A la question “Faut-il autoriser les pharmaciens à délivrer des antibiotiques sans ordonnance pour la cystite ou l’angine en cas de test positif ?”, les lecteurs d’Egora ont répondu “non” à 71 %. De nombreux médecins mettent en garde contre cette disposition phare du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024 censée libérer du temps médical. Une mesure de simplification qui non seulement fait l’impasse sur les possibles “diagnostics différentiels”, mais nie l’expertise du médecin, regrettent-ils. “Quel intérêt de faire des études aussi longues et compliquées pour être ensuite autant dévalorisé ?”

 

9 millions. C’est le nombre d’angines prises en charge chaque année par les médecins, d’après l’Assurance maladie. Autant de temps médical gaspillé pour une pathologie “simple”, considèrent la Cnam et le ministère de la Santé, qui soutiennent la possibilité pour les pharmaciens de délivrer un antibiotique sans prescription, en cas de Trod* positif. La mesure, incluse dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024 qui sera examiné la semaine prochaine en séance plénière par les députés, vise également à lutter contre l’antibiorésistance. Alors que l’angine est bactérienne dans 10 % des cas seulement chez les adultes et dans 30 % des cas chez les enfants, seuls 1.2 million de Trod ont été commandés par les généralistes en 2021, pointe en effet la Cnam.

Pour les mêmes raisons, les pouvoirs publics souhaitent autoriser les pharmaciens à délivrer des antibiotiques en cas d’infection urinaire “simple”, confirmée par le résultat d’une bandelette urinaire. “La réalisation d’une bandelette urinaire devant des symptômes cliniques de cystite aiguë non compliquée permet d’infirmer le diagnostic d’infection urinaire dans 20 à 30 % des cas, et d’éviter dans une même proportion la prescription d’un antibiotique”, souligne l’étude d’impact du PLFSS 2024.

Un transfert de compétences qui ne passe pas auprès des médecins, si l’on en croit les résultats de notre débat sur le sujet lancé fin septembre. Sur les 574 professionnels de santé votants, 71 % se disent contre.

Les opposants sont unanimes : rien ne remplace l’examen clinique et la démarche diagnostique du médecin. “Les Trod ou les bandelettes urinaires ne sont qu’une aide au diagnostic, pas une finalité, alerte Chambon D. généraliste. Réduire la maladie à son symptôme entraîne l’arrêt prématuré du traitement à la disparition de ce dernier, cause de récidives multiples de cystites et d’antibio-résistance.”

“Toute prescription d’antibiotique doit se faire après un interrogatoire et un examen du patient, martèle Gérald B. Il existe de nombreux diagnostics différentiels”, met en garde ce lecteur. “Parfois l’examen clinique est utile !”, renchérit Anne-Bénédicte H., pédiatre, qui déplore que sa pratique soit en “net recul”, “même pour de jeunes nourrissons”. “Mais l’examen clinique, seul, permet de différencier la cystite de l’infection vulvaire, en particulier chez une fillette ou une jeune adolescente. Ne me dites pas que cet examen est réalisable en officine !”

“Tout ce qui ressemble à une angine, n’est pas forcément une angine, tout ce qui ressemble à une cystite, n’est pas forcément une cystite”, résume un lecteur. “Une angine de Vincent, un lymphome ou une syphilis donnent un Trod négatif, signale Romain L. généraliste. 10 à 20 % des Trod sont positifs en cas de pharyngite virale (pas de Trod chez les enrhumés !). Quant à la leucocyturie, elle sera aussi positive en cas de lithiase ou de vulvite. Et comment on distingue une infection urinaire basse d’une infection urinaire haute sans examen physique ?”.

D’autres lecteurs s’alarment devant la perspective d’une médecine à deux vitesses.

B. F. regrette quant à lui la dévalorisation de la profession. “C’est quand même scandaleux, tout plein de monde peut maintenant faire notre métier (enfin les actes les moins chronophages et compliqués…), pendant qu’on nous rajoute une dixième année d’étude et que nos consultations (simples comme complexes) restent à un tarif insultant, s’insurge-t-il. L’intérêt des consultations simples était de justifier le tarif de consultation unique mais c’est maintenant de moins en moins justifiable… Quel intérêt de faire des études aussi longues et compliquées pour être ensuite autant dévalorisé ? Méprisé ? Insulté ?”

“D’abord le pharmacien, puis une IA, puisque l’examen clinique ne servirait donc à rien…”, ironise Franck G., généraliste.

 

“Les pharmaciens ne sont pas des pousseurs de boites”

Quelques voix s’élèvent néanmoins, parmi les médecins, pour soutenir cette évolution.

Nicole D., pharmacienne, regrette de son côté “l’opinion négative de la profession de pharmacien” qui transparait dans les commentaires des médecins. Les pharmaciens ne sont pas “des pousseurs de boite”, défend-t-elle. “Nous avons dans notre cursus un nombre important d’heures de pharmaco, bien plus qu’en médecine, nous sommes les spécialistes du médicament. Combien de fois lors de mes gardes de week-end, j’ai essayé de trouver une solution, à défaut d’un médecin, pour soulager une femme qui souffrait d’une infection urinaire. Nos locaux professionnels ont bien évolué et nous sommes loin de la caricature que vous évoquez.”

 

* Test rapide d’orientation diagnostique.

 

L’Uspo appelle à autoriser les pharmaciens à “prescrire”

L’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (Uspo) appelle, dans un communiqué diffusé vendredi 20 octobre, à aller au-delà de la délivrance d’antibiotiques sans prescription médicale… en autorisant les pharmaciens à prescrire et en ouvrant le remboursement de leurs prescriptions. “En France, le droit de prescription a logiquement évolué depuis plusieurs années afin d’adapter notre système de santé aux besoins des patients”, souligne le syndicat, qui signale que les infirmières, les sage-femmes et les kinésithérapeutes ont été autorisés à prescrire et que les pharmaciens sont en capacité, depuis cet été, de prescrire l’ensemble des vaccins du calendrier vaccinal. “Les nouveaux usages de la santé, les nouvelles attentes des patients, la raréfaction du temps médical, le développement de la coordination des soins continueront à faire progresser ce droit de prescription.”

 

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aveline Marques

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