Présenté le 10 octobre, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025 est en cours d’examen à l’Assemblée nationale. Le début d’un parcours parlementaire qui s’annonce périlleux au regard du contexte budgétaire et politique. Pour le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF, ce texte est déceptif en ce qu’il ne prévoit pas une réforme en profondeur du système de santé.
Le Gouvernement entend, au travers de son projet de loi de financement de la Sécurité sociale, « faire mieux avec moins ». Avez-vous le sentiment que ce qui est proposé permettra d’améliorer la situation du système de santé ?
Le climat politique actuel laissait peu d’espoir à ce que l’on prenne de grandes décisions. Et, une fois de plus, on voit bien qu’on ne va pas réformer notre système de santé, qui va de plus en plus mal, même si la somme allouée aux établissements de soins et à l’ambulatoire au travers de l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) augmente un peu.
Notre système de santé coûte toujours très cher, et pourtant il ne cesse de se dégrader, tout particulièrement les établissements de soins. De plus en plus de services d’urgence ferment la nuit – dans mon département, la nuit fermée commence parfois à 15 h ! Cela entraîne des répercussions sur les médecins libéraux, sur la permanence des soins ambulatoires (PDSA) ou sur le service d’accès aux soins (SAS) lorsqu’il existe.
De plus, à force de vouloir maintenir certains services ouverts, on y diminue la qualité des soins ; or, dans le débat national sur la santé, on ne parle que d’accès aux soins et pas de qualité des soins. On peut aussi regretter qu’il n’y ait toujours rien sur la prévention dans ce PLFSS, alors que l’on est de plus en plus mauvais dans ce champ…
Tout ne peut pas se faire en un jour : il faudrait un plan pluriannuel sur cinq ans pour la prévention. Tant les soignants hospitaliers que les professionnels de santé en ambulatoire, notre rémunération n’est liée qu’au fait de produire du soin. On n’inverse pas la tendance. Or, on fera des économies le jour où, parce qu’on aura investi dans la prévention, on aura moins de personnes malades.
L’article 15 du PLFSS a provoqué une vague d’indignation chez les radiologues et les biologistes. Il permettrait à l’Assurance maladie d’imposer unilatéralement des baisses tarifaires, à défaut d’accord avec les syndicats de ces professions sur un protocole de maîtrise des dépenses. S’agit-il d’une ligne rouge ?
Une fois de plus, on cible les radiologues et les biologistes, comme si l’on n’avait pas fait de négociation conventionnelle. Quel intérêt d’avoir une négociation si c’est pour remettre en cause le fruit de ces discussions au travers du PLFSS ?
Cet article constitue surtout une alerte parce que ces deux professions sont particulièrement touchées par le phénomène de la financiarisation. Ce sont les gros groupes financés par des fonds de pension qui seront seuls capables de faire face aux économies demandées. Ils le font déjà en restructurant pour générer des économies d’échelle, mais cela n’améliore pas l’accès aux soins. Nous avons plein de laboratoires qui, aujourd’hui, ne sont plus que des centres de prélèvement, avec des heures d’ouverture qui diminuent.
Cet article 15, c’est tout simplement la mort de nos petits laboratoires, qui me permettaient, en tant que médecin traitant, d’obtenir des bilans sanguins pour mes patients. Cela va m’amener à envoyer ces patients aux urgences… Ce PLFSS aujourd’hui, c’est le rabot.
Un autre article a suscité de nombreuses craintes. Il vise à contraindre les médecins à motiver leurs prescriptions d’analyses biologiques, d’imagerie médicale et de transports sanitaires pour qu’elles puissent être prises en charge…
L’objectif de pertinence et de qualité des prescriptions, nous le partageons. Nous avons pris cet engagement dans le cadre conventionnel. Mais la question qui se pose derrière, c’est quels sont les moyens pour y parvenir ? Avec cet article, on va augmenter la charge administrative des médecins généralistes traitants. Plus de temps administratif, c’est moins de temps médical, et donc une aggravation de l’accès aux soins… Il est hors de question que l’on soit amenés à remplir des formulaires pour prescrire certains médicaments !
On craint aussi qu’en cas de non-atteinte des objectifs, on remette en cause ce qui a été négocié dans le cadre de la convention médicale signée en mai dernier. Il ne faudrait pas que le contenu de l’article 16 du PLFSS 2025 devienne un article 15 du PLFSS 2026 ! Si l’État considère que le temps de la convention est révolu et que les mesures doivent être prises sans les partenaires, c’est-à-dire les professionnels de santé, on a du souci à se faire, et les Français aussi…
Ceux qui auront négocié en amont les prises de décision gouvernementales, ce seront les grands groupes financiers. Or, on sait que la financiarisation commence aussi à toucher le premier recours. On a le sentiment que l’on nous emmène petit à petit vers un système de santé à l’américaine.
Pour faire des économies, le Gouvernement prévoit également de rehausser le ticket modérateur pour les consultations chez le médecin. Ne risque-t-on pas d’accroître les inégalités de santé ?
Ce n’est plus un secret : l’État n’a plus les moyens de financer son système de santé et n’a pas la volonté politique de le réformer. Face à ce constat, il y a deux possibilités : soit il réduit l’enveloppe budgétaire allouée à la santé, soit il s’arrange pour trouver de l’argent ailleurs auprès d’autres financeurs. Le risque avec une hausse du ticket modérateur est que les plus vulnérables, ceux qui n’ont pas de complémentaire santé, mais aussi les patients chroniques en ALD – pour qui le reste à charge est très important – soient les plus touchés. Cette hausse du ticket modérateur signifie aussi que les cotisations des complémentaires vont augmenter. Pour arriver au même type de remboursement, cela va coûter plus cher aux Français, à moins que ces assurances complémentaires décident de puiser dans leurs réserves et de diminuer leurs frais de fonctionnement. Cela interroge sur les Français que l’on va laisser sur le bord de la route sans accès aux soins.
On peut néanmoins se poser la question : faut-il que le soin soit financé par le régime obligatoire, et la prévention, par les complémentaires ? Cette question n’a pas encore été abordée, car c’est plus compliqué à mettre en place.
Y a-t-il néanmoins du bon à garder ?
J’ai vu qu’il était question de plusieurs amendements en faveur du cumul emploi-retraite. Mais si le Gouvernement dégaine le 49.3, quelle lecture pouvons-nous avoir de ce que sera le PLFSS définitif ? C’est très difficile… J’ai remarqué qu’il n’y avait pas de mesure de contrainte à l’installation. C’est une bonne chose : il est trop tard pour contraindre l’installation des médecins généralistes puisqu’il en manque partout, même si leur répartition est inégale. Il fallait le faire il y a quinze ans si l’État voulait anticiper la situation actuelle qu’il a lui-même créée depuis trente ans. Ce dont j’ai envie, c’est que les médecins généralistes aillent s’installer comme médecins traitants plutôt que faire de l’esthétique ou travailler pour des plateformes de téléconsultation ou des centres de soins non programmés.