Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, qui avait provoqué la chute du gouvernement Barnier en décembre dernier, a finalement été adopté le 17 février 2025. Cette adoption clôt ce chapitre budgétaire, long de plus de quatre mois. Exonérations des cotisations vieillesse pour les médecins en cumul emploi-retraite, « taxe lapin », accompagnement à la prescription… Le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF, fait le point sur les principales mesures qui concernent les médecins.
Le budget de la Sécurité sociale pour 2025 a finalement été adopté, après de multiples recours au 49.3 et motions de censure. Êtes-vous satisfait ?
Nous sommes satisfaits d’avoir enfin un budget, comme tous les Français. L’absence de budget plongeait le pays dans le chaos. Cela nous permet aussi de passer à autre chose. Mais quelle image déplorable envoyée par la représentation parlementaire aux Français ! Ces multiples motions de censure déposées ces derniers mois soulèvent une question. Cela m’inquiète pour le taux de participation aux futures élections nationales.
L’exonération des cotisations vieillesse pour les médecins en cumul emploi-retraite a été réintroduite dans ce PLFSS, après avoir été supprimée en commission. Elle sera néanmoins restreinte aux médecins exerçant en zones sous-dotées et à un plafond de revenus. C’est une déception pour vous qui défendiez la mesure ?
Lors des débats qui avaient amené à la suppression de cette mesure, l’un des arguments était de dire que le montant des retraites des médecins était suffisant : on marchait sur la tête ! On a reproché aux Français d’avoir perdu leur bon sens lors de cette épidémie de grippe en allant aux urgences, mais je pense que nos parlementaires l’ont perdu aussi. Nous faisons face à un manque criant de médecins, en particulier de généralistes, aussi bien dans les territoires ruraux que dans les territoires urbains. Il y a des patients diabétiques, insuffisants cardiaques, qui n’ont plus de médecin traitant et arrêtent leur traitement. Il faut donner envie aux médecins de retarder leur cessation d’activité.
La mesure a finalement été adoptée, mais a été restreinte, a priori, aux zones d’intervention prioritaire (ZIP). Or le gouvernement a décidé qu’il n’y aurait qu’un tiers de la population en ZIP alors qu’il devrait y en avoir bien plus. Cela ne s’appliquera donc pas aux zones d’action complémentaire (ZAC), ce qui est regrettable parce qu’on manque aussi de médecins dans ces territoires. S’agissant du plafond de revenus, on peut le regretter. Je préfère un médecin qui va travailler cinq jours par semaine plutôt qu’une ou deux journées par semaine pour ne pas dépasser le plafond, car il prendra en charge plus de patients.
Cette mesure, c’est mieux que rien, mais c’est totalement insuffisant. Cela ne répond pas à l’urgence de la situation, qui continue de se dégrader. On voit pourtant que dans les départements où les services d’accès aux soins fonctionnent bien, la moitié de régulateurs en journée sont des médecins retraités. C’est aussi bien que ce soient des retraités plutôt que des médecins en activité qui quittent leur cabinet pour aller faire de la régulation.
Très critiqué, l’article 16, qui contraint les médecins à motiver certaines prescriptions d’actes, produits de santé et prestations, quand celles-ci sont coûteuses ou présentent un « risque de mésusage », a été adopté. S’agit-il d’une ligne rouge ?
C’est une aberration. Nous avons déjà connu cela avec la précédente loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) : un dispositif d’accompagnement à la prescription des antidiabétiques analogues du GLP-1 s’applique depuis le 1er février 2025. Désormais, avec cet article 16, on ouvre la possibilité de faire la même chose pour tout un tas de prescriptions. Cela veut dire que l’Assurance maladie, au lieu de contrôler les médecins a posteriori, va bénéficier d’un contrôle a priori. Cela montre une absence totale de confiance.
