La proposition de loi (PPL) Garot sur les déserts médicaux doit être discutée en commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale à partir de ce mercredi 26 mars, et examinée à partir du 1er avril en séance publique. Elle prévoit, entre autres, de réguler l’installation des médecins et de rétablir l’obligation de permanence des soins ambulatoires. S’ils votent un tel texte, « les parlementaires seront responsables de l’aggravation de l’accès aux soins », met en garde le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF, qui espère une « prise de conscience ».
La CSMF a été auditionnée le 5 mars dernier par les députés du groupe de travail « transpartisan » contre les déserts médicaux, en amont de l’examen de la PPL Garot. Étiez-vous présent ? Qu’en est-il ressorti ?
J’étais présent, oui. J’ai réagi vivement à l’intervention d’une députée de l’Orne qui parlait sous le coup de l’émotion. L’Orne est l’un des départements où il y a le plus de problèmes d’accès aux soins. Cette parlementaire a fait allusion à son mari, vétérinaire en zone rurale, qui travaillait toute la semaine et était de garde un week-end sur deux et une nuit sur deux. Elle a aussi évoqué leur ancien médecin traitant qui exerçait sept jours sur sept. C’était une façon de dire que les médecins ne sont plus motivés et sont désintéressés de leurs patients. Je suis moi-même issu du milieu rural, je suis un fils de paysan. Mon père travaillait sept jours sur sept à la ferme. Ma fille est vétérinaire, elle aussi en milieu rural, et se lève la nuit pour réaliser des césariennes. Si on l’obligeait à travailler sept jours sur sept et à être de garde un week-end sur deux, elle arrêterait son métier. Nous avons échangé après l’audition avec cette parlementaire de l’Orne, qui s’est excusée. J’ai compris son émotion, mais je lui ai dit que notre société avait changé et que vouloir avoir des professionnels corvéables à merci, qu’ils soient médecins ou vétérinaires, c’était l’assurance de ne plus en avoir du tout !
En revanche, j’ai été choqué par les propos d’un député écologiste de Loire-Atlantique, qui a justifié l’obligation de permanence des soins ambulatoires par le fait que tous les médecins n’y participent pas, alors que l’on sait que 96 % du territoire français est couvert ! En Loire-Atlantique, il y a SOS Médecins à Nantes et Saint-Nazaire mais aussi des médecins volants qui réalisent des visites déclenchées par le centre 15. C’est l’ARS qui a supprimé la garde des médecins généralistes sur les territoires couverts par SOS Médecins. Tout le territoire du département est par ailleurs couvert par la garde de médecine générale, avec une maison médicale de garde par territoire. En amont de toutes ces organisations qui répondent à toutes les demandes de soins non programmés de médecine générale, il y a une régulation au centre 15 assurée par des médecins généralistes. Cet élu défend des mesures coercitives à l’encontre des médecins généralistes libéraux alors qu’elles sont inutiles, et sans demander par ailleurs qu’elles s’appliquent aux médecins salariés des centres de santé. C’est la différence entre l’émotion d’une parlementaire, d’un côté, et, de l’autre, une posture. Je l’ai perçu comme « On va se faire les médecins généralistes libéraux. »
Avez-vous le sentiment que s’ouvre le procès des médecins libéraux, avec cette proposition de loi ?
Oui. C’est ce que génère Guillaume Garot, avec les parlementaires de plus en plus nombreux qu’il entraîne derrière lui. Ils sont 258 à avoir signé sa proposition de loi. Cela devient un fonds de commerce d’attaquer les médecins généralistes libéraux. Dans le département de Monsieur Garot (Mayenne), qui est aussi le mien, les problématiques les plus urgentes ne concernent pas la médecine générale mais les services d’urgence. Certains sont fermés 24 heures sur 24. C’est la médecine hospitalière qui est malade. La seule action de Monsieur Garot est pourtant à l’encontre de la médecine libérale. C’est assez incompréhensible. Et quand on lit les conclusions du rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur l’efficience des centres de santé et que la solution proposée par Monsieur Garot pour l’améliorer est d’augmenter leurs dotations… c’est inciter les médecins traitants libéraux à devenir médecins traitants salariés, et donc à aggraver l’accès aux soins puisque ces médecins travaillent moins et prennent en charge moins de patients. On marche sur la tête !
