Alors que des listes de médicaments que les infirmières en pratique avancée (IPA) sont appelées à primo-prescrire en accès direct sont en cours d’élaboration, l’interview du Pr Paul Frappé, président du Collège de médecine générale, appelant la profession à adopter une position constructive vis-à-vis de cette évolution a suscité une avalanche de réactions chez les lecteurs d’Egora.

 

 

“Si les médecins refusent en bloc la prescription par les IPA, le train passera sans qu’on n’apporte rien au débat”, mettait en garde le Pr Paul Frappé, président du Collège de médecine générale (CMG), dans une interview publiée par Egora, samedi 25 novembre dernier. En tant que conseil national professionnel, le CMG a été saisi pour concertation de listes de médicaments et autres “prestations” de santé que les IPA pourraient bientôt primo-prescrire dans le cadre de l’accès direct : arrêts de travail, antibiotiques, antihypertenseurs, statines, antidiabétiques…

Il y a des trains qu’il vaut mieux laisser passer sans y monter….”, réagit un généraliste. Une réaction loin d’être isolée : comme lui, de nombreux médecins lecteurs d’Egora ont fait part de leurs réticences et de leurs craintes face à cette nouvelle organisation des soins. Certains y voient l’avènement d’une “médecine à deux vitesses“, tandis que d’autres dénoncent une mesure au mieux inutile, au pire “insensée”, voire délétère. “Ce train nous mènera vers encore plus de prescriptions inutiles et vers encore plus de dépenses de santé non pertinentes“, lance ainsi un généraliste. Un confrère pose même un ultimatum : “Très simple, le patient qui choisira l’IPA sera informé de sa sortie immédiate de ma patientèle“… Face à ces réactions parfois très vives du corps médical, une IPA et une infirmière tentent de défendre leur expertise.

Voici une sélection de vos commentaires.

 

“Comment sera rémunéré le temps de coordination des médecins ?”

Par MAG, médecin

“Je suis réticente au rôle médical des IPA pour plusieurs raisons.
Premièrement, il est immoral de payer autant, voire plus, ceux qui font le simple que ceux qui font le compliqué.
Deuxièmement, cela ne résoudra probablement rien au manque d’accès aux médecins. Car il me parait probable qu’une bonne partie des patients cherchera quand même à voir la prescription de l’IPA confirmée par un médecin.
Troisièmement, comment sera rémunéré le temps de coordination des médecins ? Ne serait-ce que simplement le temps de lecture de ce que l’IPA a noté ? Sans parler de l’acte intellectuel de faire une synthèse (d’expérience, écrire clair, concis, en mettant les éléments essentiels et en faisant une conclusion c’est la partie la plus difficile pour les paramédicaux).
Et quatrièmement, en cas de désaccord sur les prescriptions, il y aura l’inversion du niveau de preuve. Ce ne sera pas à l’IPA de prouver qu’il faut faire tel examen ou donner tel médicament, mais au médecin de prouver qu’il n’est pas nécessaire. Comme c’est déjà le cas actuellement : ‘L’ostéopathe a dit qu’il me faut x…’ (x = écho, radio, IRM…).
Mais, au fond, tout ça, c’est de la parlotte. Car je doute fort qu’il y a quelque part des légions d’infirmières qui trépignent d’impatience à prendre des décisions difficiles et à prendre des responsabilités. “

 

“Ne croyez pas que nous dégainerons l’ordonnance à chaque consultation”

