Grand blitz sur le financement et le prix des lunettes d’optique, mise sous surveillance des hôpitaux publics, rationalisation du financement de la permanence des soins libérale et coupes franches dans la biologie libérale et hospitalière… Avec, cerise sur le gâteau, des préconisations de réforme pour le régime de retraite des professions libérales, appelées à mutualiser leurs ressources… La Cour des comptes n’y va pas par quatre chemins pour réduire les déficits de la Sécu, et de l’assurance maladie, qu’elle juge très préoccupants.

 

Chargée de surveiller la bonne application des lois de financement de la sécurité sociale, et à une semaine de la présentation du budget 2014 de la Sécu par le gouvernement, la Cour des comptes vient de dévoiler dans son rapport 2013 une série de mesures radicales destinées à réduire le déficit de la Sécu (147 milliards d’euros accumulés à fin 2011), durement impacté par l’atonie de la croissance et la moindre progression des recettes. Phénomènes liés à la crise, qui se sont traduits, en 2013, par un “coup de frein brutal dans le mouvement de décroissance de la dette initié depuis 2010”. Ainsi, le déficit devrait au mieux, se stabiliser au niveau de 2012 (- 17,4 milliards). Bémol : la Cour n’a pas étudié dans ce rapport, l’impact de la réforme des retraites sur les comptes de la branche, qui vient tout juste d’être négociée.

Néanmoins, pour la seule assurance maladie, le trou s’est creusé de 6 à 8 milliards cette année. Comment remettre les comptes d’équerre ? La Cour se refuse à recourir à des recettes nouvelles, une solution qui “atteint désormais ses limites” plaide-t-elle. Ce sera donc par la voie de la chasse aux niches sociales, par la reprise de la dette Famille et Maladie par la CADES, la caisse ad hoc, ce qui nécessitera tout de même une augmentation de la contribution au redressement de la dette sociale, la CRDS. Et par la maîtrise des dépenses que le chemin vertueux devra être retrouvé. On verra mercredi, au conseil des ministres, quels seront les choix du gouvernement pour l’année prochaine.

Première voie préconisée par la Cour des comptes pour la branche maladie : la maîtrise de l’ONDAM (Objectif national des dépenses d’assurance maladie). Pour la troisième année consécutive, l’ONDAM a été respecté note la Cour. Fixé à 2,5 % en 2012, il est passé à 2,7 % en 2013, et il sera établi à 2, 4 % pour 2014 (alors qu’un taux de 2,6 % était prévu par la loi de Finances publiques courant jusqu’à 2017). La Cour demande en effet que cet objectif soit diminué d’au minimum 0,2 point chaque année par rapport à l’affichage de la loi de Finances publiques soit 2,4 % en 2014 (au lieu de 2,6 %), 2,3 pour 2015 et 2016 au lieu de 2,5 %. Ce qui risque de faire grincer bien des dents. Car plusieurs secteurs risquent de se trouver fortement impactés par les économies à venir.

 

Lunettes et audioprothèses

La ministre des Affaires sociales et de la Santé Marisol Touraine a affirmé mardi 17 septembre sur le site de Ouest France, qu’il n’y aurait pas de déremboursement des lunettes par la Sécurité sociale. Le fait est que l’on pouvait le penser, au vu de la charge de la Cour contre se secteur de l’optique d’où l’Etat s’est totalement désengagé, laissant les opticiens et les mutuelles (les premiers alignés sur les capacités de remboursements des secondes), faire la loi depuis des lustres. Le résultat est que l’optique française est la plus chère d’Europe et que le port de lunettes est devenu un exercice extrêmement inégalitaire, fluctuant au gré de la qualité de la protection sociale des consommateurs. “En matière d’optique, j’ai engagé un processus pour voir comment nous pourrions faire baisser les prix de certains produits et qui viendra à son terme prochainement”, a ajouté la ministre, en évoquant la mise en place de réseaux de soins, avec la Mutualité française. Plus radicale, la Cour propose dans ce rapport annuel de réfléchir à un “éventuel retrait” de la Sécu de ce marché “opaque”. Retrait contre balancé, ultérieurement, par une éventuelle prise en charge des enfants et des personnes âgées par la Sécu, expliquait Didier Migaud, le Premier président de la Cour des comptes, en marge de son rapport.

L’enjeu est essentiellement symbolique puisque les frais d’optique et d’audioprothèses ne représentent qu’une enveloppe de 200 millions d’euros, sur une facture totale acquittée par les organismes de protection complémentaire (qui utilisent ce secteur comme produit d’appel), avoisinant les 3,7 milliards d’euros.

