Face à la désertification médicale, Emilie Dias a créé Open for Doc, une plateforme qui accompagne les médecins européens ou en possession d’une équivalence européenne, pour s’installer en France. L’entrepreneuse propose de les aider pour monter leur dossier et pour trouver un recruteur qui “matche” avec leurs conditions d’exercice. À ce jour, la plateforme a déjà aidé “plus d’une quarantaine de médecins“.
“Mon objectif serait de devenir la première plateforme de mobilité intra européenne pour les médecins. Je me laisse 3-4 ans pour conquérir le marché français”, annonce Émilie Dias, pleine d’ambition. Si l’entrepreneuse est si déterminée, c’est parce qu’elle est révoltée par le sujet du manque de médecins dans un pays aussi “moderne” que la France, “qui prône l’égalité entre les êtres humains”. “C’est hallucinant de se dire qu’on n’a plus accès aux soins, que ce soit en zone rurale ou en zone urbaine, et qu’il y a plus de 30 hôpitaux qui ferment leurs urgences faute de professionnels de santé”, regrette-t-elle.
En 2024, elle se lance dans un grand projet, qui lui vaut d’être parmi les 100 lauréates du dispositif Femmes entrepreneuses, monté par Orange. Elle veut trouver un moyen d’aider les médecins européens ou ayant une équivalence européenne, à s’installer en France, pour réduire la désertification médicale. Elle lance alors sa nouvelle plateforme : Open for Doc. Le concept : créer un site permettant à la fois de connecter ces médecins avec des recruteurs, qui peinent à trouver des praticiens.
“Je pense que les trois quarts des médecins finissent pas abandonner”
Consciente de la difficulté administrative et juridique qu’impose la législation française, l’entrepreneuse veut également accompagner ces médecins dans leurs démarches. “Car tout le monde ne peut pas exercer ‘facilement’ en France et force est de constater que la régularisation est de plus en plus longue et contraignante”. “C’est un parcours du combattant avec des tas de dossiers. Il faut s’y connaître sur le plan juridique et je pense que les trois quarts des médecins finissent par abandonner tellement c’est complexe”, se désole Émilie Dias. “Pourtant, on fait partie de l’Europe, et il y a plein de pays pour lesquels c’est beaucoup plus simple, assure-t-elle. “Par exemple, en Belgique et en Espagne, il y a une année probatoire et après les médecins sont officiellement reconnus. En Irlande, tous les médecins du monde entier sont acceptés à condition qu’ils parlent anglais.”
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En France, il existe de nombreuses procédures pour pouvoir exercer, presque “une pour chaque situation”, estime Émilie Dias. “C’est un boulot de titan parce qu’on parle de faire venir des médecins des 26 pays d’Europe, donc ça veut dire qu’il faut bien maîtriser la législation française, qui change régulièrement. Et aucun candidat n’a le même parcours, ce qui fait qu’on ne va pas forcément les accompagner de la même manière”, explique celle qui a elle-même dû se former sur le “droit français et européen, le Code de la santé publique et la réglementation”.
“Si j’avais été seule, je me serais découragée”
La Dre Analia Chaparro, médecin généraliste, installée depuis “trois ans” en France, a par exemple suivi une procédure, appelée HOCSMAN. La praticienne d’origine paraguayenne a obtenu son diplôme de médecin à Cuba et son équivalence européenne lorsqu’elle travaillait en Espagne. Si la généraliste a souhaité venir en France, c’est notamment pour se rapprocher de la famille de sa conjointe, mais également pour avoir “plus de temps libre et de loisirs”. Lorsqu’elle était encore à Barcelone, en Espagne, elle enchaînait les “gardes, le[s] week-end[s], les jours fériés… “. Elle confie avoir été “dans un état d’épuisement”. Depuis sa nouvelle vie en France, la généraliste “ne regrette pas” son choix.
