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EGORA – Aptitude à la conduite : 5 minutes pour comprendre le rôle du médecin agréé

Insuffisance cardiaque chronique, diabète, déficit de l’appareil locomoteur, déclin cognitif, prise de médicaments… Certaines pathologies, troubles ou handicaps peuvent affecter l’aptitude médicale à la conduite. Il est du devoir du médecin traitant d’orienter un patient présentant l’une des affections listées par la loi vers un confrère agréé, s’il désire, malgré les risques, continuer à conduire. Le médecin agréé à l’aptitude aura ensuite la charge d’émettre un avis sur la situation. Egora s’est intéressé à cette “spécialisation”, encore peu reconnue.

 

Faut il conditionner la validité du permis de conduire à une visite médicale obligatoire tous les 15 ans ? C’est ce qu’a proposé l’eurodéputée Karima Delli, présidente de la commission Transports et tourisme, afin de réduire la mortalité routière. Dans une tribune, plusieurs personnalités, dont le Dr Michel Cymes, ont apporté leur soutien à cette mesure. Mais le Parlement européen a finalement voté contre. Le dossier pourrait toutefois être remis sur la table prochainement.

“Les statistiques prouvent bien que dans les pays européens qui ont une visite médicale systématique, il n’y a pas d’amélioration de la mortalité routière, assure le Dr Dominique Richter, président du Syndicat des médecins du permis de conduire (Smacmac). Pour moi c’est un faux problème. Le problème c’est plutôt de sensibiliser les médecins et les usagers. Ce sont ceux qui prennent le volant qui sont les premiers responsables et doivent se poser la question de leur aptitude ou pas à conduire.”

A ce jour, le contrôle médical de l’aptitude à la conduite est déjà prévu en France pour certaines situations : pour raison de santé, consécutif à une infraction (suspension ou annulation du permis) ou pour obtenir (ou prolonger) un permis professionnel. Ce sont des médecins agréés qui sont chargés de réaliser cet examen. Zoom sur leur rôle méconnu, et pourtant essentiel.

 

Qui peut devenir médecin agréé ?

Tout médecin peut devenir, s’il le souhaite, médecin agréé pour le permis de conduire, à condition d’avoir moins de 75 ans et de ne pas avoir été sanctionné par le Conseil de l’Ordre des médecins, rappelle la Délégation à la sécurité routière (DSR) dans un mémento “pour le médecin d’un patient conducteur”. Il doit toutefois suivre une formation initiale d’une durée de 9 heures. Son agrément, délivré par la préfecture, est à renouveler tous les cinq ans. Le renouvellement est conditionné à la réalisation d’une formation continue d’une durée de 3 heures, qui consiste en une actualisation des connaissances.

“On estime environ à 4 000” le nombre de médecins agréés en sécurité routière, avance le Dr Dominique Richter, qui plaide depuis toujours pour la constitution d’un annuaire des médecins agréés. Pour faire face à la hausse des infractions et des demandes d’examen médical, le comité interministériel de la sécurité routière qui s’est réuni le 17 juillet 2023, a permis de prolonger l’âge d’exercice des médecins agréés par “dérogation individuelle” prise par le préfet. “On peut continuer d’exercer jusqu’à 79 ans révolus”, confirme le Dr Richter.

 

Où exercer cette spécialisation ?

Le médecin agréé peut exercer directement à son cabinet de ville. Dans ce cadre, il reçoit les patients (détenteurs du permis de conduire ou candidats à l’examen) concernés par une “affection” médicale listée dans l’arrêté du 28 mars 2022 (pathologies cardiovasculaires, ophtalmologiques, déficits et pathologies otorhino laryngologiques-pneumologiques, pathologies neurologiques-psychiatriques, addictions, déficit de l’appareil locomoteur, etc.). Ainsi que les personnes ayant réalisé une infraction entraînant une suspension de permis supérieure à 1 mois.

 

 

C’est aux patients d’entreprendre la démarche de déclarer leur situation et de consulter un médecin agréé pour obtenir un avis médical d’aptitude à la conduite. Ces derniers ne peuvent être reçus dans ce cadre par leur médecin traitant. La liste des médecins agréés est disponible dans les préfectures.

“Tous les patients épileptiques, diabétiques, atteints de troubles du sommeil, de maladies cardiaques, rénales, troubles neurologiques, etc. devraient passer une visite médicale, mais ils ne le font pas parce que ce n’est pas connu”, et ce malgré l’existence de l’arrêté ministériel – considéré comme “la Bible” des médecins agréés, déplore le Dr Dominique Richter.

Le médecin agréé en ville reçoit également les titulaires des permis “lourds” (chauffeurs de poids lourd, chauffeurs de bus, chauffeurs de taxi ou d’ambulance), qui sont soumis à un contrôle médical obligatoire (avant le passage du permis, puis de façon périodique après son obtention).

Le médecin agréé peut également siéger en commission médicale primaire départementale ou interdépartementale. Cette commission, réunie par le préfet (en préfecture ou sous-préfecture), est composée de deux médecins agréés. Ils examinent uniquement les usagers qui ont eu une infraction liée à l’alcool ou à la prise de stupéfiants. Un médecin agréé hors commission peut également demander au préfet de convoquer la personne examinée devant la commission médicale primaire “dont la compétence est alors substituée à la sienne”.

Il est possible d’exercer à la fois en ville et en commission.

 

Quel examen ?

Le médecin agréé étudie le dossier de l’usager et les réponses au questionnaire que ce dernier a dû remplir préalablement au contrôle médical. Il “effectue l’examen clinique qui comprend l’interrogatoire et l’examen physique”. Il vérifie, entre autres, que les éventuels traitements pris par le patient sont compatibles avec la conduite. “Ce n’est pas une médecine de soin, indique le Dr Richter. Le médecin qui voit un usager en visite médicale doit refaire l’historique des pathologies éventuelles, fait un examen médical clinique standard. On regarde aussi les fonctions sensorielles, la cognition, et on recherche des addictions.”

