Depuis plusieurs années déjà, de nombreux Français se laissent séduire par des offres attractives de séjour “tout inclus” à l’étranger, avec pour objectif de voyage, un soin. Tout comme la France, accueille de plus en plus d’étrangers attirés par des soins de qualité.

 

“La tendance qu’ont les Français à partir se faire soigner à l’étranger est caractéristique d’une difficulté d’accès aux soins en France du fait notamment du coût du reste à charge, explique Marc Paris, responsable communication du Collectif interassociatif sur la santé (Ciss). Ce n’est pas une situation idéale et elle ne doit pas être présentée comme telle car au contraire, il s’agit d’une lacune de notre système de santé.”

 

Des économies de 50% dans le dentaire

Ce sont surtout les soins dentaires et les soins esthétiques qui conduisent les Français à partir à l’étranger. “Et les offres de séjour à l’étranger viennent facilement aux patients sur Internet”, souligne Marc Paris.Il suffit en effet de quelques clics pour voir apparaitre des organismes qui proposent des séjours clé en main, d’autant plus séduisants que les tarifs des soins sont moins chers qu’en France et vendus avec un voyage. Les économies réalisées dans le dentaire serait de l’ordre de 50 % et en chirurgie esthétique de 30 à 40 %. Et pour les soins pratiqués à l’intérieur de l’Union européenne, les Français peuvent demander un remboursement sur la base des tarifs en vigueur de la sécurité sociale française et dans la limite des dépenses engagées.

“En France, les soins conservateurs étant sous-payés, les dentistes se rattrapent sur les prothèses, explique le Dr Christian Couzinou, président de l’Ordre des chirurgiens-dentistes. En Hongrie, les soins conservateurs sont deux fois plus chers qu’en France, les dentistes n’ont alors pas besoin d’appliquer des tarifs élevés pour les prothèses.”

 

Derrière le coût français, la sécurité du patient

En 2013, le Centre national des soins à l’étranger (CNSE) a traité 21 278 demandes de remboursement de soins dentaires effectués à l’étranger pour lesquels les assurés français ont dépensé 10,6 millions d’euros et ont été remboursés de 2,3 millions d’euros. Du côté de la chirurgie, si elle est plus chère en France, même sans compter les dépassements d’honoraires, “c’est parce que nous avons des normes d’hygiène, un réseau de traçabilité ou encore des frais de personnels incompréhensibles contrairement au Maroc, à la Hongrie ou à la Tunisie, où la main d’œuvre coûte moins chère, explique le Dr Didier Legeais, urologue, vice-président du Conseil départemental de l’ordre des médecins (CDOM) d’Isère, vice-président de l’Union des Chirurgiens de France, et président du syndicat des médecins d’Isère. Le coût français n’est pas inutile car derrière il y a la sécurité du patient.” Cette problématique n’est malheureusement pas prioritaire pour les pouvoirs publics alors que “cela soulève la question de la garantie de la qualité et de la sécurité des soins”, souligne le Dr Romestaing, appelant les patients à la prudence.

“La situation n’est pas idéale en termes de suivi et de risques lorsque les soins sont effectués à l’étranger”, fait savoir Marc Paris. Si dans 70 % des cas, les soins se passent bien, le Dr Christian Couzinou, président de l’Ordre des chirurgiens-dentistes, dénonce néanmoins le fait que les devis soient effectués par les médecins étrangers d’après une radio panoramique.

“C’est un vrai problème car une fois qu’ils ont le patient devant eux, les dentistes peuvent constater par exemple des problèmes gingivaux et modifier le devis. Cela remet en cause le consentement éclairé du patient.” Et le plus gros problème vient de la vitesse des soins. “La mise en charge immédiate de l’implant peut entraîner des problèmes de cicatrisation”, explique le Dr Couzinou.

 

De nombreux étrangers viennent chez nous

La chirurgie esthétique française, “est historiquement et mondialement connue, avec un haut niveau de qualité en termes de sécurité opératoire, rapporte le Dr Michel Rouif, président de la Société française des chirurgiens esthétiques plasticiens (Sofcep). Malgré tout, des patients français vont ailleurs car les tarifs sont moins élevés. C’est l’unique raison. Mais que font-ils de la sécurité sur place et des suites opératoires ?” Les établissements à l’étrangers sont-ils accrédités et de qualité ? La sécurité est-elle élevée en termes d’infrastructures et de personnels ? La traçabilité est-elle assurée ?