 

Hôpital public

La Cour pense y trouver “un gisement considérable d’économies”, considérant que les contraintes pesant sur les établissements ont été “relativement modestes”. En 2012, est-il noté, le secteur de l’hospitalisation publique, n’a réalisé que 550 millions d’économies sur l’ONDAM hospitalier alors que celles demandées au secteur ambulatoire s’élevaient à 2,15 milliard d’euros. La Cour préconise un ajustement des tarifs de l’hospitalisation publique assortie de réformes structurelles “indispensables” au redressement des comptes. Des “réorganisations devraient être amplifiées, les efforts de gestion accrus”. L’une des voie pour y parvenir est de rattraper le retard “considérable et persistant” accumulé par notre pays en chirurgie ambulatoire, ce qui permettrait d’envisager jusqu’à 5 milliards (7 % des dépenses hospitalières financées par l’assurance maladie) d’économies en fermant en parallèle, les lits de chirurgie conventionnelle sous-utilisés. Les magistrats de la rue Cambon veulent également développer l’hospitalisation à domicile.

Toujours dans le secteur de l’hospitalisation, la Cour des comptes recommande la mutation des établissements de santé privés à but non lucratifs et des anciens hôpitaux locaux. Ces derniers pourraient bénéficier d’un financement mixte (tarification à l’activité et financement forfaitaire), et devenir un appui, en particulier dans les zones en risque de désertification médicale.

 

Permanence des soins

La Cour suggère de confier aux agences régionales de santé (ARS) l’organisation des gardes de tous les professionnels de santé, médecins, pharmaciens, etc et leur financement. Elle considère que le système actuel aboutit à une explosion des dépenses, qui ont triplé en dix ans, pour atteindre 700 millions d’euros, sans pour autant “avoir permis de désengorger les urgences hospitalières”. De plus, est-il souligné, l’intervention d’associations type SOS-médecins en superposition avec le 15, apparaît source de dépenses supplémentaires, selon la Cour. Elle estime que les agences régionales de santé devraient coordonner bien plus rigoureusement l’organisation de la permanence des soins dans le cadre d’enveloppes régionales fermées regroupant l’ensemble des financements que l’assurance maladie y consacre, incluant la rémunération des actes médicaux.

La CSMF s’est immédiatement élevée contre cette “stigmatisation”. “En recommandant de donner aux directeurs d’ARS le pouvoir de réquisitionner les médecins selon leur bon vouloir, la Cour des Comptes confirme qu’il s’agit bien de super préfets sanitaires, lesquels ne manqueront pas de faire des médecins libéraux les variables d’ajustement des hôpitaux publics”, s’est-elle insurgée en recommandant, par ailleurs, le rééquilibrage de l’ONDAM ville, au détriment de l’hôpital.

 

Biologie

Enfin, la biologie en prend encore pour son grade. Réitérant des recommandations récentes, la Cour souhaite que l’on définisse, à l’hôpital, un objectif de réduction de 10 à 15 % du volume d’actes de biologie à champ constant. Et pour les laboratoires en ville, demande que la convention avec l’assurance maladie soit dénoncée à son terme, en 2014, pour que la renégociation d’une nouvelle convention permette de baisser de 2 centimes la valeur du B, et de moderniser la nomenclature en tenant compte des gains de productivité. Economies estimées : 500 millions d’euros. En outre, la gestion de la sécurité sociale par des tiers (mutuelles étudiantes ou fonctionnaires), considérée très onéreuse et peu efficace, pourrait revenir dans le giron de la CNAM, pour une économie de 70 millions d’euros.

 

Retraite

Le dernier point concerne la retraite, et particulièrement celle des professions libérales. La Cour approuve la reprise en main par les pouvoirs publics de la Caisse nationale vieillesse des professions libérales (CNAVPL). Bien qu’elles ne soient pas menacées par un déséquilibre démographique à court terme, écrivent les magistrats, le risque demeure pour nombre de ces 800 000 professionnels, à l’échéance de 2040. “Ce qui impose un pilotage plus attentif par les pouvoirs publics et, sans doute, la mise en œuvre de mécanismes de solidarité interprofessionnelle pour permettre d’assurer la pérennité de l’ensemble des régimes”.

Les médecins libéraux et les officiers ministériels seraient les plus menacés par une éventuelle cessation de paiement de leurs régimes supplémentaires, pointe la Cour. Les médecins le seraient à cause du poids croissant du coût de l’ASV, récemment réformé mais toujours financé aux 2/3 par l’assurance maladie, pour les médecins du premier secteur. Facture à laquelle s’ajoutera celle lié au contrat d’accès aux soins (CAS) ouvert aux médecins du secteur 2 puisque la prise en charge partielle de l’ASV sur la part d’activité exercée en secteur 1, y figure. Une facture qui serait trop lourde, selon les projections de la Cour, au point de menacer à terme, la pérennité du régime. En tout état de cause, les magistrats de la rue Cambon estiment que tout engagement d’augmentation de la contribution de l’assurance maladie aux régimes de prestations complémentaire vieillesse doit être contrebalancé par “une diminution équivalente de prise en charge de cotisations maladie ou famille pour les mêmes professions”.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne