Passer au contenu principal

EGORA – Interview du Dr Luc Duquesnel. Quatrième année de médecine générale : « Les docteurs juniors n’auront pas d’autre choix que d’aller à l’hôpital ou dans des centres de santé »

Mi-mai, le ministre chargé de la Santé, Yannick Neuder, a dévoilé les montants exacts de rémunération des futurs docteurs juniors de médecine générale et de leurs maîtres de stage des universités (MSU). Pour les principaux intéressés, ces montants sont largement insuffisants et auront pour conséquence de mener la quatrième année de médecine générale à l’échec. « Très peu de docteurs juniors pourront réaliser leur année en ambulatoire », s’inquiète le président des Généralistes-CSMF, le Dr Luc Duquesnel.

 

La rémunération des futurs docteurs juniors de médecine générale pourra aller jusqu’à 4 500 euros s’ils cochent toutes les cases (exercice en ZIP, participation à la permanence des soins ambulatoires (PDSA), nombre d’actes réalisés élevé). Les représentants des internes n’ont pas caché leur déception. Les comprenez-vous ?

Je comprends bien évidemment la déception des futurs docteurs juniors. Le ministre chargé de la Santé n’affiche pas la rémunération de base, mais la rémunération maximale qu’ils ne pourront percevoir que dans une minorité de cas. La rémunération fixe pour les docteurs juniors est de 2 375 euros brut. Si les docteurs juniors exercent en zone sous-denses (ZIP), ils auront effectivement un bonus, mais les ZIP ne concernent aujourd’hui que 33 % du territoire. Et ce n’est pas là où il y a le plus de maîtres de stage… Le ministre a également annoncé une prime pour ceux qui participent à la permanence des soins. Mais on sait que, dans tous les territoires où SOS Médecins est présent, les agences régionales de santé ont supprimé les gardes dans les années 2011-2012. Donc globalement la rémunération habituelle du docteur junior ne sera pas, comme l’affiche le ministre, de 4 500 euros net par mois, mais 2 375 euros brut.

Selon les syndicats de jeunes, les futurs docteurs juniors de médecine générale toucheront une rémunération inférieure à celles des docteurs juniors des autres spécialités. Est-ce un affront ?

Bien sûr, c’est un affront. Alors que seulement 40 % des généralistes sont médecins traitants, la priorité est de rendre ce rôle attractif. On y croyait beaucoup, nous, les syndicats seniors. Cette quatrième année d’internat de médecine générale devait être une année de professionnalisation permettant d’inciter les jeunes à devenir médecins traitants – et si possible libéraux, à l’heure où le salariat est plus attractif. Est-ce en les rémunérant sous forme de forfaits, l’équivalent d’un salaire, et non pas à l’acte que l’on va les inciter à s’installer en libéral.

Lors de la mise en place du comité de suivi de la réforme, il y a trois semaines, le cabinet du ministre était très mal à l’aise. Nous lui avons dit qu’on irait droit dans le mur avec cette proposition de rémunération. La directrice de cabinet de Yannick Neuder nous a rappelé qu’il s’agissait d’une décision de Matignon, et que si les modalités devaient être prises aujourd’hui on aurait encore moins. La rémunération tant des docteurs juniors que des maîtres de stage qui vont les accueillir est victime des économies que veut réaliser le gouvernement.

L’heure n’est pas aux dépenses nouvelles, même si elles sont justifiées. Tout le monde appelle à trouver des généralistes qui soient également médecins traitants, aussi bien l’exécutif que les parlementaires, à travers la PPL Mouiller et la PPL Garot. Et finalement, alors qu’on a ici une mesure qui est vraiment de nature à augmenter le nombre de médecins traitants, on n’y met pas ce qu’il faut.

Les MSU pourront, eux, percevoir jusqu’à 3 000 euros s’ils exercent dans une zone sous-dense et supervisent la PDSA. Est-ce suffisant pour accueillir un docteur junior dans son cabinet ?