Par Céline F., IPA

“Je suis IPA. Ma mention d’exercice est maladies rénales chroniques, dialyse et transplantation.
Je suis assez surprise des réactions telles que ‘je ne suivrai plus de patients où intervient un/e IPA’ ou alors ‘je ne veux pas être l’auxiliaire d’un/e IPA’…
Donc voici mes réponses à ce que j’ai pu lire et à vos craintes…
Je me permets de préciser que rien n’est fait ‘dans le dos des médecins’ puisque nous adressons (et nous sommes légalement tenus de le faire) un courrier au médecin traitant et spécialistes impliqués dans le suivi du patient.
De plus, nous sommes formés à l’examen et au raisonnement clinique, nous appliquons les mêmes recommandations de prise en charge que les médecins.
Je rappelle que les études se déroulent en faculté de médecine et que nous sommes formés par des médecins, les mêmes qui forment vos futurs confrères. J’y vois un gage de qualité.
Pour autant, effectivement, nous ne sommes pas médecin, et en ce qui me concerne, je ne souhaite pas l’être. Nous œuvrons par contre tous pour la meilleure santé possible de nos patients. Ce qui ne veut pas dire répondre systématiquement à un problème par un médicament.
Croyez bien que nous avons conscience que les médicaments ne sont pas anodins, nous les manipulons déjà (pour les administrer) depuis au moins 3 ans, lorsque nous commençons à exercer comme IPA. Et il nous est déjà demandé de ne pas appliquer sans réflexion préalable une prescription médicale, en tant qu’infirmier.
Pour l’exemple cité de la CRP a 300, si c’est moi le prescripteur, je suis le destinataire du bilan avec médecin en copie. Et il sera mentionné dans mon courrier de consultation les signes et symptômes, de même que les examens demandés et mon raisonnement qui a conduit à ces décisions. Voire, j’aurais même pris le téléphone avant que le courrier arrive pour dire ‘j’ai vu X en consultation, j’avais tel éléments, j’ai tel résultat, j’ai fait ça en attendant, comment on fait pour la suite ?’.
Aujourd’hui, je travaille avec 7 néphrologues, tous sont d’accord pour que je puisse primo-prescrire des chélateurs du potassium ou du phosphore, du calcium, de la vitamine D, des IEC/ARA2, etc. dans des contextes cliniques spécifiques que je repère déjà. Et ils sont encore surpris que je ne puisse pas le faire.
Cette primo-prescription, elle sera accompagnée et cadrée… et puis, rien n’empêche un coup de fil en cas de doute sur la conduite à tenir, comme vous le faites déjà, vous médecins, entre vous (que ce soit des confrères de même spécialité ou des avis d’autres spécialistes).
Ne croyez pas que nous dégainerons l’ordonnance à chaque consultation.
Vous avez le droit d’être contre cette primo-prescription, mais déontologiquement parlant, avez-vous le droit de refuser de prendre en soin un patient parce qu’il est également suivi par un autre professionnel de santé dont les fonctions ne vous reviennent pas ?
Les arguments que je lis ici montrent une peur fondée sur des arguments ‘hommes de paille’ et une méconnaissance du rôle des IPA et du contenu de la formation. Lisez nos textes de référence concernant la formation, les objectifs, et nos décrets de compétences !
Je suis ouverte à la discussion sur ce sujet la si vous voulez en débattre.”

 

“On serait obligé d’accepter n’importe quoi pour ne pas être traité de corporatiste ?”

Par Christiane K., médecin

“On serait obligé d’accepter n’importe quoi pour ne pas être traité de corporatiste ?
Rien n’est ‘simple’ en médecine, même la banale cystite nécessite une analyse du contexte, des traitements précédents, du risque de pyélonéphrite… pour choisir le traitement.
C’est quand même bizarre que l’IPA puisse prescrire des antihypertenseurs et des médicaments de l’insuffisance cardiaque, arrêter des anticoagulants mais pas ceux de la rhinopharyngite ni de la gastro-entérite ?
Donc, ces pathologies qui ne nécessitent souvent pas de consultation continueront à encombrer nos consultations pendant que l’IPA soignera nos cardiaques… bravo Professeur ! Je ne monterai pas dans votre train !”

 

“Je n’ai pas besoin d’IPA, j’ai besoin que mon travail soit mieux rémunéré”

Par Christian B

“Je n’ai pas besoin d’IPA, j’ai besoin que mon travail soit mieux rémunéré pour embaucher une ou deux secrétaires qui pourraient faire ma compta, mes paiements, régler les soucis informatiques quotidiens, embaucher des artisans pour rafraîchir mon cabinet vieillissant, et me consacrer à mes consultations.
A 26,50 euros, c’est impossible sauf à bosser 14h par jour…”

 

 

Je me demande combien de médecins ici ont oublié leurs premiers pas en tant qu’internes et l’aide précieuse des infirmières”

