Alors que vient de débuter l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2026, le président des Généralistes-CSMF, le Dr Luc Duquesnel, alerte sur un texte « incohérent », qui, en l’état, aggravera l’accès aux soins et détournera les jeunes du métier de médecin traitant.
Stéphanie Rist a été nommée à la Santé mi-octobre. Saluez-vous sa nomination ?
Nous connaissons bien Stéphanie Rist pour avoir beaucoup échangé et travaillé avec elle. Ce qui me gêne, c’est qu’au rang des ministres, elle n’est que treizième. Il faut par ailleurs rappeler que c’est notre douzième ministre de la Santé depuis 2017… Cela montre que la santé n’est pas une priorité pour ce gouvernement. Dans ce contexte, je me demande comment Stéphanie Rist va pouvoir peser sur le contenu du PLFSS…
Le PLFSS pour 2026 a été présenté mi-octobre par le gouvernement Lecornu. Quelle a été votre réaction à la lecture de ce texte budgétaire ?
D’abord, je me suis demandé : mais quelle cohérence ? Nous avons, dans ce texte, un ensemble de mesures qui ne vont faire qu’aggraver l’accès aux soins et qui ne vont pas donner envie aux jeunes de devenir médecins traitants. Ceux qui ont participé à l’élaboration de ce budget avaient clairement deux idées directrices en tête : diminuer les dépenses de santé d’une part, et, d’autre part, donner des gages au Parti socialiste par un texte anti-médecine libérale, et ce, même si cela contribue à dégrader notre système de santé…
Ce budget prévoit un sous-Ondam de ville historiquement bas. Cela vous inquiète-t-il ?
On est tous conscients qu’il y a des économies à faire. La France fait partie des pays qui dépensent le plus pour la santé par rapport à son PIB ; mais avec quels résultats ? Nous avons besoin d’une vraie réforme de notre système de santé. Ce n’est pas le PLFSS qui pourra répondre à cet impératif avec un sous-Ondam de ville inférieur à l’inflation.
Dans ce texte, le gouvernement propose que les franchises médicales soient récupérées par les professionnels de santé. Est-ce faisable et acceptable ?
Ce n’est clairement pas acceptable. On marche sur la tête. Je pratique le tiers payant intégral pour tous mes patients en affection de longue durée. Avec une telle mesure, je ne vais plus le faire ! Je continuerai bien sûr pour les CMU et les CSS, mais je ne vais pas mettre une tirelire sur mon bureau pour récupérer l’argent de la Sécurité sociale et lui verser après ! En plus d’être stupide, cette mesure va aggraver l’accès aux soins.
L’exécutif veut également limiter à quinze jours la durée de prescription des arrêts en ville. « À des fins de contrôle », les motifs devront figurer sur l’avis d’arrêt de travail. Qu’en pensez-vous ?
Tous mes arrêts sont réalisés sur Amelipro, le motif y figure donc. En ce sens, cette mesure ne me choque pas. En revanche, limiter la durée de prescription va automatiquement occasionner un certain nombre de consultations supplémentaires et inutiles pour des prolongations d’arrêts, à l’heure où l’on manque de rendez-vous pour accueillir tous les patients.
L’alimentation et la consultation du dossier médical partagé (DMP) deviendraient par ailleurs obligatoires, sous peine de sanctions financières. Or il n’est, pour l’heure, pas pleinement fonctionnel…
Il existe aujourd’hui des logiciels métiers qui permettent en un clic de verser un document au DMP, d’autres pour lesquels ce n’est pas intuitif ou ergonomique, et enfin certains pour lesquels cela est impossible. Dans mon territoire, il y a des médecins en cumul emploi-retraite qui continuent à travailler avec des dossiers papier ou de vieux logiciels métiers qui ne sont pas interfacés avec le DMP. Que va-t-il advenir de ces médecins ? Ils vont tout simplement cesser leur activité.