Quand je prescris un traitement en tant que médecin généraliste, j’ai la possibilité d’inscrire sur ma prescription les motions « non remboursé » ou « hors AMM ». Pourquoi aurais-je besoin de confirmer ma prescription en remplissant un formulaire avant même que ce médicament soit délivré ? Faudra-t-il aussi un jour que je confirme ma confirmation ? On marche sur la tête alors que l’Assurance maladie a tout à fait la possibilité de parvenir au même résultat sans augmenter les tâches administratives des médecins.
Nous avons lancé un boycott sur les antidiabétiques. Et nous appellerons aussi au boycott de cette mesure, bien qu’elle soit inscrite dans la loi. C’est dès maintenant qu’il faut refuser toutes ces surcharges de travail administratif.
La LFSS fixe un cadre juridique aux centres de soins non programmés, qui devront respecter un cahier des charges. Les médecins exerçant dans ces structures seront tenus « de participer au SAS ou à la PDSA ». Est-ce suffisant ?
Nous avons, à plusieurs reprises, alerté les différents ministres sur l’hémorragie de généralistes qui quittent leurs cabinets, et cessent d’être médecins traitants, pour aller travailler dans ces centres où les conditions d’exercice sont beaucoup moins contraignantes et plus avantageuses financièrement. Dans certains centres, des médecins commencent à travailler à 20 heures avec des consultations à 55 euros. Ce sont des abus que l’on peut connaître aussi avec la téléconsultation. Aujourd’hui, les problématiques d’accès aux soins et la financiarisation de notre système de santé font qu’il y a des effets d’aubaine.
Nous verrons les textes réglementaires qui découleront de cette mesure, mais je me méfie : derrière les centres de soins non programmés, il y a souvent des structures tellement puissantes… C’est tout de même une avancée d’avoir inscrit dans la loi le fait que les médecins de ces centres seront tenus de participer à la permanence des soins. Reste à voir s’il leur suffira de faire un acte dans l’année ou s’ils participeront régulièrement aux tours de garde. S’agissant du service d’accès aux soins (SAS), tous les centres de soins non programmés demandent à y participer puisque la consultation est majorée de 15 euros…
Ces centres sont aujourd’hui soutenus par les élus, qui sont satisfaits. Peu importe la qualité et la pertinence des soins, il faut donner le sentiment à la population qu’on répond à leurs demandes de soins, au travers des centres de soins non programmés ou des cabines de téléconsultation – les enquêtes montrent pourtant la piètre qualité de la réponse aux demandes de soins dans ces télécabines. Je crois qu’on aura beaucoup de mal à réguler cela tant que l’on aura des problèmes d’accès aux soins.
La « taxe lapin » a également été actée pour les patients n’honorant pas leurs rendez-vous médicaux. Faut-il en venir à la sanction financière ?
Nous ne pouvons pas nous désintéresser du phénomène quand on sait qu’il y a 28 millions de rendez-vous non honorés à une période où nous avons des problèmes d’accès tant aux médecins généralistes qu’aux spécialistes. À la CSMF, nous avons toujours dit que la « taxe lapin » devait être instaurée en dernier recours. Il faut d’abord informer la population. Moi, quand un patient ne se présente pas à mon cabinet, mon assistante médicale le rappelle systématiquement. Il faut leur expliquer qu’une mauvaise utilisation de notre système de santé pénalise les autres patients. Il faut aussi que les plateformes de rendez-vous en ligne conçoivent des outils qui ne soient pas seulement au service des patients, mais aussi des médecins. Il faudrait par exemple que lorsqu’un patient reçoit un SMS pour confirmer son rendez-vous du lendemain, s’il ne le fait pas, cela annule le rendez-vous. Et enfin, en dernier recours, il nous faut en effet pouvoir facturer ce « lapin ».
Il y a aussi dans le PLFSS une mesure visant à contraindre à l’utilisation du DMP. C’est un non-sens, car le jour où le DMP sera simple, structuré et intuitif, les médecins l’utiliseront.