Le médecin peut, lorsqu’il le juge nécessaire, demander des examens “complémentaires” et, “dans les cas appropriés, un examen psychotechnique”. Un avis “spécialisé” peut également être requis si besoin, précise l’arrêté ministériel.

Au terme de cet examen, le médecin agréé émet un avis destiné au préfet sur l’aptitude médicale à la conduite du patient, en renseignant le Cerfa 14880*02. Il peut s’agir d’un avis d’aptitude définitive (sans limitation de durée), d’aptitude temporaire (de six mois à 5 ans) ou d’inaptitude.

L’aptitude peut être sujette à des restrictions (conduite de jour uniquement par exemple dans le cas d’altération significative de la vision nocturne) ou à des aménagements, (dans la paraplégie par exemple). Dans le diabète, des complications neurologiques périphériques distales peuvent aboutir à une “comptabilité avec aménagement du véhicule”. Par exemple, si le patient ne sent plus ses pieds, il peut opter pour un véhicule sans pédales.

 

Quid du secret médical ?

Le secret médical s’applique à cet avis d’aptitude à la conduite (au formulaire Cerfa), qui ne doit contenir aucun élément d’ordre médical. Le médecin agréé ne doit renseigner que ses conclusions sur le plan administratif. La conservation des dossiers établis par le médecin agréé relève de la responsabilité de ce dernier. Les préfectures ne sont pas autorisées à conserver les dossiers médicaux.

 

 

Quelle suite à cet examen ?

“Le préfet est la seule autorité compétente pour laisser quelqu’un conduire ou pas. Le médecin n’a pas ce rôle. Le sien est de donner un avis, c’est tout”, indique le Dr Richter.

 

Quelle rémunération ?

Les médecins agréés à l’aptitude à la conduite qui exercent en cabinet libéral perçoivent des honoraires fixés à 36 euros. Le coût de l’examen est à la charge du patient. “Ces honoraires n’ont pas bougés depuis le 1er mai 2017 à ma grande désillusion”, déplore le Dr Richter, qui réclame une “augmentation substantielle tenant compte de l’inflation et de la mission d’expertise qui est demandée aux médecins agrées”. “On a un rôle important et essentiel dans la prévention, notamment des signes d’addiction”, souligne le généraliste, assurant avoir permis à de nombreux patients de découvrir leur pathologie par le biais de l’examen d’aptitude à la conduite.

Les deux médecins siégeant en commission se partagent quant à eux la somme de 50 euros. Ils sont “considérés comme des collaborateurs occasionnels de l’Etat” alors qu’en ville, les médecins agréés sont libéraux, explique le Dr Richter, qui dénonce ce “statut bâtard”. “Le montant perçu en commission ne donne pas lieu à délivrance de cotisations sociales, ce qui fait que cela ne compte pas pour la retraite”, poursuit le syndicaliste. Ce dernier milite ainsi pour une reconnaissance du statut des médecins agréés.

Le Dr Richter déplore le manque d’“attractivité” du statut de médecin agréé. “On a besoin de plus de médecins agréés. Mais on en forme davantage et qu’ils ne sont pas payés correctement, ils ne voudront pas adopter cette pratique. Il faut qu’on trouve des solutions.” D’autant que, ajoute le syndicaliste, ce statut implique une responsabilité importante. “La signature sur un Cerfa a une valeur médico légale importante. Si le médecin fait une bêtise en mettant inaptitude alors qu’il ne devait pas il peut être attaqué.”

 

 

“Les médecins traitants devraient jouer un rôle de conseil”

L’arrêté du 28 mars 2022 rappelle le rôle d’information du médecin traitant qui fait face à un patient en cas de potentielle incompatibilité avec la conduite (lors du diagnostic d’une pathologie ou la prescription d’un traitement altérant la vigilance au volant par exemple). Le médecin traitant doit noter dans le dossier médical de son patient qu’il a bien donné cette information. Et peut lui conseiller de s’adresser à un médecin agréé pour l’aptitude à la conduite, et l’alerte sur les sanctions encourues s’il refuse de s’y soumettre (deux ans d’emprisonnement et 4 500 euros d’amende).
Un “rôle de conseil” qui n’est pas suffisamment joué par les médecins traitants, déplore le Dr Dominique RichterRappelons que le secret médical s’applique également dans ce cadre au médecin traitant qui ne peut prévenir la préfecture, mais seulement inciter le patient à engager sa démarche. Il peut toutefois faire part de ses inquiétudes à la famille du patient tout en respectant le secret médical. “A partir du moment où ils découvrent une anomalie médicale pouvant entraîner des troubles de la conduite, ils devraient insister pour que l’usager se rende chez un médecin agréé pour savoir s’il est apte ou non à conduire”, estime le président du Smacmac.
Le problème est que ces derniers ne sont, à ses yeux, pas suffisamment sensibilisés à la problématique. “Cela n’intéresse pas les médecins parce qu’ils ont d’autres chats à fouetter. Ils ont trop de travail, et on ne peut pas leur demander de faire 36 choses au cours d’une consultation pour 26,50 euros…”, déplore le syndicaliste, qui propose des formations de sensibilisation. Ce dernier n’est toutefois pas favorable à une formation obligatoire pour tous les médecins : “Il faut garder cette catégorie de médecins qui se spécialisent”. En revanche, il soutient l’introduction “dans les études médicales” de “quelques heures de cours sur la sécurité routière et les interactions avec la médecine”.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Louise Claereboudt

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