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EGORA – Interview du Dr Luc Duquesnel. Rejet du budget de la Sécu : « Nous, médecins libéraux, devons agir pour éviter la politique du rabot »

Le 2 décembre, Michel Barnier a déclenché l’article 49.3 de la Constitution sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025. En réponse, l’Assemblée nationale a fait tomber le gouvernement par le biais d’une motion de censure, entraînant le rejet du texte. Pour le président des Généralistes-CSMF, le Dr Luc Duquesnel, « on peut craindre que des mesures plus sévères soient prises » concernant la médecine de ville par le nouveau gouvernement afin de dégager des économies supplémentaires.

Quelle a été votre réaction à l’annonce de la censure du gouvernement Barnier, qui a entraîné le rejet du projet de loi de financement de la Sécurité sociale ?

Ma première réaction a été une réaction de citoyen, effaré par l’image renvoyée dans un contexte budgétaire qu’on nous présente comme étant très difficile. Cela donne aussi l’impression que les parlementaires sont davantage préoccupés par leurs intérêts partisans ou politiques, en vue de la prochaine élection présidentielle, plutôt que par les intérêts de la nation. Mais je ne suis pas sûr que ce qui se passe aujourd’hui incite les Français à aller voter en 2027…

S’agissant du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, Les Généralistes-CSMF avaient exprimé des inquiétudes sur quelques articles (les 15 et 16 notamment) qui devaient instaurer des objectifs financiers de pertinence, et concernaient tout d’abord les ambulanciers, les entreprises de biologie et les radiologues. Avec la motion de censure, on met ces articles à la porte, mais on peut craindre qu’ils reviennent par la fenêtre tôt ou tard…

Emmanuel Macron a annoncé une « loi spéciale » pour garantir la continuité des services publics. Que va-t-il se passer ?

Cette loi spéciale permet à l’Assurance maladie entre autres de pouvoir continuer à assurer les financements. Il s’agit de sauver l’essentiel et de gérer les choses urgentes. En revanche, il faudra rediscuter un PLFSS pour 2025 avec la nouvelle équipe qui sera au gouvernement.

Un budget de la Sécurité sociale pour 2025 devra toutefois être adopté par la suite. Craignez-vous que l’enveloppe dédiée aux soins de ville (Ondam) en pâtisse ?

Il n’y aura pas plus d’argent sur la table, même moins probablement. Le fait que le PLFSS ait été rejeté début décembre génère des dépenses supplémentaires et empêche l’État de dégager les économies prévues. Nous pouvons donc craindre que des mesures plus sévères soient prises.

Dans notre pays, quand on ne parvient pas à réorganiser notre système de santé, la seule chose que l’on sait faire c’est la politique du rabot. Or ce qu’il faut, c’est travailler sur la pertinence et la qualité des soins. Selon l’Organisation mondiale de la santé, 20 % des dépenses de santé ne sont pas pertinentes dans nos systèmes occidentaux. En France, l’État n’arrive pas à instaurer cette politique de pertinence et de qualité. Je crois que c’est à nous, médecins libéraux, de la mettre en place, de se sentir concernés par ce sujet. Si nous n’en sommes pas capables, l’État continuera à pratiquer la politique du rabot.

Les revalorisations actées dans le cadre de la convention vont, elles, bien s’appliquer. Et ce dès le 22 décembre pour la hausse du G à 30 euros. Cette augmentation va-t-elle permettre de répondre aux problèmes que rencontrent les médecins généralistes au quotidien ?

Cela va améliorer les choses, mais ce n’est pas l’alpha et l’oméga. La mise en place de la consultation longue du médecin traitant à 60 € et la revalorisation du forfait médecin traitant ne s’appliqueront qu’en 2026. On l’a dit d’emblée, ces revalorisations ne créent pas un choc d’attractivité pour la médecine générale libérale, en particulier pour les médecins traitants. C’est pour cela que l’on a autant de généralistes qui choisissent d’autres voies que celle du médecin de famille, en allant par exemple exercer dans les centres de soins non programmés, dans des maisons médicales de garde au tarif de nuit, pour des plateformes de téléconsultation, ou qui préfèrent pratiquer de la médecine esthétique.

Il n’y avait pas les moyens financiers pour créer ce choc d’attractivité. Si on devait recommencer une négociation conventionnelle aujourd’hui, il y en aurait sûrement encore moins. C’est pour cette raison que l’on se félicite d’avoir signé la convention au printemps. Si nous ne l’avions pas fait, les médecins seraient restés à 26,50 euros pendant un bon bout de temps, au moins jusqu’en 2027…

À partir du 22 décembre, hors urgence avérée, les médecins libéraux ne pourront plus coter les majorations de nuit, dimanche et jour férié. Celles-ci seront réservées aux actes régulés dans le cadre des organisations de la permanence de soins ambulatoires (PDSA), validées par les agences régionales de santé (ARS). La mesure, actée dans la convention pour éviter les effets d’aubaine, impacte directement les maisons médicales de garde et les médecins de montagne. Vous avez demandé un moratoire de six mois avant l’application de cette disposition. Avez-vous obtenu gain de cause ?

Alors que les ARS ont incité à ouvrir des maisons médicales de garde (MMG), dire à des médecins que, du jour au lendemain, les majorations ne seront plus de 20 ou 35 euros mais de 5 euros est scandaleux. Je comprends la colère de ces praticiens qui sont souvent aux portes des urgences, où l’on sait que le coût moyen d’un passage est d’environ 270 euros. Cette restriction impacte aussi les médecins de montagne. C’est pourquoi nous avons demandé un moratoire, pour remettre à plat ces organisations existantes. Nous l’avons obtenu : une circulaire de la Direction générale de l’organisation des soins (DGOS) et de la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) est sortie.

La PDSA, régie par des textes réglementaires et validée par les projets régionaux de santé des ARS, n’est pas concernée. Ce qui pose un problème, ce sont les actes réalisés aux heures de PDSA par des organisations qui ne sont pas validées par l’ARS. Nous devons identifier ce qui relève ou non de l’effet d’aubaine. Pour certains médecins, aujourd’hui, il est plus intéressant de commencer à travailler à 20 heures qu’à 8 heures du matin. D’un autre côté, nous ne pouvons pas nier que, si l’on faisait passer tous les patients reçus par les MMG par les centres 15, ces derniers ne pourraient pas les absorber dans le cadre de la régulation médicale.

Nous allons travailler avec la Cnam sur ce sujet des soins non programmés, dont les causes sont multifactorielles. Les ARS freinent l’augmentation des fronts de garde de régulation parce ce sont elles qui rémunèrent les médecins régulateurs de la PDSA, alors que, pour ce qui est du service d’accès aux soins (SAS), c’est l’Assurance maladie qui paie. On sait aussi que, dans certains départements, des associations de médecins régulateurs libéraux elles-mêmes empêchent l’augmentation de ces fronts de garde de régulation.