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EGORA – “On ne parle jamais de miracle” : médecin au sanctuaire de Lourdes, il raconte

Sanctuaire ND de Lourdes / Pierre Vincent

© Sanctuaire ND de Lourdes

À l’occasion du pèlerinage national de l’Assomption, du 12 au 16 août, des milliers de personnes ont visité le sanctuaire de Notre-Dame de Lourdes. Parmi elles, 650 sont malades ou invalides. Elles ont tenté de suivre le même chemin que la sœur Bernadette Moriau, 70e miraculée de Lourdes et dernière à ce jour. Pour ce faire, elle a dû passer devant le Dr Alessandro de Franciscis, médecin permanent de Lourdes et président du bureau des constatations médicales. C’est lui qui, avec son collège de soignants, atteste si la guérison est scientifiquement inexpliquée ou non. Entretien.

 

Le Dr Alessandro de Franciscis, médecin permanent au sanctuaire de Notre-Dame de Lourdes et président du bureau des constatations médicales, est un médecin particulier. C’est à Lourdes, là où il réside, que la jeune Bernadette Soubirous aurait vu la vierge Marie en 1858. Depuis, de nombreux faits, frôlant le surnaturel, sont survenus, comme certaines guérisons miraculeuses de personnes passées par là. Le médecin d’origine italienne a alors pour rôle d’attester s’il existe ou non une raison scientifique pour expliquer ces guérisons supposées.

C’est au terme du pèlerinage national de l’Assomption, qui a lieu chaque année, du 12 au 16 août, que nous avons pu le joindre. En poste depuis 2009, il a toujours été habitué à venir une ou deux fois par an au sanctuaire. En 2009, lorsque l’évêque de Tarbes et Lourdes, lui propose de devenir le président du bureau des constatations médicales, le Dr Alessandro de Franciscis réfléchit pendant quatre mois avant d’accepter la proposition. “Depuis que je suis médecin à Lourdes, je suis un homme heureux”, assure le praticien qui était auparavant professeur agrégé de pédiatrie à la faculté de Naples, en Italie.

 

“Une vérification médicale rigoureuse et collégiale”

Si ce dernier est médecin à Lourdes depuis 2009, quatorze l’ont précédé. Le premier médecin était le Dr Henri Vergez. Au 19e siècle, il a signalé à l’évêque neuf guérisons qu’il a jugé inexplicables, sept ont été reconnues par l’Église. Mais après cette période, “le nombre de guérisons prétendues était énorme, parce que les gens rentraient chez eux, en disant, j’ai été miraculé, je suis guéri, raconte le Dr Alessandro de Franciscis. C’est ainsi qu’en 1883, le Dr George-Fernand de Saint Maclou a créé le bureau des constatations médicales pour “qu’à partir d’aujourd’hui personne ne puisse repartir de Lourdes en se disant guéri ou miraculé sans avoir soumis son histoire de guérison à une vérification médicale rigoureuse et collégiale”, explique le médecin italien.

Plus d’un siècle plus tard, cette tradition perdure encore. Depuis le début de l’année, le médecin a déjà reçu plus d’une trentaine de dossiers médicaux de personnes qui étaient malades et qui indiquent avoir complètement guéri de manière soudaine. C’est un travail de longue haleine qui l’attend, car il doit vérifier l’intégralité des dossiers, contenant notamment des expertises, des rapports, des imageries… Il doit aussi se référer aux sept critères qui ont été établis par le cardinal Prosper Lambertini, devenu plus tard le Pape Benoît XIV. Les personnes malades doivent dans un premier temps “montrer un diagnostic et avoir un pronostic défavorable, indique le médecin, avec son accent italien. Il faut aussi que la guérison arrive de manière soudaine. La guérison doit également être complète et durable dans le temps. Il faut enfin, qu’il n’y ait aucune explication possible sur cette guérison.”

Le médecin doit ensuite convoquer une ou plusieurs réunions du bureau des constatations médicales, comprenant des médecins, des infirmières… Il souligne l’indépendance des membres de ces réunions face à la religion. Seules les questions médicales et scientifiques sont abordées. Après avoir étudié le dossier du patient, les soignants votent à main levée s’ils considèrent que cette guérison est inexpliquée. Si leur réponse est à l’unanimité positive, le Dr Alessandro de Franciscis doit alors présenter le cas du patient lors d’une réunion annuelle au Comité médical international de Lourdes (Cmil). Ce dernier est composé de “savants, de professeurs de chaire universitaire, ou de membres de l’Académie nationale de médecine, de Gustave Roussy…”, énumère le médecin.

