Sanctionné d’un blâme en décembre 2021 pour avoir communiqué sur l’hydroxychloroquine – traitement “insuffisamment éprouvé” – contre le Covid et déconsidéré la profession, le Pr Raoult comparaissait ce vendredi 21 juin en appel devant la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins. Egora a suivi cette audience.
Méditerranée Infection de Marseille, le Pr Didier Raoult annonce qu’une étude chinoise a démontré l’efficacité de la chloroquine contre le “nouveau coronavirus”, ce qui en fait “probablement l’infection respiratoire la plus facile à traiter de toutes, et la moins chère”. Plus de quatre ans après ces déclarations, qui à l’époque ont suscité autant d’espoirs que de méfiance et marqué le point de départ d’une controverse scientifique hors norme, l’infectiologue était de nouveau jugé par ses pairs.
Ce vendredi 21 juin, le microbiologiste, aujourd’hui à la retraite, comparaissait devant la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins, à Paris, aux côtés de son avocat, Me Fabrice Di Vizio, qui l’avait déjà défendu en première instance devant la chambre régionale de Nouvelle-Aquitaine. En décembre 2021, suite à une plainte du Cnom et du CDOM des Bouches-du-Rhône, cette dernière avait sanctionné Didier Raoult d’un blâme pour avoir communiqué sur un “traitement insuffisamment éprouvé sans accompagner sa communication de réserves” et pour avoir déconsidéré la profession en s’exprimant de manière “peu correcte, discourtoise voire agressive”, notamment à l’encontre de confrères médecins. Une sanction jugée “trop indulgente au regard des manquements retenus”, a rappelé ce vendredi le Dr Gilles Munier, représentant du Cnom, qui a fait appel de cette décision.
Liberté de prescription ?
Et les manquements déontologiques qui sont reprochés au Pr Raoult sont nombreux : l’ancien directeur de l’IHU aurait ainsi violé les articles R4127-3 (moralité), R4127-8 (prescriptions), R4127-12 (concours à l’action entreprise par les autorités compétentes), R4127-13 (information publique), R4127-14 (divulgation d’un traitement insuffisamment éprouvé), R4127-15 (recherche biomédicale), R4127-31 (déconsidération de la profession), R4127-32 (soins consciencieux), R4127-35 (information loyale claire et appropriée due au patient), R4127-39 (remède ou procédé illusoire ou insuffisamment éprouvé), R4127-40 (risques injustifiés), R4127-56 (confraternité) du code de santé publique. “Nous reprochons au Pr Raoult la communication qu’il a eue pendant cette période mais également la pratique médicale -c’est une particularité de ce dossier- qu’il a eue à titre personnelle ou en qualité de directeur de l’IHU de Marseille”, a résumé l’avocat du Cnom.
Mais ce ne sont pas tant des manquements aux premières heures de la crise sanitaire dont il a été question ce vendredi devant la chambre disciplinaire nationale, que de l’obstination du Pr Raoult à poursuivre dans cette voie durant près de deux ans. De mars 2020 à décembre 2021, plus de 27 000 patients de l’IHU diagnostiqués positifs au Covid ont été traités par hydroxychloroquine (HCQ), avec ou sans azithromycine, a-t-il été rappelé, sur la base d’un rapport de l’Igas-IGESR de septembre 2022. Et ce, alors que dès le 23 mars 2020, un arrêté réservait l’HCQ aux formes les plus graves de Covid traitées dans un cadre hospitalier, puis qu’un décret du 26 mai 2020 interdisait son utilisation hors AMM. Un point que contestera l’avocat du Pr Raoult, Me Di Vizio, au nom de la “hiérarchie des normes” : la liberté de prescription, garantie par la loi, l’emporte sur un texte règlementaire. Loi ou pas, “le Pr Raoult n’en a eu cure et l’a revendiqué publiquement”, a chargé l’avocat du Cnom. Pour ce dernier, d’ailleurs, l’ancien directeur de l’IHU ne s’est “pas simplement abstenu de contribuer aux actions entreprises par les pouvoirs publics mais a critiqué les décisions prises dans des termes extrêmement virulents”, a-t-il chargé.
S’exprimant à son tour, Didier Raoult a dénoncé des “contre-vérités effarantes”, notamment sur la question de la toxicité de l’HCQ aux doses prescrites à l’IHU dans le traitement du Covid (600 mg par jour). “L’HCQ est l’un des trois médicaments qui a été le plus prescrit au monde, a-t-il rappelé. “100 % des livres de médecine qui sont édités depuis moins de 200 ans, il y a mon nom pour le traitement de deux maladies infectieuses avec 600 mg d’HCQ par jour pendant un an, a pointé l’infectiologue. On a fait 10 000 dosages d’HCQ dans mon laboratoire. Donc quand je parle d’HCQ, je sais exactement ce que je fais, je la prescris depuis 30 ans. Je n’ai jamais eu, dans tous les traitements, d’accident cardiaque.” La controverse de l’HCQ cacherait en réalité “une guerre entre médicaments qui ne coûtent rien et entre médicaments qui coûtent beaucoup” selon l’infectiologue, pointant le remdesivir, qui n’a finalement montré “aucune efficacité” contre le Covid.
