Passer au contenu principal

EGORA – Interview du Dr Luc Duquesnel. « La coercition ne peut que décourager les généralistes de devenir médecin traitant libéral »

Début avril, les députés ont voté la régulation de l’installation des médecins dans le cadre de l’examen de la proposition de loi Garot ; un texte décrié qui doit faire son grand retour dans l’hémicycle le 6 mai prochain. Le vote de cette mesure a suscité une levée de boucliers de l’ensemble des organisations représentatives des étudiants en médecine et des médecins installés, qui ont annoncé une grève illimitée. Pour le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF, dans un contexte de démographie médicale en berne, les mesures coercitives risquent d’aggraver encore davantage l’accès aux soins.

 

Quelle a été votre réaction à l’issue du vote « historique » de la régulation de l’installation, le 2 avril dernier ?

Après la bonne surprise du rejet en commission des Affaires sociales, il y a eu la mauvaise surprise du vote de l’article 1 de la proposition de loi Garot à l’Assemblée nationale. On s’attendait à ce que la mesure puisse passer, mais on peut regretter le taux de présence dans l’hémicycle au moment du vote. Frédéric Valletoux, qui s’était toujours positionné contre la régulation de l’installation, y compris lorsqu’il était ministre de la Santé, n’était pas présent. Il n’est pas le seul. Sur des sujets aussi sensibles, ne pas être au rendez-vous, c’est, quelque part, se positionner politiquement.

La PPL Garot ne préoccupe pas seulement les médecins. Elle préoccupe aussi les hommes politiques qui sont des experts du dossier. Parmi les députés socialistes, Aurélien Rousseau est le seul qui n’ait pas voté cet article 1, parce qu’il a compris que la mesure aggraverait l’accès aux soins. Tous les anciens ministres de la Santé, qu’ils soient de droite ou de gauche, ont compris cela. Guillaume Garot, qui connaît pourtant parfaitement ce dossier, est, quant à lui, dans une posture d’anti-médecin libéral.

Une autre proposition de loi, déposée fin mars par le sénateur LR Philippe Mouiller, vise elle aussi à instaurer une forme de régulation. Elle conditionne l’installation des généralistes en « zone surdense » à l’engagement d’un exercice à temps partiel en « zone sous-dense ». Est-elle plus acceptable pour vous ?

Les consultations dans des cabinets secondaires sont une excellente idée. Nous soutenons ce dispositif, tant pour les généralistes que pour les spécialistes. Mais cela doit rester incitatif. Si l’on dit à un médecin : « Vous pouvez vous installer à tel endroit mais vous serez obligé de louer un deuxième cabinet, de l’équiper, pour aller consulter une journée par semaine ou tous les quinze jours à 50 km de là où vous exercez », à quoi ça rime ? C’est un projet qui doit se construire avec les collectivités locales. En l’état, la PPL Mouiller est très clairement coercitive. Or, aujourd’hui, la coercition ne peut que décourager les généralistes d’être médecin traitant libéral.

Les syndicats d’étudiants en médecine et de jeunes médecins ont annoncé une grève illimitée à partir du 28 avril et une grande manifestation à Paris le 29. C’était pour vous évident de vous associer à ce mouvement ?

Tout à fait. À la CSMF, nous appelons à la grève de la permanence des soins ambulatoires et du service d’accès aux soins (pour les régulateurs et les effecteurs) à partir du 28 avril. Nous appelons également à manifester le 29 avril à Paris, mais aussi dans les régions.

Les difficultés d’accès aux soins ne touchent pas que les patients sans médecin traitant. Les médecins traitants sont, eux aussi, en souffrance. Nous ne cessons d’augmenter le nombre de patients atteints de pathologies chroniques que nous prenons en charge. Nous faisons face à une réelle surcharge de travail.

Nous savions très bien qu’il n’allait pas arriver prochainement des charters de médecins dans nos régions, mais les PPL Garot et Mouiller vont encore aggraver les choses. Avec les problèmes de démographie médicale que nous avons au niveau des médecins traitants libéraux et les multiples possibilités qui s’offrent aux généralistes (plateformes de téléconsultation, centres de soins non programmés, exercice salarié de plus en plus attractif…), nous ne pouvons faire que de l’incitatif.

Nous, médecins installés, serons aussi les victimes de la PPL Garot. Nous ne serons pas touchés par la régulation, mais s’il y a moins de généralistes qui décident d’être médecins traitants, cela va considérablement aggraver nos conditions d’exercice.

Pourquoi ne pas appeler à la fermeture des cabinets ?

La prochaine lecture de la PPL Garot aura lieu le 6 mai. Pour faire pression sur les parlementaires, cela voudrait dire qu’il faudrait fermer nos cabinets du 28 avril au 6 mai. Personne ne le fera, sauf ceux qui avaient prévu de partir en vacances. Il faut être sérieux. Nous sommes le premier syndicat de médecins libéraux en France, nous ne voulons pas paraître irresponsables. Appeler à un mouvement que les médecins ne pourront pas suivre, ce n’est pas une bonne démarche.

La grève de la PDSA et du SAS sera déjà contraignante. Il y a deux ans, en Mayenne, la grève des gardes avait été un vrai succès. C’est pourquoi l’agence régionale de santé envisage cette fois de réquisitionner tous les médecins sur les tableaux de garde avant même le début de la grève : cela ne s’est jamais fait !

Un amendement à la PPL Garot, qui n’a pas encore été discuté à l’Assemblée nationale, suggère d’enterrer le statut de médecin traitant. Ce serait, selon vous, une erreur ?

En 2004, la CSMF avait été un des principaux acteurs ayant permis d’aboutir à la création du médecin traitant. Proposer cette mesure est un non-sens total. À l’heure où on nous demande de faire 40 milliards d’euros d’économies sur les dépenses de santé, on risque d’aller vers des parcours de soins plus coûteux et qui ne seront souvent pas pertinents, parce que n’importe qui pourra faire ce qu’il veut, aller voir directement n’importe quel spécialiste. Quelle irresponsabilité des parlementaires qui portent cet amendement, en termes de qualité des soins et de coût ! Il en est de même pour les amendements qui veulent rétablir l’obligation de participer à la permanence des soins, l’interdiction de remplacer plus de trois ans et interdire la vente d’une patientèle.