A la recherche de pistes d’économies dans son prochain budget de la Sécu, le Gouvernement envisage le doublement de la franchise médicale, d’un à deux euros par acte en consultation. Une mesure qui a provoqué la bronca des représentants de patients au cœur de l’été et qui divise aujourd’hui la communauté des médecins. Si certains syndicats sont inquiets pour l’accès aux soins, d’autres préfèrent relativiser la “faible hausse” et insister sur la notion de “responsabilisation“. Tour d’horizon.

 

“Êtes-vous favorable à l’augmentation des franchises médicales pour les patients ?” A cette question, lecteurs d’Egora, vous avez répondu “oui” à 51 %… Preuve du clivage que provoque cette mesure, envisagée par le Gouvernement pour faire des économies dans le prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). “La piste à l’étude est d’augmenter de 50 centimes” la franchise actuelle [sur les boîtes de médicaments, ndlr], “tout en tenant compte des situations les plus difficiles” parmi les patients, a confirmé la semaine dernière le ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, sur France 2.

Créée en 2008, cette franchise est restée inchangée depuis : elle s’élève à 50 centimes par boîte de médicaments et par acte paramédical, un euro par acte médical et deux euros par transport sanitaire. Ainsi, elle passerait à deux euros par acte pour les médecins par exemple, avec un plafonnement à 50 euros annuels. “Il ne s’agit évidemment pas d’empêcher les gens de se soigner”, a tenté de rassurer Elisabeth Borne le 23 août dernier, face à la grogne des associations de patients. A l’occasion de son interview de rentrée, elle assurait vouloir “protéger à la fois les personnes très vulnérables, très modestes, et aussi les patients qui auraient des affections de longue durée ou chroniques”… un discours qui n’a malgré tout pas convaincu France Assos Santé. “Je suis choqué de telles pistes en pleines vacances, sans aucune concertation, qui ciblent directement les malades”, a réagi son président, Gérard Raymond, auprès de nos confrères de l’AFP.

Pour préparer les esprits à cette probable hausse, le Gouvernement a misé sur l’argument de la responsabilisation des patients. “Je comprends” que “tout ce qui pèse sur le pouvoir d’achat” préoccupe les Français, a notamment commenté Aurélien Rousseau, mais “si on veut être responsabilisé, (…) il faut dire les choses, être sûr de par où augmentent les dépenses”.

 

 

“Dégoût”

Chez les médecins, la proposition divise… si le Syndicat des médecins libéraux (SML) n’y est pas opposé, il y voit même une opportunité de “prévention” pour les patients. “Il faut relativiser ce petit reste à charge, on passe de 1 euro à 2 euros, ce n’est pas épouvantable. C’est le prix d’un litre d’essence”, commente la Dre Sophie Bauer, présidente du syndicat.

“Dans notre idée, si ça pouvait responsabiliser les patients vis-à-vis de leur santé, ça ne serait pas plus mal. Si je prends l’exemple des maladies qu’on traite dans le domaine cardiovasculaire par exemple, certains patients continuent à fumer et ça ne nous aide pas… donc si ça peut les aider à se surveiller, c’est tant mieux”, poursuit-elle. La chirurgienne rappelle par ailleurs que la France a un reste à charge “le plus bas des pays de l’OCDE”. “On soigne les patients gratuitement donc il y a un moment, c’est vrai que notre économie de santé n’en peut plus, c’est le problème. C’est aussi pour cela qu’il faut relativiser cette augmentation”, considère-t-elle.

Une opinion loin d’être partagée par l’UFML-S pour qui le doublement des franchises évoque du “dégoût” à son président. “Le mot n’est pas de trop. Taxer les malades, c’est une honte !”, enrage le Dr Jérôme Marty. “Au moment où l’essence, l’électricité, les denrées alimentaires… n’ont jamais été aussi chers, on va avoir des refus de soin. C’est une évidence. Aller chercher ‘à la marge’ des économies, c’est faire prendre des risques aux gens pour un bénéfice nul, car si on a des refus de soins ça finira par coûter plus cher”, estime le généraliste.

Jérôme Marty s’est même prêté au jeu de calculer combien pourrait coûter le nouveau reste à charge à un patient diabétique. “Imaginons, ce patient va consulter son médecin : 2 euros. Le médecin lui fait une ordonnance de cinq lignes de médicaments, il en a pour quoi ? 5 euros, quelque chose comme ça. Il a ensuite une infirmière qui passe deux fois par jour : 2 euros. Il a besoin de faire un transport pour aller voir son endocrinologue, 8 euros. La consultation avec le spécialiste : 2 euros. On en est à 19 euros !” Même si le Gouvernement compte conserver le plafonnement maximal (actuellement à 50 euros) voire même le supprimer pour les malades chroniques, le président de l’UFML-S peine à trouver du sens à cette proposition. “Ça va leur rapporter des clopinettes. Et puis si on enlève les ALD, les CMU, ceci et cela… c’est encore pire !”, estime-t-il.

D’autant que tous les syndicats de médecins pensent à l’autre grosse échéance de la rentrée : la reprise des négociations conventionnelles avec l’Assurance maladie. “Mais, s’ils doublent la franchise médicale, je doute qu’ils augmentent le tarif des médecins”, redoute-t-il.

 

Se tourner vers l’hôpital

Du côté de MG France aussi, on dénonce une mesure “inutile et injuste”. “Après avoir inventé successivement le ticket ‘modérateur’ qui n’a jamais rien modéré mais augmenté le coût de la santé via les complémentaires, après avoir mis en place des ‘franchises’ sans aucun impact sur les dépenses mais avec un grand impact sur les plus malades, après avoir annoncé la diminution de la prise en charge des soins dentaires en prétendant améliorer la prévention, chaque Gouvernement s’obstine à multiplier les décisions inadéquates, au mépris de la santé publique”, pointe sa présidente dans un communiqué. “Qui peut croire que ‘prendre dans la poche’ d’un patient va lui permettre de consulter plus facilement son médecin, alors que cet accès au médecin est une des préoccupations principales de la population en matière de santé ?” MG France répète inlassablement l’avis de l’OMS : la seule solution pour maîtriser les dépenses de santé consiste à investir sur les soins primaires”, répète la Dre Agnès Giannotti.

“On a bien compris que la problématique du déficit budgétaire fait qu’il y a des économies à réaliser pour que les agences de notation financières ne décotent pas la notation de la France”, raille de son côté le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF. “Le dossier de la santé n’est pas prioritaire pour ce Gouvernement”, se désole-t-il. S’il attend la nouvelle convention médicale afin de faire des propositions “qui répondent aux besoins de terrain”, Luc Duquesnel s’inquiète lui aussi du fait que l’augmentation des franchises détourne certains patients du système de soin faute de problèmes financiers… et qui “se tourneront in fine plus vers l’hôpital”.

 

 

Enfin, pour la Fédération des médecins de France (FMF), le doublement de la franchise n’est pas une question médicale “mais sociétale“, considère la présidente du syndicat. “Nous n’avons donc pas de position là-dessus, mais je pose une question ouverte : est-ce que la société veut ou pas ce système de franchise, sachant qu’on paie déjà des cotisations, des mutuelles…” Pour la Dre Patricia Lefébure, c’est aux patients, s’ils sont contre, de s’emparer du sujet. “Nous, cela ne changera pas notre manière de travailler”, estime-t-elle.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Marion Jort

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