En permettant aux patients de porter une “réclamation” sur le “comportement” d’un professionnel de santé suite à un rendez-vous pris en ligne, la plateforme outrepasse-t-elle ses missions ? Le président de la FMF-Gé, le Dr Frédéric Villeneuve, dénonce une “dérive”, qui risque de jeter encore un peu plus le discrédit sur les médecins.
Situé tout en bas de la fiche des professionnels de santé, le lien aurait pu passer inaperçu mais il a suscité la “consternation” du médecin adhérent à la FMF qui l’a repéré. Depuis le mois de juin en effet, Doctolib offre la possibilité à ses utilisateurs de “signaler un soignant” directement depuis son profil. Une “réclamation” qui peut porter tant sur la fiche du praticien en question que sur son “comportement” jugé “inconvenant ou contraire aux règles de sa profession”, précise la plateforme, qui donne pour exemples l'”erreur médicale”, le “refus d’un acte”, la “pratique douteuse” ou une “discrimination dans l’accès aux soins”.
La fonctionnalité a été décriée la semaine dernière par le président de la branche généralistes du syndicat, le Dr Frédéric Villeneuve, qui a interpelé la plateforme dans un post devenu viral sur Linkedin : “Qui sont les personnes chargées de traiter ces réclamations ?” et quid du “respect des données médicales”, interroge notamment le syndicaliste. Pour le généraliste, joint par Egora, c’est une “dérive inquiétante du rôle d’une plateforme commerciale” dont les clients ne sont pas les patients, mais bien les soignants. “Ce sont des professionnels de santé qui contractent avec Doctolib pour offrir un service aux patients, la prise de rendez-vous en l’occurrence”, tient-il à rappeler. “Le fait pour Doctolib d’ouvrir la possibilité de déposer une plainte sur sa plateforme sans cadre institutionnel, finalement, ça déplace quand même l’enjeu qui est celui d’une consultation médicale vers une logique de service client“, considère Frédéric Villeneuve.
1000 à 1500 réclamations et signalements par mois
Sollicitée par Egora, Doctolib a tenu à dissiper tout malentendu sur ce formulaire de signalement, qui existe en fait “depuis plusieurs années” et permet aux utilisateurs de leur “faire part de leurs préoccupations”, des “moins graves” – comme des problèmes de compte, des “difficultés liées à la prise de rendez-vous”, des plaintes relatives à la “surfacturation”, aux “délais d’attente”, aux “rendez-vous annulés sans préavis” par les praticiens – aux “cas plus sérieux” : “comportements inappropriés” lors d’une consultation, “suspicions d’exercice illégal de la médecine” et autres “violations des règles déontologiques”. La plateforme reçoit en moyenne 1000 à 1500 signalements et réclamations par mois, qui sont traités de “manière confidentielle” par le service juridique, dans un cadre “strict”, indique-t-elle. Le “bouton de signalement” a été récemment “déplacé” “afin de faciliter son accès et de mieux centraliser les demandes”, qui arrivaient jusqu’ici de façon erratique sur les réseaux sociaux ou par mails, précise Doctolib. “L’objectif est d’assurer un suivi approprié de ces remontées.”
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Mais la plateforme ne se substitue pas aux autorités compétentes, défend-t-elle. Face à des patients qui ont désormais le “réflexe” de se tourner vers Doctolib, pensant parfois à tort que les médecins y sont “salariés”, Doctolib veut agir comme un “facilitateur”, un “vecteur d’orientation” – ce que la société explique d’ailleurs dans une page dédiée. “Nous ne traitons directement que les signalements relatifs à des mentions illégales ou illicites sur les profils des soignants”, nous assure-t-on. Un praticien qui indiquerait dans sa fiche ne pas prendre en charge les personnes transgenres, par exemple, ne respecterait pas les conditions d’utilisation de la plateforme, qui serait ainsi tenue d’agir de son côté.
En revanche, “si la réclamation porte sur un aspect médical, un comportement inapproprié, un refus de soins ou tout autre problème de ce type, Doctolib prend contact avec le patient par email afin de l’orienter vers l’autorité de référence”, notamment l’Ordre pour les sept professions de santé concernées ou l’ARS pour les psychologues ou les ostéopathes. Dans un exemple de réponse envoyée à un patient signalant le comportement inconvenant d’un généraliste, qui nous a été transmis, il est d’ailleurs précisé qu’en tant que “service informatique permettant la prise de rendez-vous en ligne avec les professionnels de santé”, Doctolib “ne peut pas intervenir dans la relation entre un patient et son praticien pour des raisons évidentes de confidentialité” et “n’est pas toujours à même de prendre une mesure à l’encontre du praticien, en particulier concernant sa pratique”.
“Mais parce que les patients font une erreur de d’appréciation, est-ce que Doctolib doit mettre en place des process qui permettent ce type de dérive ?, insiste le président de la FMF-Gé. On a des instances professionnelles comme l’Ordre des médecins qui peuvent traiter ce type de signalement dans un cadre éthique, respectueux. L’Ordre fera le nécessaire pour qu’un médecin qui commet des dérives soit sanctionné. En tout cas une enquête sera faite, la plainte sera systématiquement instruite.”
“Medical bashing”
Pour le syndicaliste, la question du secret médical demeure. “Il y a forcément des informations sensibles, si on parle par exemple d’une erreur médicale, le patient va donner une description de la consultation et il ne sait pas qui est la personne au bout du fil. Le juriste peut très bien être son voisin !”, remarque le généraliste, qui réclame plus de “transparence” et de “garanties” sur les procédures mises en place par la plateforme concernant le traitement de ces signalements. “Nous n’interférons pas dans la relation directe entre le patient et le médecin qui est couverte par le secret médical. Le patient est libre de partager son expérience s’il le souhaite”, répond Doctolib.
Frédéric Villeneuve souhaiterait néanmoins que Doctolib s’abstienne de recueillir ces signalements et se contente d’une page d’information des patients sur leurs recours possibles. A l’heure du “médical bashing”, cette fonctionnalité contribue à “altérer la confiance entre le médecin et le patient”, pointe le généraliste. “On n’encourage pas la délation”, martèle-t-on chez Doctolib. Néanmoins consciente que les termes “signaler un soignant” peuvent sembler “un peu abrupts”, la plateforme annonce à Egora qu’ils “seront revus dans les jours à venir, afin de proposer une formulation plus nuancée”.
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