Il nous faut des outils adaptés. Il faut nous permettre de pouvoir passer facilement d’un logiciel à un autre. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Cela coûte très cher, et on perd souvent des données.
Le DMP, aujourd’hui, est inutilisable, sauf si vous avez seulement quelques documents déposés. J’ai des patients qui ont 50, voire 70 documents dans leur DMP, on ne s’y retrouve pas. Par ailleurs, aucun médecin hospitalier ne peut le consulter. C’est donc une mesure inutile qui stigmatise les médecins libéraux.
Sur la rémunération des docteurs juniors de médecine générale, le PLFSS entérine le « circuit de facturation dérogatoire » proposé par le ministère il y a plusieurs mois. Vous l’aviez pourtant dénoncé…
Nous avons eu une explication de la part du ministère. Il nous a informés, en amont de la présentation du PLFSS, du caractère obsolète de cet article, expliquant ne pas avoir eu le temps de faire des modifications. Ce qui est acté, ce qui avait été proposé initialement – que les docteurs juniors recouvrent la part assurance maladie complémentaire (AMC) et que les CHU leur versent un complément de salaire – n’était techniquement pas réalisable.
La Direction générale de l’offre de soins (DGOS) veut que les maîtres de stage perçoivent l’AMC et qu’on leur supprime le forfait structure de 1 200 euros. Mais cela pose plusieurs questions. Pour certains, la part complémentaire dépassera peut-être les 1 200 euros et, pour d’autres, ce sera en deçà. Ce qui signifie qu’ils perdront de l’argent… On peut imaginer que, dans ce cas, la Caisse reverse de l’argent, mais cela implique un travail monstre de comptabilité pour les maîtres de stage…
On tourne en rond sur ce dossier : on applique des contraintes lourdes soit pour le docteur junior, soit pour le maître de stage. Quand les MSU vont entendre cela, les trois quarts vont partir en courant. La DGOS n’arrive pas à revenir sur ce que l’on avait tous validé, c’est-à-dire qu’une part de l’activité soit reversée au docteur junior, en limitant éventuellement le nombre d’actes par jour. C’est une usine à gaz qui va dégoûter les docteurs juniors de la médecine libérale. Ils vont préférer l’exercice salarié en centre de santé ou à l’hôpital. C’est déplorable.
Vous vous montrez par ailleurs méfiant vis-à-vis de l’article 21 du PLFSS, qui donne un cadre légal aux centres de soins non programmés et prévoit un « financement forfaitaire spécifique » versé par l’Assurance maladie.
Nous sommes en alerte. Nous avons du mal à voir quels sont les objectifs de cet article. Aujourd’hui, des fonds de pension investissent dans des centres de soins non programmés. Ce sont parfois les mêmes que ceux qui sont à la tête de cliniques. Il y a un vrai appel d’air lié à ces structures : de nombreux généralistes abandonnent le métier de médecin traitant pour aller dans ces centres de soins non programmés. On voit aussi des urgentistes quitter l’hôpital pour ces structures. Ces centres de soins non programmés qui fleurissent un peu partout en France ne répondent pas, le plus souvent, aux besoins de santé du territoire mais contribuent à désorganiser les parcours de soins mis en place par les médecins traitants pour les patients de leur territoire. Ces centres s’inscrivent dans une dynamique d’hyper-consumérisme des soins et du « tout, tout de suite » qui va à l’encontre de la notion de pertinence des soins. L’article prévoit la mise en place d’une charte avec des financements de fonctionnement, mais aussi des contraintes, comme l’obligation de participer à la permanence des soins ou au service d’accès aux soins (SAS). J’approuve l’idée d’imposer des contraintes, mais je ne comprends pas pourquoi on limite ces dispositions à ces centres de soins non programmés. Je voudrais que la même chose s’applique aux maisons de santé, pour qu’elles puissent bénéficier aussi d’aides au fonctionnement en s’organisant pour prendre en charge les soins non programmés. Cela ne changerait rien pour nous : on participe déjà à la permanence des soins et au SAS.