Alors que le déficit de la branche maladie de la Sécurité sociale continue de se creuser, Nicolas Revel plaide pour la mise en place d’une stratégie pour redresser le système de santé. Pour “sortir de l’impasse”, le directeur général de l’AP-HP propose notamment d’obliger les médecins installés en secteur 2 à réaliser “quelques jours” par mois des consultations avancées dans les zones les plus en difficulté.

Alors que le déficit de la branche maladie de la Sécurité sociale devrait atteindre les 15 milliards d’euros en 2025, et qu’un mur démographie et épidémiologique se profile “à l’horizon des 25 prochaines années”, Nicolas Revel estime que nous “ne serons pas en capacité de le franchir”. Le système de santé français, qui fait face aux défis majeurs de l’offre de soins et de la soutenabilité économique, “n’est aujourd’hui pas prêt”, insiste le directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) dans une note intitulée “La santé des Français : sortir de l’impasse”, publiée ce lundi par le think tank Terra Nova. Il appelle ainsi “à la mise en place d’une stratégie qui s’éloigne des solutions comptables ou des facilités de court terme”.
Pour le directeur général de l’AP-HP, le premier objectif est “d’attirer et fidéliser des professionnels en nombre suffisant”. Mais pour cela, trois erreurs doivent être évitées, souligne-t-il, à commencer par la volonté d’“ouvrir les vannes de la formation initiale sans réflexion fine sur ce que sera la réalité des besoins dans les décennies à venir”.
Il pointe deux autres erreurs qui seraient “d’augmenter le nombre de professionnels de santé en s’exonérant de la question difficile du choix de leur discipline, de leur cadre d’exercice et de leur territoire d’implantation”, et “de considérer que former plus de professionnels suffirait”. “C’est évidemment nécessaire mais loin d’être suffisant”, indique Nicolas Revel, qui déplore notamment les nombreux changements de métiers et réorientations “vers des modes d’exercice plus confortables ou plus éloignés du cœur des besoins”.
Obliger les médecins en secteur 2 à se rendre dans les déserts
Et “si laisser faire n’est plus envisageable, si la nécessité d’une régulation ne peut plus être niée, sa modalité reste à construire et je ne crois pas que la solution soit dans l’idée apparemment simple mais à mes yeux simpliste et surtout inefficace, d’une limitation des possibilités d’installation dans des zones jugées surdotées“, soutient également l’ancien directeur général de la Caisse nationale de l’Assurance maladie, qui appelle cependant à “mettre en place un système obligatoire de consultations avancées dans les zones sous-denses“. Cette proposition, qui se rapproche de celle avancée fin avril par François Bayrou pour lutter contre les déserts médicaux, est, pour Nicolas Revel, “la seule réponse efficace“.
Pour le patron des hôpitaux parisiens, “tout médecin installé en secteur 2 devrait consacrer quelques jours dans le mois à des consultations dans un site choisi par l’Agence régionale de santé, évidemment équipé en fonction de sa spécialité, à tarif opposable et avec une garantie minimale de revenus“. Ce système, “qui devrait être rendu obligatoire” pour tous les médecins “s’installant en secteur 2“, “serait bien plus efficace et apporterait une réponse bien plus rapide et concrète aux trop nombreux patients pour lesquels les difficultés sont devenues encore plus prégnantes s’agissant de l’accès aux spécialistes qu’en médecine générale“, insiste Nicolas Revel, qui indique également compter sur la participation des “grands centres hospitaliers”, “qui concentrent de par leur vocation même beaucoup de médecins dans de nombreuses spécialités“.
Le directeur de l’AP-HP revient, par ailleurs, dans cette note sur la forte augmentation du déficit de la branche maladie. Si elle “a toujours été plus ou moins en déficit depuis 40 ans, de tels chiffres [13,8 milliards d’euros en 2024, NDLR] n’avaient jamais été atteints”, assure-t-il, estimant que le déficit actuel “n’est plus conjoncturel mais bien structurel en ce qu’il n’est plus lié à des circonstances exceptionnelles”.
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Pour Nicolas Revel, la situation doit nécessairement être améliorée, mais en évitant “deux solutions de facilité” : “laisser filer les déficits reviendrait à accepter que les dépenses de santé des patients d’aujourd’hui, en majorité très âgés, soient supportées, à travers la dette, par leurs petits-enfants” ; “ajuster les recettes en relevant les taux de cotisations ou de la CGS pourrait certes s’envisager de manière ponctuelle mais deviendrait parfaitement impossible s’il fallait y recourir chaque année pendant 25 ans”.
Le patron des hôpitaux parisiens appelle, en outre, à sortir des logiques de régulation comptable. Pour ce dernier, la régulation de la dépense demeure “une nécessité”, “mais les instruments qui ont été principalement utilisés pour y parvenir avant le Covid sont devenus largement inopérants”, écrit-il, dans sa note. “Une seule solution demeure et va s’imposer à nous : travailler sur le premier paramètre de la dépense, c’est-à-dire la demande de soins pour la resserrer sur sa partie réellement nécessaire ou non évitable”, poursuit-il.
Créer du sens, de la confiance et du collectif
Nicolas Revel s’interroge,, en outre, sur la nécessité d’améliorer la qualité des soins. Pour atteindre cet objectif, trois conditions doivent être respectées : la première est d’avancer dans la voie de la mesure, de l’évaluation et de la transparence en matière de pratiques et de résultats cliniques ; la deuxième, d’assumer que cette exigence de qualité et de sécurité des soins implique d’avancer dans l’ajustement de notre carte sanitaire ; et la troisième est d’inscrire ces enjeux de qualité et de sécurité des soins, de pertinence et de juste prescription dans un rationnel économique incitatif, “tel n’est pas le cas aujourd’hui”, résume le directeur général de l’AP-HP. Cela commence notamment “par disposer tout simplement de l’information sur le coût de ce que l’on prescrit, ce que ne savent actuellement ni les patients ni aucun professionnel, en ville ou en établissement”, ajoute Nicolas Revel.
Enfin, le patron des hôpitaux parisiens appelle à mettre l’accent sur la prévention (primaire, secondaire et tertiaire). Et rappelle que, selon lui, le “cœur de la bataille” réside dans la transformation “du suivi des pathologies chroniques”. “25 millions de personnes sont aujourd’hui en France atteintes d’une ou plusieurs maladies chroniques ; leurs dépenses de santé représentent les deux tiers de la dépense totale et près des trois quarts de sa progression annuelle. Nous sommes là au cœur du moteur de la dépense de santé”, affirme Nicolas Revel, pour qui une organisation structurée de ces patients doit être mise en place.
Pour le directeur général de l’AP-HP, un changement “de paradigme” est donc nécessaire. “Nous devons […] placer au cœur de la stratégie de santé ces enjeux de qualité des soins, de pertinence et surtout de prévention”, ajoute-t-il ce lundi. Mais “pour réussir une telle transformation stratégique, il ne suffira pas de la décider, il faudra embarquer l’ensemble des acteurs sur la base d’un contrat politique et économique, d’une durée d’au moins 5 années, qui concilie une formulation claire des objectifs, un portage assumé au plus haut niveau et surtout une vraie constance dans les moyens mis en œuvre”, détaille Nicolas Revel. “C’est ainsi que nous parviendrons à créer du sens, de la confiance et du collectif, trois impératifs sans lesquels rien ne sera possible.”
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