Situation d’autant plus paradoxale que “nous voyons arriver sur le territoire français, de nombreux étrangers qui viennent bénéficier de nos soins car ils savent que chez nous, les accidents médicaux sont moins nombreux”, rapporte le Dr Legeais.

 

Le tourisme médical n’est pas dans la culture française

Avec son offre de soins de pointe et un niveau de technicité élevé, la France attire de plus en plus d’étrangers. A Lyon par exemple, l’idée de développer le tourisme médical date de 2007, et a été récemment relancée depuis l’ouverture d’une ligne aérienne Paris-Dubaï. “L’objectif est d’être prêt pour 2015 car le tourisme médical ouvre de belles perspectives, apprend-on d’une source lyonnaise qui souhaite rester anonyme. Il s’agit d’un vecteur de promotion de la ville, tout comme la gastronomie.”

“De nombreux étrangers viennent se faire soigner en France et paient leurs soins cash, fait savoir le Dr Legeais. C’est plutôt une bonne chose pour nous car ils amènent de l’argent et ils paient la sécurité sociale. Mais nous n’avons pas su développer un tourisme médical économiquement rentable car ce n’est pas dans la culture française.” L’Allemagne, la Thaïlande, l’Inde, les Etats-Unis, se sont adaptés à la demande et ont su développer une offre de soins qui leur ramène plusieurs milliards de dollars de ressources par an. Mais en France, “on reste dans une idée judéo-chrétienne où l’on ne doit pas faire de l’argent sur la santé alors qu’elle est devenue un enjeu économique”, indique le Dr Legeais.

 

A l’AP-HP, un accord pour les patients libanais

A titre d’exemple, l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), qui n’a pas souhaité répondre à nos questions, aurait conclu un accord avec une société libanaise lui permettant de structurer et d’organiser son offre de santé pour les malades étrangers. Mais encore faut-il que l’offre passe les barrières des syndicats hospitaliers, qui remettent en cause ce type de pratiques.

Le récent séjour d’un émir à l’hôpital Ambroise Paré (Hauts-de-Seine), qui a réservé tout un étage de l’établissement pendant une semaine, a d’ailleurs fait polémique. Martin Hirsch, le directeur général de l’AP-HP a affirmé “assumer” l’accueil de ce patient particulier car il ne se serait pas fait au détriment de malades français. Il a d’ailleurs précisé que les malades étrangers paient “30 % plus cher que le tarif de la Sécurité sociale”, le dispositif est même indispensable pour ramener de l’argent dans les caisses de l’établissement public de santé et ont permis de dégager une marge de 2,5 millions d’euros depuis janvier. L’AP-HP a décidé de limiter à 1 % le nombre de malades étrangers fortunés accueillis dans des conditions privilégiées, mais en 2012, il serait resté une ardoise de 90 millions d’euros.

 

Nos praticiens ne sont pas pour autant payés davantage

“L’AP-HP a du mal à justifier la création de chambre de luxe, fait savoir le Dr Legeais. Les syndicats et le personnel montent au créneau, et sont ulcérés par cette idée alors qu’ailleurs cela ne choque pas.” “En aucun cas il ne peut y avoir de discrimination dans les soins à l’égard des patients, met en garde le Dr Romestaing. Néanmoins, il y a une erreur d’analyse en France. La situation économique de la France est telle qu’il pourrait être intéressant de porter un regard attentif sur ce potentiel économique.”

Et le Dr Rouif de poursuivre : “Pour l’AP-HP, c’est une idée intéressante mais est-ce normal qu’on embolise des plateaux techniques alors que c’est l’argent de nos impôts ? En plus, je suis écœuré par cette hypocrisie car on facture les soins plus chers aux patients étrangers, mais nos praticiens ne sont pas pour autant payés davantage. On les méprise. Le tourisme médical est une bombe à retardement qui consiste à soigner le monde entier à faibles prix. C’est tout le système qui devrait être revalorisé.”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Laure Martin