À l’instar de la réunion du bureau des constatations, ces médecins votent également, mais cette fois-ci à bulletin secret. Pour que la guérison soit véritablement jugée “inexpliquée” par les médecins, il faut qu’au minimum “deux tiers des voix” penchent en cette faveur. Après cela, “notre expertise médicale est terminée”, conclut le médecin de Lourdes. Mais le travail ne s’arrête pas là : si les médecins ne parleront jamais de “miracle” mais uniquement de “guérison inexpliquée”, l’Église, quant à elle, s’adonne à ce terme. Pour cela, il faut que l’évêque de Lourdes, envoie une lettre rendant état de la décision du Cmil à l’évêque de la ville où réside la personne guérie. C’est seulement lui qui pourra décréter si la personne est “miraculée”.

 

70e miraculée

La 70e et dernière personne à avoir été officiellement désignée “miraculée” s’appelle Bernadette Moriau, elle est religieuse au Sacré-Cœur à Bresles (Oise). C’est une femme dont le Dr Alessandro de Franciscis se souvient bien. Elle a rencontré le médecin le 16 juillet 2009, en déclarant être guérie. Atteinte du syndrome de la queue de cheval et lourdement handicapée, elle était venue à Lourdes un an plus tôt pour le pèlerinage. “Elle me dit qu’elle est rentrée chez elle [dans un état] bien pire qu’elle n’est partie, catastrophée et très fatiguée. Le troisième jour après être rentrée, elle a entendu une voix qui lui disait d’enlever toutes ses attelles pour aller prier dans la chapelle. Lorsqu’elle entre, elle note que c’est le moment de l’adoration eucharistique. Elle se rappelle que c’est grosso modo à cette même heure qu’elle avait vécue la même expérience [lors d’une procession] à Lourdes. Elle se rappelle s’être sentie très soulagée au moment de la bénédiction des malades”, raconte le président du bureau des constatations médicales.

Une fois la prière dans la chapelle terminée, Bernadette Moriau retourne dans sa chambre. “Elle raconte avoir entendu une voix qui lui disait ‘enlève tes appareils’. Elle détache sa minerve, son corset rigide, et peut désormais tourner le dos sans douleur. Elle avait également un neurostimulateur médullaire, qu’elle éteint et n’a plus de douleur. Elle comprend que quelque chose est en train de se passer, poursuit le médecin. Elle prenait aussi de fortes doses de morphine, jusqu’à 300 mg de skenan par jour. Le soir de sa guérison, elle n’avait rien pris et elle n’a eu aucun syndrome de sevrage.”

Tous les critères requis sont validés. “Le surlendemain [de la venue de Bernadette Moriau dans le bureau du médecin], je convoquais ma première réunion du bureau des constatations médicales. Elle s’est conclue en 2016 avec une troisième réunion. Le bureau des constatations médicales a estimé à l’unanimité que cette femme était réellement malade et guérie de manière inexpliquée”, précise le médecin. Fin novembre, 26 membres de la Cmil votent en faveur de la guérison inexpliquée pour Bernadette Moriau sur les 27 présents. Prévenu par l’évêque de Tarbes et Lourdes, l’évêque de Beauvais [d’où est originaire la religieuse, NDLR] a réfléchi pendant un an avant de “reconnaître par décret la guérison prodigieuse et miraculeuse de la sœur Bernadette Moriau, le 11 février 2018”.

Il aura donc fallu près de dix ans pour reconnaître que la religieuse de l’Oise avait bien été “miraculée”. Pour le Dr Alessandro de Franciscis, cette durée reste pourtant un “record”, car cela n’est pas toujours aussi rapide. Certaines personnes ont dû attendre plusieurs dizaines d’années, comme Luigina Traverso, venue témoigner de sa guérison en 1965 et déclarée officiellement “miraculée” en 2012.

 

“Je cherche un successeur”

Même s’il est toujours passionné par son métier, le médecin italien commence à penser à la suite. “C’est toujours l’évêque qui nomme le médecin permanent de Lourdes, mais je cherche un successeur dès maintenant, parce que l’année prochaine, j’aurai 70 ans. On a même publié la fiche de poste.” Pour lui, son remplaçant idéal doit avoir quelques prérequis. Il doit “connaître l’histoire de Lourdes, maîtriser le français et l’anglais, avoir pratiqué la médecine clinique, être disponible et accepter de vivre dans une ville de 13 000 habitants”, énumère-t-il. Le médecin précise également gagner “le salaire d’un médecin de [son] âge en France”.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Mathilde Gendron

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