Lors de cette audience, il a également été reproché au Pr Raoult d’avoir mené des recherches biomédicales sans les autorisations requises et sans avoir respecté les conditions prévues par la loi, ce qu’a pointé le rapport Igas-IGESR. L’intéressé s’en défend : son étude observationnelle sur l’HCQ n’est rien de plus qu’une “étude rétrospective sur des prescriptions hors AMM faites dans le cadre légal”, a-t-il martelé. Les inspecteurs de l’Igas “ont sorti tous les dossiers de tous les gens qui avaient reçu l’HCQ-azithromycine, tous avaient un papier signé marquant qu’ils avaient été prévenus que ça avait été prescrit hors AMM”, a mis en avant Didier Raoult. “27 000, ce ne sont pas quelques cas de prescriptions hors AMM isolées en fonction du contexte clinique du patient”, a taclé Gilles Munier.
Pourquoi n’avoir pas choisi de mener une étude randomisée pour prouver l’efficacité de ce traitement ?, demande alors la rapporteuse à Didier Raoult. “La meilleure manière d’apprécier l’efficacité d’un traitement c’était d’observer la disparition du germe”, a justifié le professeur. “Honnêtement, je pense que les études randomisées ne sont pas utiles dans des situations comme celles-là”, a-t-il développé, avant de soulever un problème “éthique”. “On reproche au Professeur Raoult la prescription hors AMM… Est-ce que vous savez dans cette crise la plus grande des prescriptions hors AMM jamais intervenue ? C’est celle de la vaccination”, a chargé Me Di Vizio en toute fin d’audience. “La vaccination, sur la transmission, n’a jamais eu d’AMM”, a-t-il affirmé.
Le Pr Raoult a dû, enfin, se justifier sur certains de ses propos. “Il a attaqué ses collègues parisiens qui comptaient les morts ainsi que le Conseil de l’Ordre sans chercher à concilier”, lui reproche ainsi le Cnom dans son mémoire. S’il a effectivement dit qu’“à Paris on ne soignait pas les gens correctement”, “c’est parce qu’à Paris on ne faisait pas de tests”, a justifié Didier Raoult. “Il y avait en tout et pour tout l’Institut Pasteur qui faisait quelques dizaines de tests par jour. Donc les gens qui se présentaient avec de la fièvre, même quand ils venaient de Chine, n’étaient pas testés. On ne testait pas les gens, de fait ils n’étaient pas diagnostiqués et pas traités”, a-t-il insisté. “Je veux bien admettre que j’ai été discourtois”, a-t-il déclaré mais “je ne veux pas qu’on me fasse dire ce que je n’ai pas dit”.
“J’ai écrit des verbatims sur toutes les émissions que j’ai faites, vous pouvez les acheter, a-t-il lancé aux représentants du Cnom. Mot à mot, tout ce que je dis est écrit dessus. Je n’ai rien dit de ce que vous dites. Je ne suis pas un garçon grossier, j’ai été bien élevé, vous faites une insulte à ma mère”, accuse-t-il. “J’ai arrêté de compter le nombre de tweets malfaisants insultants me concernant à partir de 1 million, a-t-il poursuivi. Je n’ai pas envoyé un tweet insultant à qui que ce soit, je n’ai pas nommé les gens pour les traiter d’imbéciles ou d’assassins.”
Jugeant le blâme prononcé en première instance infondé “ni en fait, ni en droit”, “symbolique”, et résultant d’une “pression médiatique”, Me Di Vizio a demandé son annulation et la relaxe de l’ensemble des charges qui pèsent contre le Pr Raoult. De son côté, le Cnom a réclamé la confirmation des manquements retenus en première instance et a demandé une sanction “proportionnée à la gravité des faits”.
De fait, une interdiction d’exercice ou une radiation n’aurait aucun effet sur sa pratique, Didier Raoult n’étant plus inscrit à l’Ordre depuis le 1er janvier 2023 “par convenance personnelle”, a rappelé la rapporteuse. “Je ne traite plus personne, je n’ai même plus le droit de me prescrire à moi-même”, a-t-il lancé. “J’ai fait exprès de me désinscrire”, a-t-il précisé à Egora à la sortie de l’audience, disant ne plus vouloir “faire partie de cette bande”. Redoute-t-il néanmoins une aggravation de la sanction prononcée par ses pairs ? “Oh vous savez, moi je ne crains rien, ce n’est pas dans ma nature”, nous lance-t-il. La décision devrait être connue à la rentrée.
Source :
www.egora.fr
Auteur : Aveline Marques
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