La PPL vise à flécher l’installation des médecins – généralistes et spécialistes – vers les zones où l’offre de soins est insuffisante. Pour s’installer, les médecins devront obtenir une autorisation de l’ARS. C’est un non-sens pour vous ?
Bien sûr, c’est un non-sens. Parlons de démographie en médecins traitants et non pas en médecins généralistes ! Cela n’a rien à voir. Il y a de plus en plus de généralistes qui ne sont pas médecins traitants. Ils font autre chose, de la médecine esthétique ou exercent dans des centres de soins non programmés ou pour des plateformes de téléconsultation. En France, il n’y a pas de zone surdotée en médecins traitants. En 2023, 87 % du territoire était en zone sous-dotée, et cela augmente tous les ans. C’est le sujet qui préoccupe le plus les Français. Il n’y a pas de zonage fait pour les autres spécialités médicales. Il est donc clair que cette PPL Garot cible avant tout la spécialité de médecine générale.
Pour les rares zones normalement dotées en médecin généraliste, pour s’installer, il faudra prendre la suite d’un médecin cessant son activité, c’est-à-dire racheter sa patientèle plusieurs centaines de milliers d’euros, réservant ainsi cette possibilité aux jeunes médecins issus de famille aisée. Je trouve cela étonnant venant d’un député socialiste.
La CSMF a tenté d’alerter dans une lettre ouverte adressée à Guillaume Garot et aux députés sur les risques liés à ces mesures coercitives. Avez-vous une chance d’être entendus et de les stopper ?
J’espère que le plus grand nombre possible des 250 députés signataires vont comprendre les enjeux et ne voteront pas cette proposition de loi. S’ils le font, ils seront responsables de l’aggravation de l’accès aux soins sur leurs territoires. Si le but est d’amener tous les médecins généralistes libéraux dans des centres de santé, ils vont voir… Ces médecins vont prendre 40 % de patients en moins. Je regrette ce populisme ambiant. J’espère une prise de conscience. C’est pour cette raison que nous avons envoyé une lettre ouverte aux parlementaires, de façon à les amener à une réflexion.
Dans cette lettre, vous faites également des propositions. Quelles sont-elles ?
Il faut d’abord souligner que dans les zones rurales, certains patients, qui ont pourtant un médecin traitant, font face à des problèmes d’accès aux soins parce qu’ils n’ont pas de moyens de transport. Ce sont des problématiques d’aménagement du territoire sur lesquelles il faut travailler. Il y a aussi des problématiques immobilières : certains médecins souhaitant travailler dans deux cabinets médicaux avec un assistant médical s’y heurtent. La politique de l’État vis-à-vis des médecins en cumul emploi-retraite est beaucoup trop timide alors qu’il s’agit d’une mesure immédiatement opérationnelle. Il faut également réfléchir à l’accueil des docteurs juniors à partir de novembre 2026. On sait qu’ils ne resteront que si on leur offre un cadre de vie agréable durant cette année. C’est de la responsabilité des collectivités territoriales. On rejoint en ce sens la proposition formulée dans la PPL, qui tend à aller vers une universitarisation des territoires. Il faut aussi favoriser la réussite au concours de première année de médecine pour les candidats issus des départements ruraux. On pourrait également réfléchir à rapatrier les étudiants formés à l’étranger. Il faut aussi augmenter le nombre de contrats d’engagement de service public (CESP) et les proposer dès la deuxième année. On propose aussi de changer le mode de rémunération des centres de santé pour améliorer leurs performances, et non d’augmenter les dotations qu’on va leur donner.
Enfin, la CSMF est très favorable au projet d’assistanat territorial, proposé par l’Ordre des médecins, les doyens, l’Intersyndicale nationale des internes (ISNI) et les étudiants de l’Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF). Là aussi, il s’agit d’une mesure qui améliorerait très rapidement la démographie médicale sur les territoires les plus sous-dotés.