Ce n’est absolument pas à la hauteur des attentes. Le forfait sera de 1 800 euros : il comprend à la fois le forfait pédagogique et l’accueil du jeune. Aujourd’hui, lorsqu’un médecin accueille un Saspas ou un interne une journée par semaine, il s’arrange pour qu’il exerce dans son cabinet, en ne travaillant pas ce jour-là ou en allant faire des visites à domicile. Il n’y a pas de frais supplémentaires. Pour le docteur junior que le MSU va devoir accueillir, il faudra un cabinet dédié. Cela nécessite un investissement à hauteur de plusieurs milliers d’euros. À cela s’ajoutent tous les frais inhérents à ce cabinet (le loyer, les charges, les frais de secrétariat, l’abonnement au logiciel métier…), soit 2 000 à 2 500 euros par mois.

On est loin du compte avec ce que propose le ministère, même si on ajoute les 800 euros de prime d’exercice en ZIP et les 400 euros de prime de supervision de la PDSA aux 1 800 euros du forfait. Ceux qui bénéficieront de ces deux primes seront extrêmement minoritaires. En fin de compte, les seuls MSU qui accepteront d’accueillir un docteur junior seront ceux qui parviendront à faire prendre en charge le local par les collectivités.

On ne fait rien pour rendre cette quatrième année de médecine générale attractive. Lors de la mise en place du comité de suivi, le Collège national des généralistes enseignants (CNGE) a présenté un sondage – réalisé en 48 heures avec plus de 2 500 répondants –, montrant que 45 % des MSU étaient prêts à s’engager à accueillir des docteurs juniors avant de connaître le soutien financier qu’ils auraient. Après l’annonce des rémunérations, ils n’étaient plus que 15 %. On va droit dans le mur. C’est scandaleux. Après cela, on ira encore dire que les jeunes ne veulent pas prendre en compte les attentes de la population en termes de besoins de santé ou que les médecins installés ne veulent pas, en tant que MSU, les accueillir.

Les généralistes enseignants prédisent l’échec de la mise en œuvre de cette 4e année de médecine générale. Selon eux, le gouvernement veut rediriger les internes vers l’hôpital. Est-ce aussi votre avis ?

À partir du moment où très peu de docteurs juniors pourront réaliser leur année en ambulatoire, il ne restera plus que la solution de l’hôpital. C’est l’hôpital qui a refusé que l’on fasse – comme c’est le cas avec nos remplaçants – une reversion d’honoraires. Il a estimé que, si l’on choisissait cette option, les docteurs juniors seraient mieux rémunérés qu’à l’hôpital et que cela les dissuaderait d’aller y exercer ensuite. L’hôpital a gagné sur toute la ligne avec la complicité des doyens. Ces docteurs juniors n’auront pas d’autre choix que d’aller à l’hôpital.

Il est proposé que la part complémentaire leur revienne dans les actes, mais ils vont avoir une comptabilité infernale à faire vis-à-vis de l’Assurance maladie avec tous les tiers payants que l’on fait sur la part complémentaire d’une consultation, entre les CMU, les CSS, les patients en ALD… On va les dégoûter complètement d’un futur exercice libéral avec cette usine à gaz ingérable.

Yannick Neuder souhaite que les centres de santé puissent accueillir des docteurs juniors. Approuvez-vous cette mesure ?

Yannick Neuder est en train de se rendre compte qu’il envoie les docteurs juniors dans le mur. Il est en train d’essayer d’identifier toutes les autres portes de sortie, qui seraient par exemple les centres de santé, même si le modèle économique ne leur est pas non plus favorable. Pour ceux qui veulent encore être médecins traitants, le salariat est plus attractif que le libéral. Donc ça va être l’hôpital, ça va être les centres de santé et ce ne seront pas des médecins traitants libéraux, alors que c’est d’eux dont nous avons besoin. Car on sait qu’en termes de prises en charge, de nombre de patients vus, c’est là où on a le plus d’efficience.