Passer au contenu principal

EGORA – Interview du Dr Luc Duquesnel. « À quoi bon négocier une convention si on détricote tout après ? »

En raison d’un risque de dérapage de l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) 2025, les revalorisations tarifaires prévues pour les médecins spécialistes, kinésithérapeutes et dentistes libéraux pour le 1er juillet ont été reportées au 1er janvier 2026. Une « trahison » dénoncée par 13 organisations de soignants, dont la CSMF, qui ont appelé à la mobilisation. Président des Généralistes-CSMF, le Dr Luc Duquesnel, dénonce un climat ambiant « malsain », alors qu’a aussi été lancée une campagne MSO-MSAP ciblant les médecins sur-prescripteurs d’arrêts maladie.

 

Le report des revalorisations tarifaires est-il pour vous synonyme d’une rupture du pacte conventionnel ?

Bien sûr. Une convention, ce n’est pas mettre sur le papier ce que veulent les médecins pour tout détricoter après… La négociation a duré deux ans, avec un échec en 2023. On a finalement signé une convention médicale en juin 2024 qui, rappelons-le, est un compromis et a généré beaucoup de frustrations. Finalement, on se dit aujourd’hui : à quoi bon négocier une convention ?

Tout s’accumule. On se demande ce que va contenir le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2026. Le rapport charges et produits présenté la semaine dernière par la Caisse nationale de l’Assurance maladie (Cnam) table sur 1,7 milliard d’euros d’économies à faire en 2025, puis 3,9 milliards en 2026. Avant 2030, il faudra réaliser près de 23 milliards d’euros d’économies.

Plusieurs revalorisations importantes sont prévues en 2026 pour l’ensemble des médecins libéraux. Mais, si le comité d’alerte sur l’évolution des dépenses de l’Assurance maladie se déclenche à nouveau, cela risque de les reporter au 1er janvier 2027… On pourrait revivre la même situation que celle que l’on vit actuellement. Cela interroge pour les années à venir.

On a le sentiment que le pouvoir politique ne peut prendre aucune mesure structurelle permettant d’améliorer notre système de santé tout en réalisantdes économies. Je pense notamment au déficit de l’hôpital. De nombreux départements font face à des lits fermés, à un manque criant de médecins, à des urgences fermées, et pourtant, on continue d’y maintenir plusieurs maternités et services de chirurgie, ce qui pose des problèmes de qualité et d’efficience des soins.

Finalement, on va au plus facile et au plus vite, c’est-à-dire le coup de rabot. Et puis on complique la vie des médecins.

Les généralistes sont-ils aussi concernés par le gel des tarifs ?

Oui. Certes, nous avons déjà perçu certaines revalorisations, avec le passage de la consultation à 30 euros le 23 décembre 2025. Mais la COE pour les trois consultations obligatoires de l’enfant devait être revalorisée à 60 euros et ne le sera pas…

Les Généralistes-CSMF et la CSMF sont des syndicats de combat. On s’est battu au lendemain de la signature de l’avenant sur le service d’accès aux soins, en appelant au boycott de la plate-forme numérique nationale, mais aussi au boycott du formulaire pour la prescription des analogues de la GLP1. Mais on essaie aussi de construire. On l’a montré dans le cadre de la négociation conventionnelle. Mais est-ce qu’il y a encore la place pour construire quelque chose de pertinent et de qualité ? J’en doute de plus en plus.

La CSMF a appelé à la mobilisation le 1er juillet à Paris, avec douze autres organisations de soignants. C’est une première ?

Tout à fait. Ce que vivent les médecins libéraux est aussi vécu par les kinésithérapeutes, les pharmaciens, les dentistes. Je n’aimerais pas être président d’un syndicat d’infirmiers à l’heure où je dois ouvrir une négociation conventionnelle… J’ai en tête ce que nous a dit Thomas Fatôme, directeur général de la Cnam, lorsqu’on a ouvert la séance de négociation sur l’ACI-MSP le 12 juin : « Il n’y a plus un rond ». C’est inquiétant. Pour modifier les organisations et aller vers plus de pertinence et de qualité, cela nécessite un investissement. Il faut aussi donner envie à tout le monde d’y aller. Or, aujourd’hui, le premier mot qui vient à l’esprit de ceux qui subissent les effets de ce comité d’alerte est : trahison. On n’a pas envie de discuter avec un partenaire qui nous a trahis.

La situation financière du pays est détestable. Le problème, c’est que plus personne n’aura envie de faire des efforts. Comment convaincre des médecins de s’engager en partenariat avec l’Assurance maladie, par exemple sur le sujet de la pertinence des soins, quand on voit ce que l’on subit ? C’est valable pour les arrêts maladie mais aussi les certificats pour les analogues de la GLP-1. J’ai de plus en plus de retours au niveau national de gros prescripteurs d’analogues de la GLP-1 qui font des fausses déclarations d’ALD diabète. Cela prouve que cette mesure, au-delà de compliquer la vie des médecins traitants, n’empêche pas la fraude. Au contraire, elle l’aggrave !

En parallèle, une nouvelle campagne MSO/MSAP a été lancée, ciblant les médecins sur-prescripteurs d’arrêts maladie…

La précédente campagne de 2023 a marqué les esprits. Cela avait commencé par une annonce gouvernementale, qui avait pour objet de s’attaquer aux médecins fraudeurs sur les arrêts de travail. La Cnam avait déroulé. Là c’est la même rengaine. Et tout se fait dans l’urgence. Le politique veut donner l’impression de faire quelque chose. Est-ce qu’il y avait vraiment besoin, au mois de juillet, d’aller emmerder les médecins qui ont besoin de leurs vacances pour récupérer 500 généralistes qui vont se retrouver à devoir cet été justifier leurs arrêts ?

Les Généralistes-CSMF vont les défendre. Dans mon département, 4 médecins sont ciblés, 2 m’ont déjà contacté. Je leur conseille de ne pas accepter la mise sous objectif (MSO) et de choisir la mise sous accord préalable (MSAP). Les médecins conseils ne sont « pas très chauds » pour prendre le risque de refuser un arrêt de travail. Accepter de diminuer de 20-30 % nos prescriptions d’arrêts signifie d’abord reconnaître que nous faisons 30 % d’arrêts non justifiés et puis cela veut dire priver des patients qui en ont besoin pour éviter des pénalités financières. Tout cela crée un climat malsain. C’est pourquoi nous avons décidé de boycotter toutes les commissions paritaires. À quoi bon discuter la mise en œuvre d’une convention alors que l’on nous a trahi ?

De la même manière, la dernière séance de négociation conventionnelle sur l’ACI-MSP est prévue le 16 juillet. Mais compte tenu de ce que devient la vie conventionnelle, pourquoi irait-on négocier un avenant ? Ce qui se passe nous interroge sur notre partenariat avec l’Assurance maladie au niveau de la vie conventionnelle.