Au total, la Dre Chaparro a mis “2 ans” pour s’installer officiellement en libéral en France. Sa compagne, orthophoniste française, l’a beaucoup aidée à remplir ses documents administratifs. “Honnêtement, si j’avais été seule, je me serais découragée, le système est tellement compliqué et on n’a ni accompagnement ni soutien”, confie-t-elle. De son côté, Émilie Dias l’a aidée pour trouver un cabinet. “Elle m’a présenté plusieurs possibilités pour m’installer, comme la Normandie et l’Ain”. Finalement, la généraliste a choisi de s’installer dans un désert médical, à Saint-Christophe-sur-le-Nais, en Indre-et-Loire.
Si la Dre Chaparro était déjà bien avancée dans son processus de régularisation, notamment grâce à sa compagne qui maîtrisait la langue, ce n’est pas le cas de tous les médecins. Les procédures peuvent ainsi être encore plus longues et complexes. “Il faut trouver une solution pour simplifier tout ça, accélérer les processus, la compréhension de tout ce système pour les médecins. Il faut leur mettre un outil à disposition. Cet outil, c’est Open for Doc, j’ai tout mis dedans”, assure fièrement l’entrepreneuse.
Plus de quarante médecins déjà accompagnés
Pour s’inscrire, les médecins étrangers doivent répondre à un test d’éligibilité, dans lequel ils vont rentrer leur pays d’origine, leurs diplômes et où ils les ont obtenus… Les médecins doivent également remplir un cahier des souhaits dans lequel ils inscrivent leurs préférences. “Est-ce que je veux être libéral, salarié, exercer à l’ hôpital, dans le secteur privé, public ? Est-ce que veux vivre à la campagne, en ville, à proximité d’une grande ville, à côté d’un aéroport ?”, énumère Emilie Dias. De l’autre côté, les recruteurs (maires, directeurs d’hôpital…) qui cherchent un médecin remplissent également leurs conditions. “Quel contrat je vais proposer ? De quelle spécialité médicale j’ai besoin ? Dans combien de temps ?” À l’aide d’un algorithme, la plateforme va trier les candidats en fonction de l’état d’avancement de leur procédure de régularisation et de leurs volontés d’exercice. L’idée est de faire “matcher” les conditions du recruteur et du médecin.
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Pour l’instant, “tous les candidats peuvent s’inscrire sur la plateforme de manière gratuite“, avance Émilie Dias. Mais l’entrepreneuse propose également des options payantes. “Par exemple, ça peut être un candidat qui aimerait avoir une analyse plus poussée de son profil ou que ce dernier soit mis en valeur. Ça peut aussi être pour faire authentifier les diplômes par notre système et que ce soit vu par les recruteurs ou pour accompagner lors de l’inscription à l’Ordre des médecins…”. Côté recruteur, en revanche, tout est payant, assure l’entrepreneuse. “Pour accéder à la bibliothèque des CV de médecins, il faut un abonnement et puis après il y des options en plus s’ils souhaitent poster des annonces…”
Au total, l’entrepreneuse a déjà accompagné “plus d’une quarantaine de médecins”. “Ça ne parait pas beaucoup, mais quand on connaît les délais administratifs, c’est dingue”, confie l’entrepreneuse. Pour l’heure, tous exercent encore sur le territoire français. Parmi eux, “90% ont choisi de s’installer tout de suite et en libéral”. L’entrepreneuse accompagne les médecins, toutes spécialités confondues, et plus généralement “tous les professionnels qui ont un doctorat en médecine humaine”. Côté nationalité, ce sont principalement les médecins “belges, espagnols, italiens, portugais, ou encore des marocains ou tunisiens qui ont obtenu leurs diplômes en France” qui s’inscrivent. Ils souhaitent exercer dans l’Hexagone principalement pour des raisons familiales, mais aussi pour des raisons financières. “Au Portugal, un médecin généraliste qui sort de l’université va gagner 1 200 euros, et il va devoir attendre 10 ans, avant d’atteindre les 2 000 euros”, constate Émilie Dias.
D’après l’Atlas de la démographie médicale publié en janvier dernier par le Conseil national de l’Ordre des médecins, un peu plus de 12 000 médecins exercent aujourd’hui en France avec un diplôme obtenu dans un pays membre de l’Union européenne. Cela représente 5,6% des médecins inscrits à l’Ordre. Ce nombre est en légère augmentation, puisqu’en 2010, ils n’étaient que 3,1%.
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