, aujourd’hui, une perte des valeurs de la médecine libérale que l’on défendait jusqu’ici en référence à la charte de la médecine libérale de 1927: indépendance, autonomie, paiement direct des honoraires. Dans les valeurs de la médecine libérale, il y a deux choses qui sont en train de se dissocier. Il y a des valeurs éthiques et un modèle économique. La médecine libérale fusionnait ces deux éléments. C’était dans l’intérêt du patient que le médecin soit exclusivement à son service. Pour cela, il devait être indépendant financièrement et il ne devait pas être dans un lien de subordination de type salarial.

Aujourd’hui, le salariat n’est plus incompatible avec un dévouement, une qualité des soins et un engagement auprès du patient. On le savait confusément, puisque la médecine hospitalière est une médecine salariée. On n’accusait pas les médecins d’être au service de l’hôpital. Mais être payé par l’hôpital est autre chose qu’être payé par une caisse d’assurance maladie ou par une institution publique. Cette dissociation entre les valeurs portées par la médecine libérale et son organisation économique est bien un phénomène nouveau. Il faut aussi préciser les choses. Lorsqu’on dit que les médecins sont attirés par le salariat, ce n’est pas forcément par la médecine salariée. On peut être salarié de l’industrie pharmaceutique ou d’une compagnie d’assurances. Ces médecins utilisent la médecine comme culture générale pour exercer un travail salarié dans lequel ils ne soignent pas et ne voient jamais de patients. Il y a de plus en plus de jeunes médecins qui n’exercent pas la médecine et prennent des fonctions salariées de toute nature. Le fait qu’un médecin soit salarié d’un autre n’est pas légal pour l’instant.

 

Serait-ce une piste à développer ?

On y avait pensé. Cela existe dans la plupart des professions libérales, dans le droit notamment. Il y a des gros cabinets dans lesquels certains avocats sont associés et d’autres sont collaborateurs, à savoir salariés. En médecine, ce n’est pas un schéma complètement exclu. On réfléchit parfois à un concept d’entreprises libérales de santé. L’entreprise serait libérale, elle toucherait des honoraires, mais ses médecins pourraient avoir différents statuts : des médecins salariés à plein temps, à temps partiel, d’autres qui seraient associés et qui toucheraient des sortes de dividendes et des médecins qui seraient mixtes. C’est une solution possible, notamment dans un cadre d’encouragement des médecins à exercer de manière plus collective. Cela a été envisagé, mais je ne crois pas qu’il y ait aujourd’hui de projet ferme en ce sens.

C’est vrai qu’aujourd’hui les cabinets de groupe posent un peu ce problème. Est-ce simplement un agglomérat de médecins qui se réunissent pour diminuer les frais ou est-ce qu’ils constituent une vraie entité légale, une personne morale qui exerce collectivement, encaisse des recettes collectivement et rémunère ses collaborateurs en fonction de leur engagement dans la structure, de leur ancienneté, de leur âge, de leurs compétences, de leur rôle de cadre ou non. L’émergence de formes juridiques nouvelles comme les société d’exercice libéral à responsabilité limitée (Selarl) pose la question de l’évolution de ces statuts et de la création – pourquoi pas –à l’intérieur de ces structures collectives de la fonction de médecin salarié. On n’en est pas là. Je pense que cela serait pour beaucoup de médecins un choc, mais ça n’est pas à exclure.

 

Cela pourrait-il faciliter l’installation des jeunes ?

Oui, effectivement, cela pourrait faciliter le travail des jeunes, comme cela facilite le travail des jeunes avocats qui trouvent pendant quelque temps un accueil dans un cabinet et qui au bout d’un moment créent leur propre structure ou montent en hiérarchie pour devenir associé.

 

Vous estimez qu’il n’y a pas d’attirance des soignants vis-à-vis de l’exercice en centres de santé. Pourquoi ?

Ils ont la concurrence des cabinets libéraux. Ce type de structure fait un peu penser aux dispensaires, et à la médecine collective… Les structures intermédiaires comme les cabinets de groupe, centres de soins, plateaux techniques ambulatoires, que tout le monde appelle de ses voeux, existent, mais restent balbutiantes. Il n’émerge pas comme une force alternative au modèle libéral traditionnel.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin