Médecins à l’étranger (4/6) – Sophia Andreoli, est française d’origine russe. Faute d’avoir pu étudier la médecine en France, elle s’est inscrite à la fac de médecine de Moscou, puis s’y est installée définitivement. Aujourd’hui, elle soigne à domicile des expatriés français, dans un pays où les spécialistes sont rois, et où la qualité des soins n’est pas toujours au rendez-vous.

 

Egora.fr : Comment en êtes-vous arrivée à travailler en Russie ?

Sophia Andreoli : J’ai effectivement fait mes études de médecine en Russie. J’avais essayé le concours en France mais venant d’un bac littéraire je n’avais pas le niveau en maths et physique. J’ai donc fait une maitrise de Droit international et voulais ensuite me spécialiser en droit de la santé. J’ai été refuse au Master de Droit Médical car mon dossier n’était pas assez bon. Je dois avouer que je passais beaucoup de temps dans les ambulances de premiers secours de la Croix-Rouge ou j’étais chef d’équipe… Je pensais que justement ca m’aiderait à intégrer le Master…

Bref a posteriori tout ceci est une bonne chose car je suis partie en Russie travailler (nous sommes d’origine russe du cote de ma maman, mes grands-parents ayant émigré au moment de la Révolution russe) car je parlais russe. J’ai trouvé un travail de DRH dans une Clinique privée dirigée par un français, mais rapidement un concours de circonstance m’a fait réaliser que ce n’était que la médecine qui m’intéressait. J’ai donc passé l’examen d’entrée à la Faculté de Médecine Pirogov de Moscou et j’ai été prise.

La Clinique où je travaillais se développait vite à ce moment, il fallait quelqu’un pour gérer les week-ends. C’est comme ça que je suis passée Administrateur de Garde. Du lundi au vendredi, j’allais à la fac et le week-end je travaillais pour payer mes études, mon logement… Je ne voulais pas dépendre de mes parents. J’avais alors 23 ans.

 

Comment s’est passée votre intégration en tant que Française dans une université russe.

Je n’ai pas eu de soucis d’intégration, car je parlais russe couramment. Et être française en Russie c’est toujours un plus.

 

Avez-vous pensé revenir en France après vos études ? Pourquoi être restée en Russie ?

A la fin de mes études j’étais mariée à un russe et mon fils ainé venait de naitre. Je n’avais donc pas d’intention de rentrer en France. En revanche je me suis inscrite à la CAMU au SAMU de Necker, j’ai passé le concours d’intégration sur un coup de tête et je l’ai eu, ça a été un grand moment de joie ! J’ai fait ensuite 3 ans d aller-retours réguliers avec mes enfants sous le bras pour suivre les cours et stages.

Un mois avant d’accoucher de mon troisième je passais l’examen final. C’était très important pour moi j avoir un diplôme me permettant de pouvoir travailler en France comme médecin si jamais je dois rentrer.

A propos de la CAMU et des urgences en général je dois énormément au professeur Carli (SAMU 75) et au docteur Marc Andronikov (Urgences Beclere). Les deux m’ont toujours pris en stage, m’ont permis de faire plein de gestes techniques et je leur suis éternellement reconnaissante de m’avoir formé.

 

Comment travaille un médecin généraliste en Russie ?

Un médecin généraliste en Russie ce n’est pas grand-chose. Ici la culture du spécialiste est très forte. C’est à mon avis le plus gros problème en Russie, cette absence de médecin traitant qui serait un filtre de la consommation de spécialistes. Ici si on a mal à la tête on va voir un neurologue…

 

Comment se passe votre pratique au quotidien ?

J’exerce uniquement à domicile pour des raisons de gestion de mon temps. Je dépends d’une Clinique privée qui me déclare officielement, me fournit les prescriptions et factures dont mes patients ont besoin pour leur assurance.

Mes patients sont des expatriés français en particulier des familles nombreuses, je fais donc surtout de la pédiatrie. Je reçois le matin à partir de 7h les sms ou les appels de demande de consultation et passe dans la journée selon les secteurs ou sont les malades. Un peu comme un SOS médecin.

Je prends peu de rendez-vous en avance car si j’ai beaucoup de malades, je dois alors annuler les moins malades ! Je ne pensais pas que ce travail me plairait au début mais finalement j’ai parfois des petites urgences et le travail à domicile permet un contact particulièrement agréable avec le malade. Ensuite j’ai découvert la part très importante du psychologique dans la maladie et dans la relation à l’enfant et cela m’intéresse beaucoup.

 

Quelles sont vos conditions de travail (salaire, horaires…) ?

Je travaille tous les jours sauf le dimanche. Mes horaires sont fixées selon le nombre de personnes à voir, en général de 8h30 à 17h. Mes records sont de 10 à 12 personnes par jour sachant que je fais tout à pieds ou en métro. En moyenne c’est 6 à 7 patients par jour. Je ne fais surtout pas de publicité car je ne pourrais pas gérer plus de monde. Je suis aussi le médecin conseil du Consulat et à ce titre j’ai parfois un peu d’aide à leur apporter.

Mon salaire représente un pourcentage sur la consultation ce qui m’assure un revenu convenable mais fait que, par exemple, à chaque vacances je ne gagne rien sauf du confort de vie ! Et cela me va très bien !

 

Comment cela se passe avec vos confrères ?

J’ai de bonnes relations avec mes collègues français qui exercent eux aussi dans des cliniques privées. Ce sont souvent des spécialistes et nous travaillons bien ensemble.

Avec les médecins russes c’est plus difficile d’établir de bonnes relations de travail et d’obtenir un retour d’information. Ils n’ont tout simplement pas l’habitude de la collégialité… Mais avec certains cela se passe très bien.

 

Quel regard portez-vous sur le système de soins en Russie ?

Mon regard sur le système de soins en Russie n’est pas trop négatif. Il y a une sécurité sociale pour tous et, en urgence, n’importe qui se fait soigner gratuitement. Oui il y a comme presque partout une médecine plus réservée aux gens ayant des moyens. En France aussi la consultation d’un spécialiste en privé est assez chère et c’est normal selon moi. Mais les pauvres ont la possibilité de se faire soigner gratuitement et correctement. Et pour avoir fait mes études ici je, peux en témoigner.

Le problème, c’est l’éducation de la population a la santé, chacun n’en fait qu’à sa tête et les petits salaires des médecins des polycliniques font qu’ils “hyperdiagnostiquent” pour garder le patient pas trop loin. Il y a aussi ce paradoxe de la relation aux médicaments, d’un côté ils les rejettent et d’un autre côté, ils ont une consommation incroyable de comprimés soit disant miraculeux qu’ils nomment “anti viraux, immunostimulants”… Il y a le cliché des médicaments contrefaits en Russie. Personnellement en 5 ans d’exercice je n’ai jamais eu le moindre problème avec aucun traitement et je trouve absolument tout ce dont j’ai besoin en médecine générale.

 

Est-on aussi bien soigné en Russie qu’en France ?

Je dis à mes patients de rentrer systématiquement en France dès qu’un cas est un peu complexe. Ici, il y a peu de bons spécialistes car la sélection des étudiants est très limitée. En Russie, on peut rentrer en médecine en payant ou en ayant de bonnes relations. Lors de mes études j’ai eu des cours de très bonne qualité. Je le sais car je relisais toujours les sujets sur le site de la faculté de Rennes pour comparer. En revanche, les étudiants qui m’entouraient n’étaient absolument pas d’un bon niveau…

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aline Brillu