Par Audrey F., infirmière

“Je suis infirmière et je me demande combien de médecins qui commentent ici ont oublié leurs premiers pas en tant qu’internes et l’aide précieuse que nous leur apportions, infirmières seniors, dans nos services. J’ai souvenir d’une réa particulièrement mouvementée en hemato où l’interne étant figée de peur ; nous lui avons suggéré gestes et prescriptions d’urgence.
Et que dire de tous ces médecins de garde qui nous faisaient confiance pour les alerter en cas de bilan problématique (merci mais on sait ce que c’est, une CRP…) et pour qui nous préparions toutes les prescriptions à signer…
Bref.
Je suis aujourd’hui spécialisée en diabète, j’ai un DU insulinothérapie par pompe à insuline, j’ai côtoyé et accompagné des centaines de patients, mon expertise en termes d’accompagnement des patients diabétiques est bien supérieure à celle de bons nombres de médecins, y compris hospitaliers.
Messieurs les médecins, ne vous en déplaise, les IPA sont bien formées, et spécialisées, en capacité de prendre en charge les patients au mieux.
Car ce ne sont ni VOS patients, ni les nôtres. Ils n’appartiennent qu’à eux mêmes et méritent la meilleure qualité de prise en charge.”

 

“Curieux et insensé, le législateur autorise l’IPA à prescrire des médicaments pouvant entrainer un risque vital pour le patient”

Par Luc L.

“Curieux et insensé, le législateur autorise l’IPA à prescrire des médicaments pouvant entrainer un risque vital pour le patient (HTA, anticoagulant, insuffisance cardiaque, diabète) mais ne permet pas l’accès direct à un kinésithérapeute pour une pathologie bénigne de l’appareil locomoteur (entorse, tendinite, petite traumato) qui n’a aucune répercussion vitale. Notre société a encore la tête à l’envers !”

 

 

“Cette nuit, j’ai fait un horrible cauchemar”

Par Yves A-L.

“Cette nuit, j’ai fait un horrible cauchemar. Je venais de recevoir de la CPAM une mise sous objectif pour excès de prescriptions en kinésithérapie. Dans un second courrier, je venais de recevoir confirmation que mon forfait médecin traitant serait amputé car il me manquait une vaccination anti-grippale pour atteindre les objectifs fixés, quand j’ai reçu un appel d’une patiente me demandant de déposer sur son DMP un dossier médical de synthèse la concernant, à la demande de son IPA qui avait initié un traitement antihypertenseur.
Cool, cool, je me suis dit ! Remplissons vite fait, d’autant qu’il y a longtemps qu’elle n’était pas venue en consultation. J’ai donc rempli le volet prévention : vaccinations infantiles faites par la PMI ; premiers rappels faits par le pédiatre, puis par la médecine du travail, le dernier fait par le pharmacien du coin. J’en arrive à la rubrique de synthèse des événements récents ; alors, je farfouille dans le DMP pour retrouver les informations. Bien consciencieusement, je note ‘entorse du petit doigt gauche’ diagnostiquée par le kiné ; je consulte le listing des remboursements afin de pouvoir indiquer qu’elle a eu 30 séances de rééducation. Je note une grossesse arrivée à terme, et m’aperçois que la sage-femme avait mis un mot à mon attention – travail en coopération oblige – , car elle refusait de se faire vacciner contre la grippe, étant comme toute sa famille antivax. Effectivement, en retrouvant un courrier de la CPAM, elle était dans le listing des personnes à relancer car non encore vaccinée, sans précision. J’avoue, ne voyant qui c’était, je n’y avais pas pris garde ! Et dire que c’est grâce à elle que mon forfait MT a été amputé, et que je suis mis sous objectif ! Heureusement que je suis philosophe, et que j’ai accepté de sauver le système de soins par la méthode macronnienne.
Alors, vous vous étonnez de mon cauchemar ? Vous avez raison, car ce n’était jusqu’à présent qu’un rêve qui a tourné au cauchemar dans sa suite… Le facteur m’a fait aller chercher à la poste – grâce à son avis de passage « en absence » bien que je fus là – une lettre recommandée en provenance du médecin-conseil, me demandant de rembourser les 30 séances de kinésithérapie ! En effet, m’explique-t-il très confraternellement, je n’ai pas joué mon rôle de MT, car après enquête, l’entorse du petit doigt n’était pas liée à un accident domestique, mais à un accident en salle de sport lors d’une séance de yoga. J’aurais donc dû prévenir la caisse, ce que je n’avais pas fait. Et l’assurance sportive ne pouvant prendre en charge du fait du dépassement de la date limite de déclaration, la CPAM se retourne contre moi, avec interdiction de récupération des sommes auprès de patient qui est responsable en rien de l’erreur que j’ai faite. C’est à ce moment-là que je me suis réveillé en nage, Frappé par la sueur…”

 

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aveline Marques

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